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Généreux & humain, il ne faifoit mourir ni efpion ni maraudeur, préférant de les tenir à la chaîne jufqu'à la fin de la campagne. Jamais général ne ménagea plus le fang des foldats. Il craignoit toujours de perdre un grenadier qui eft vingt ans à former.

Les officiers le regardoient comme lear meilleur ami. M. de Valfonds ayant eu deux chevaux tués fous lui à Lawfeld revint à pied joindre le maréchal, qui lui dit: Quoi! encore un cheval; ces gens-là vous font faire votre académie, prenez l'africain. C'étoit un cheval d'Espagne sûr & deftiné uniquement pour lui un jour d'affaire; il le refufe. Prends, prends, aujourd'hui toi

c'est mei.

On juge comme il devoit être bien fervi. Le ftyle de fes ordonnances étoit court; c'étoit fouvent fur une carte. A gens de cœur, courtes paroles, qu'on fe batte.

Perfonne n'étoit plus affable que lui; il aimoit le peuple dont il ambitionnoit les fuffrages. Le fourire du peuple vaut mieux que la faveur des rois. Sa force extraordinaire le rendoit encore plus intéreffant à cette claffe d'hommes qui ne trouveroit peutêtre rien de plus grand qu'un roi des hälles. On fait que le maréchal de Saxe, qui rompoit un fer à cheval avec fes doigts, faifoit d'un clou tortillé un tire-bouchon, ne de

daigna pas de fe mefurer avec un boueur de Londres. Il laiffe venir fon homme, le prend par le chignon & le jette dans fon tombereau. Le peuple attroupé & charmé de fa victoire le porte jufqu'à fon hôtel. Le goût pour les combats à coups de poing tient tellement au caractere de cette nation, que dans les penfions & les écoles les enfans de la premiere nobleffe fe font de fréquens défis. Cette mode que ne prendra jamais une nation énervée, eft ancienne dans la GrandeBretagne. A l'entrevue fameufe de François I avec Henri VIII à Boulogne, eft-ce que ce dernier ne prit pas le roi de France au collet en lui propofant de lutter? Henri donna deux crocs-en-jambe au roi qui les esquiva & renverfa l'anglois.

Il femble que Maurice n'avoit vécu que pour faire de grandes chofes. Dès qu'il a ceffé de vaincre, il meurt en difant : J'ai fait un beau fonge.

Son intention avoit été de n'avoir ni fépulture ni pompe funebre; il avoit demandé que fon corps fût brûlé dans la chaux vive, pour qu'il ne reftât rien de lui que fa mémoire parmi fes amis. Le roi fenfible voulut donner à fes fujets l'exemple d'honorer ce grand hounne, même lorfqu'il n'étoit plus. Son corps fut embaumé & tranfporté avec la plus grande pompe à Strasbourg, pour y être inhumé dans l'églife luthérienne de

Saint-Thomas. Il eft bien fâcheux qu'on n'ait pu dire un de profundis pour un homme qui a fait chanter tant de te Deum.

Deux foldats qui avoient fervi fous lui entrent dans le temple où étoit déposée fa cendre; ils approchent, le vifage trifte, l'œil en pleurs l'un d'eux tire fon épée, l'applique au marbre de la tombe comme pour en aiguiser le tranchant.

Saifi du même fentiment, fon compagnon imite fon exemple; tous deux enfuite fortent en pleurant, l'œil fixé fur la terre & fans proférer un feul mot; voilà le plus fimple & le plus fublime des éloges.

20 Odobre 1650. n.

JEAN BART.

SON pere étoit un brave marin tué fur mer; fon grand-pere étoit auffi un marin, fon frere un marin, fon neveu un marin, fes fils furent des marins tout eft marin dans cette famille.

Il eft bon de remarquer que la marine marchande, qui fe plaint encore de nos préjugés & de notre orgueil, a élevé la plupart des grands hommes de mer, & qu'elle éleve ceux de nos ennemis,

Jean Bart, d'une force extraordinaire, fervoit à douze ans comme mouffe fous le

fameux Ruiter; & déjà il faifoit de grandes. chofes, parce qu'il ne craignit jamais rien. Mais la guerre s'éleva entre la Hollande & la France; alors il revient dans fa patrie, malgré les offres de l'ennemi. Il équipe une galiote, la monte de deux canons, de trentefix hommes & va en course. Il rencontre devant le Texel une frégate de dix-huit canons & de foixante-cinq hommes. Il l'attaque, monte à l'abordage, s'en rend maître & l'emmene à Dunkerque. Ce premier exploit eft fuivi de mille autres; fa réputation s'étend jusqu'à la cour. Louis XIV lui envoie une médaille & une chaîne d'or. Bientôt de nouveaux exploits firent defirer au monarque de l'attacher à fon fervice, & il lui donne le commandement d'une frégate de quatorze canons dont il fit fi bon ufage, qu'en peu de temps il mérita une lieutenance de vaiffeau. Un enfant de dix ans le fuit, & c'eft un corfaire qui va lui donner la premiere leçon.

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A la premiere volée que le corfaire lâche fur fon vaiffeau, le pere jette les yeux fur fon fils; il croit appercevoir en lui une ef pece de frayeur. Qu'on l'attache au grand mat, & il l'y laiffe pendant le combat. Affocié avec le cointe de Forbin, brave & habile, mais un peu jaloux, celui-ci veut éviter une efcadre plus forte. Jean Bart ne peut fe réfoudre à fuir; ils fe battent comme

des lions; on les prend, on les enferme ils fe fauvent, & Jean Bart ne tarda pas montrer qu'il étoit libre.

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Qui pourroit compter fes prifes, les vaiffeaux qu'il a brûlés, & fes coups de main & fes rufes Il avoit tout à-la-fois le génie & l'efprit de la guerre; fon courage ne fe conçoit pas. Un anglois, fous quelque prétexte, l'attire fur fon bord & veut l'arrêter. Jean Bart s'élance fur un barril de poudre & menace de les faire fauter tous; on le prie de s'en aller.

Enfin la cour voulut connoître cet homme qui ne reffembloit à perfonne. Il arrive à l'œil de bœuf, & en attendant que la porte du roi s'ouvre, il fume fa pipe. Les gardes veulent le faire fortir. J'ai contracté cette habitude au fervice du roi mon maître; elle est devenue un befoin pour moi, je crois qu'il eft trop jufte pour trouver mauvais que je me contente. On alla avertir le roi.

Je

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parie que c'eft Jean Bart; laiffez-le faire & qu'il entre. Jean Bart, il n'eft permis qu'à vous de fumer chez moi, & ils cauferent enfemble.

Qu'il eût une culotte de drap d'or doublée de drap d'argent, c'eft un conte pour rire. Jean Bart, qui avoit beaucoup de bon fens, l'efprit net & folide, n'étoit ni ridi cule ni groffier. Qu'il gardât presque toujours fa pipe à la bouche, cela peut être

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