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les plus folemnels; & les états difputerent au fouverain le droit de protéger celui qui préparoit un tréfor à fa patrie. Il étoit tems de lui montrer de loin la gloire qui l'attendoit; car la mort qui étoit près de lui l'enfevelit dans fes travaux même. Mais fon canal étoit affuré comme fon nom & fes deux enfans pouvoient continuer l'un & l'autre. Il y avoit encore de quoi illuftrer un président à mortier au parlement de Touloufe, & un lieutenant-général des armées du roi. Grace aux foins de Jean-Mathias de Riquet & du comte de Caraman, des barques marchandes, dans l'efpace de onze jours firent cent foixante-quatre lieues de chemin fur un canal de cent vingt deux mille quatre cens quarante-fix toifes. C'eft alors que les curieux accoururent pour voir huit écluses près de Beziers, qui en élevant les eaux fur une montagne, y portent les barques & les en font defcendre; un pont bâti de pierres de taille & long de foixante-dix toifes, où les barques navigent fur fept pieds d'eau, tandis que fous le pont coule le torrent de Rapduze; la voûte conftruite dans la montagne de Malpas, qu'on a percée dans la largeur de quatre-vingts toifes, enforte qu'on croit voguer fous la terre.

L'évêque de Saint-Papoul, comme diocéfain, donna la bénédiction aux eaux du canal, que bordoient les habitans de Caf

telnaudarry, tous fous les armes. Un te Deum fut chanté; c'étoit une fête pour toute la province, de voir paffer une flotte fur un fol aride qui refufoit même de l'eau à ceux qui avoient foif. Un magnifique dîner, à la premiere éclufe, fut l'emblême & le gage de l'abondance.

Le maréchal de Vauban, qui vifita ce chef-d'œuvre de l'induftrie humaine, dit au roi qu'il préféroit la gloire de Riquet à celle de Vauban. Il trouva qu'il n'y manquoit que la ftatue de Riquet.

Ce canal, qui a coûté dix-fept millions, paroiffoit à Belidor bien fupérieur à celui de deux cens lieues dans la Chine, qui fans éclufes, n'étoit pas plus difficile à faire que la grande muraille. Il ne falloit que creufer, & ce ne font jamais les bras qui manquent. Mais pour celui de Languedoc, il falloit raffembler dans les montagnes des eaux difperfées fur une longueur de quinze lieues trouver le point de partager, foixante pieds au-deflus des deux mers pour y diftribuer des eaux qui avoient eu de tout temps des cours fi différens: Hoc opus, hic labor eft.

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Gloire foit à jamais rendue à M. Riquet, qui a fait tant de bien au commerce. Que fon nom foit donc enfin prononcé à notre jeuneffe dans nos écoles : il y a affez longtemps qu'on lui parle des héros.

Les qualités de fon cœur étoient encore

préférables à celles de fon efprit; il avoit une droiture si naïve & fi peu méditée, qu'on y voyoit l'impoffibilité de fe démentir. Avec fa franchife, il n'auroit pas pu fe faire valoir autrement que par fes ouvrages.

2 Octobre 1759. m.

JULIEN LEROY.

APRÈS l'art d'employer le temps, le plus difficile peut-être étoit de le mefurer.

C'eft le foleil qui le premier régla la vie des hommes. Les cadrans étoient déjà communs, lorfque les moines las de chercher dans les étoiles les heures de l'office, imaginerent les fabliers. Il fallut des fiecles pour concevoir des horloges d'eau, & c'étoit être encore bien loin des roues dentées. Mais le plus beau prodige de la mécanique fut une montre, lorfque le génie étonné de lui-même s'écria:

Collectum trepidat vitreo fub tegmine tempus.

C'eft en 1577 que les premieres montres de poche furent apportées d'Allemagne en Angleterre; elles furent fabriquées la premiere fois à Meremberg en 1500 par Pierre Hele. On les appela d'abord des œufs de Muremberg, parce qu'elles avoient une forme

ovale.

Enfin parut un homme qui, non content d'enchaîner le temps, voulut forcer la ma tiere à repréfenter dans la derniere précision la route très-rapide de nos années. C'est Julien Leroy, le plus habile phyficien-pratique qu'ait eu la France.

Son enfance avoit promis ce qu'il feroit. Rien ne donne une meilleure éducation qu'une petite fortune, pourvu qu'elle foit aidée de quelque talent. La force de l'inclination, le befoin de parvenir, le peu de fecours même aiguifent le defir & l'industrie, & mettent en œuvre tout ce qui eft en nous. Dès l'âge de treize ans, il avoit déjà fait de lui-même quelques effais d'horlogerie. Ses momens de récréation étoient employés à l'exécution de quelques pieces de mécanique; il parcouroit d'un ceil rapide tous les livres qui pouvoient l'éclairer. Le jour ne fuffifoit pas pour examiner fes petits ouvrages; il fe relevoit encore la nuit pour voir comment il pourroit en perfectionner le mouvement. Enfin aidé des lumieres de la géométrie, il a pénétré dans tous les coins de fon art, & à la plus fine théorie il joignit l'adreffe la plus délicate de la main.

Toujours attentif à ce qui pouvoit paroître d'utile ou de curieux chez les étrangers, dès qu'il eut entendu parler des montres du célebre Graham, il fit venir la premiere qu'on ait vue à Paris à cylindre; & ce n'eft qu'après

T'avoir éprouvée qu'il la céda à M. de Mau pertuis.

M. Graham, de fon côté, fe procuroit tout ce qui venoit de Julien Leroy. Un jour que milord Hamilton lui montroit une de fes répétitions à grand mouvement devant plufieurs perfonnes: Je fouhaiterois bien dit-il, être moins âgé pour pouvoir en faire fur ce modele.

Cette juftice que rendoit M. Graham à M. Leroy, prefque tous les horlogers de l'Europe la lui ont rendue, & fon éloge fe trouva prefque fur toutes les montres de Genêve, qui ne portoient plus le nom des Tompion & des Graham. Voltaire à qui aucun mérite n'échappoit, rencontrant M. Leroy le fils après la fameuse journée de Fontenoy, lui dit avec autant de grace que de vérité: Le maréchal de Saxe & votre pere ont battu les anglois.

Il est vrai que l'horlogerie lui doit les inventions les plus heureufes. Tout le monde. connoît fon cadran univerfel à bouffole, à pinule, à deux plaques, propre à tracer une méridienne pour trouver la déclinaifon de l'aimant; il en a fait deux pour fa majefté, l'un de la forme d'une carte à jouer, l'autre de celle d'un in-8°. C'est lui qui a trouvé la méthode pour faire marquer jufte l'heure du foleil aux cadrans horifontaux ordinaires ou anciens, en quelque lieu de la terre qu'ils

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