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VI.

ne le foit pas, & même quand il a ceffé d'être abfolument, pourvû qu'une fois il ait été bien fenti. Ainfi je ne puis voir ce triangle dont nous parlions, qu'il ne foit actuellement prefent; mais je puis l'imaginer même après l'avoir effacé ru éloigné de mes yeux.

Voilà ce qui regarde les fens tant interieurs qu'exterieurs, & la difference des uns & des autres.

De ces fentimens interieurs & exteLes paffions. rieurs, & principalement des plaifirs & de la douleur, naiffent en l'ame certains mouvemens que nous appellons paffions.

Le fentiment du plaifir nous touche tres-vivement quand il eft prefent, & nous attire puiffamment quand il ne l'eft pas. Et le fentiment de la douleur fait un effet tout contraire. Ainfi partout où nous reffentons ou imaginons le plaifir & la douleur, nous fommes attirés, ou rebutés. C'eft ce qui nous donne de l'appetit pour une viande agréable, & de la répugnance pour une viande dégoûtante. Et tous les autres plaifirs auffi bien que toutes les autres douleurs,caufent en nous des appetits, ou des répugnances de même nature, où la raifon n'a aucune part.

Ces appetits, ou ces répugnanees & averfions, font appellés mouvemens de Fame, non qu'elle change de place, ou qu'elle fe tranfporte d'un lieu à un autre ; mais c'est que comme le corps s'approche ou s'éloigne en fe mouvant, ainfi l'ame par fes appetits ou averfions, s'unit avec les objets, ou s'en fépare.

Ces chofes étant pofées, nous pouvons définir la paffion un mouvement de l'ame, qui touchée du plaifir, ou de la douleur reffentie, ou imaginée dans un objet, le pourfuit, ou s'en éloigne. Si j'ai faim, je cherche avec paffion la nourriture neceffaire : fi je fuis brûle par le feu, j'ai une forte paffion de m'em éloigner.

On compte ordinairement onze paf fions, que nous allons rapporter, & définit par ordre.

L'amour eft une paffion de s'unir à quelque chofe. On aime une nourriture agréable, on aime une femme, on aime l'exercice de la chaffe. Cette paffion fait qu'on aime de s'unir à ces chofes,& de les avoir en få puiffance.

La haine au contraire, eft une paffion d'éloigner de nous quelque chofe, je hais la douleur, je hais le travail, je hais une medecine pour fon mauvais

goût je hais un tel homme, qui me fait du mal, & mon efprit s'en éloigne naturellement.

Le defir eft une paffion qui nous pouffe à rechercher ce que nous aimons quand il eft abfent.

L'averfion

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autrement nommée la fuite ou l'éloignement, eft une paffion d'empêcher que ce que nous haïffons ne nous approche.

La joye eft une paffion par laquelle l'ame jouit du bien prefent, & s'y repofe.

La trifteffe eft une paffion par laquelle l'ame tourmentée du mal prefent, s'en éloigne autant qu'elle peut, & s'en afBlige.

Jufques ici les paffions n'ont eu beToin pour être excitécs, que de la prefence, ou de l'abfence de leurs objets. Les cinq autres y ajoûtent la difficulté.

L'audace, ou la hardieffe, ou le courage, eft une paffion par laquelle l'ame s'efforce de s'unir à l'objet aimé, dont l'acquifition eft difficile.

La crainte eft une paffion par laquelle l'ame s'éloigne d'un mal difficile à éviter.

L'efperance eft une paffion qui naît en l'ame, quand l'acquifition de l'objet ai

mé eft poffible, quoique difficile. Car lorfqu'elle eft aifée, ou affurée, on en jouit par avance, & on est en joye.

Le defefpoir au contraire, eft une paffion qui naît en l'ame, quand l'ac quifition de l'objet aimé paroît impoffible.

La colere eft une paffion par laquelle nous nous efforçons de repouffer violence celui qui nous fait du mal, ou de nous en venger.

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Cette derniere paffion n'a point de contraire, fi ce n'eft qu'on veuille mettre parmi les paffions l'inclination de faire du bien à qui nous oblige. Mais il la faut rapporter à la vertu, & elle l'émotion ni le trouble que les

n'a pas

paffions apportent.

Les fix premieres paffions, qui ne préfuppofent dans leurs objets que la prefence ou l'abfence, font rapportées par les anciens Philofophes à l'appetit qu'ils appellent concupifcible. Et pour les cinq dernieres, qui ajoûtent la difficulté à l'absence ou à la prefence del'objet, ils les rapportent à l'appetit qu'ils appellent irrafcible.

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Ils appellent appetit concupifcible celui où domine le defir ou la concupif cence; & irrafcible celui où domine la C

colere. Cet appetit a toûjours quelque difficulté à furmonter, ou quelque effort à faire, & c'est ce qui émeut la colere. L'appetit irrafcible feroit peut-être appelé plus convenablement courageux, Les Grecs qui ont fait les premiers cette diftinction d'appetits, expriment par un même mot la colere & le courage; & il eft naturel de nommer appetit courageux, celui qui doit furmonter les difficultés.

Et on peut joindre les deux expreffions d'irrafcible & de courageux, parce que la colere eft née pour exciter & foûtenir le courage,

Quoiqu'il en foit, la diftinction des paffions en paffions, dont l'objet eft regardé fimplement comme prefent ou ablent, & des paffions où la difficulté se trouve jointe à la prefence ou à l'abseneft indubitable.

ce,

Et quand nous parlons de difficulté, ce n'eft pas qu'il faille toûjours mettre dans les paffions qui la préfuppofent un jugement exprés de l'entendement, par lequel il juge un tel objet difficile à acquerir: mais c'eft, comme nous verrons plus amplement en fon lieu, que la nature a revêtu les objets, dont l'acquifition cft difficile, de certains caracteres

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