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corps, & cette inftruction eft utile pour vû que la raifon y préfide. Car le plaifir de lui-même eft un trompeur, & quand l'ame s'y abandonne fans raifon, il ne manque jamais de l'égarer, non feulement en ce qui la touche, comme quand il lui fait abandonner la vertu, mais encore en ce qui touche le corps, puifque fouvent la douceur du goût nous porte à manger & à boire tellement à contretemps, que l'economie du corps en eft troublée.

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Il y a auffi des chofes qui nous cau fent beaucoup de douleur, & toutefois qui ne laiffent pas d'être dans la fuite un grand remede à nos maux,

Enfin toutes les autres fenfations qui fe font en nous, fervent à nous inftruire. Car chaque fenfation differente présuppofe naturellement quelque diverfité dans les objets. Ainfi ce que je vois Jaune eft autre que ce que je vois verd; ce qui eft amer au goût eft autre que ce qui eft doux: ce que je fens chaud eft autre que ce que je fens froid. Et fi un objet qui me caufoit une fenfation commence à m'en caufer une autre, je connois par-là qu'il y eft arrivé quelque changement. Si l'eau qui me fembloi froide, commence à me fembler chaudey

eft que depuis elle anra été mife fur le feu. Et cela,c'eft difcerner les objets, non point en eux-mêmes, mais par les effets qu'ils font fur nos fens, comme par une marque pofée au-dehors. A cette marque l'ame diftingue les chofes qui font au-tour d'elle, & juge par quel endroit elles peuvent faire du bien ou du mal au corps.

Mais il faut encore en cela que la raifon nous dirige, fans quoi nos fens pourroient nous tromper. Car le même objet me paroît grand de loin, & petit de prés. Le même bâton qui me paroît droit dans l'air, me paroît cour be dans l'eau: la même eau, quand elle eft tiéde, fi j'ai la main chaude, me pafoît froide, & fi je l'ai froide,me paroît chaude. Tout me paroît verd à travers un verre de cette couleur, & par la même raifon, tout me paroît jaune,lorfque ła bile jaune elle-même s'eft répanduë fur mes yeux: quand la même humeur fe jette fur la langue, tout me paroît amer. Lorfque les nerfs qui fervent à la vûe & à l'ouie font agités au-dedans, ilfe forme des étincelles, des couleurs, des bruits confus, ou des tintemens qui ne font attachés à aucun objet fenfible les illufions de cette forte font infinies, Piij

L'ame feroit dont fouvent trompée fi elle fe fioit à fes fens fans confulter la zaifon. Mais elle peut profiter de leur erreur, & toûjours, quoi qu'il arrive, lorfque nous avons des fenfations nouvelles, nous fommes avertis par-là qu'iF s'eft fait quelque changement, ou dans les objets qui nous paroiffent, ou dans le milieu par où nous les appercevons, ou même dans les organes de nos fens. Dans les objets, quand ils font changés, comme quand de l'eau froide devient chaude ou des feuilles auparavant vertes, deviennent pâles étant deffé. chées. Dans le milieu, quand il est tel qu'il empêche ou qu'il rompt l'action de l'objet, comme quand l'eau romp la ligne du rayon qu'un bâton renvoye à nos yeux dans l'organe des fens quand ils font notablement alterés par les humeurs qui s'y jettent, ou par d'autres caufes femblables.

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Au refte, quand quelqu'un de nos fens nous trompe, nous pouvons aifément rectifier ce mauvais jugement par le rapport des autres fens & par la raifon. Par exemple, quand un bâton paroît courbé à nos yeux étant dans l'eau, outre que fi on l'en retire, la vûë fe corrigerà Elle-même, le toucher que nous fenti

rons affecté comme il a accoûtumé de l'être quand les corps font droits, & la raifon feule qui nous fera voir que l'eau ne peut pas tout d'un coup l'avoir rompu, nous peut redreffer. Si tout me paroît amer au goût, & que tout femble jaune à ma vûë, la raison me fera connoître que cette uniformité ne peut pas être venue tout-à-coup aux chofes, où auparavant j'ai fenti tant de difference; & ainfi je connoîtrai l'alteration de mes organes, que je tâcherai de remettre en leur naturel.

Ainfi nos fenfations ne manquent jamais de nous inftruire, je dis même quand elles nous trompent, & nos deux Propofitions demeurent conftantes.

XII. Propofition. Outre les fecours que donnent les fens à notre raison pour entendre les befoins du corps, ils l'aident auffi beaucoup àconnoître toute la Nature. Car notre ame a en elle-même des principes de verité éternelle, & un efprit de rapport, c'est-à-dire des regles de raifonnement, & un art de tirer des con fequences. Cette ame ainfi formée, & pleine de ces lumieres, fe trouve unie à un corps i petit à la verité, qu'il eft moins que rien à l'égard de cet Univers immenfe mais qui pourtant a fes rap

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ports avec ce grand Tout, dont if eft une fi petite partie. Et il fe trouve compofé de forte, qu'on diroit qu'il n'est qu'un tiffu de petites fibres infinimenɛ déliées, difpofées d'ailleurs avec tang d'art, que des mouvemens tres-forts ne les bleffent pas, & que toutefois les plus délicats ne laiffent pas d'y faire leurs impreffions, en forte qu'il lui en vient de tres remarquables & de la Lune & du Soleil, & même des Sphéres les plus hautes, quoiqu'éloignées de nous par des efpaces incomprehenfibles. Or Funion de l'ame & du corps fe trouve faite de fi bonne main, enfin l'ordre Y eft fi bon, & la correfpondance fi bien établie, que l'ame qui doit préfider, eft avertie par les fenfations de ce qui fe paffe dans ce corps, & aux environs jufqu'à des distances infinies. Car comme les fenfations ont leur rapport à cer taines difpofitions de l'objet ou da milieu, ou de l'organe, ainfi qu'il a été, dit, à chaque fenfation l'ame apprend des chofes nouvelles, dont quelques unes regardent la fubfiftance du corps qui lui eft uni, & la plufpart n'y fervent de rien. Car que fert, par exemple, au corps humain la vue de ce nombre prodigieux d'Etoiles qui fe découvrent à

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