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Quand notre confcience nous reproche le mal que nous avons fait, cela s'appelle fynderefe, ou remords de conf

cience.

La raifon nous eft donnée pour nous élever au-deffus des fens & de l'imagination. La raifon qui les fuit & s'y alfervit, eft une raifon corrompuë, quí ne merite plus le nom de raifon.

Voilà en general ce que c'eft que l'entendement. Mais nous le concevrons mieux quand nous aurons exactement défini fon operation.

Entendre, c'eft connoître le vrai & le faux, & difcerner l'un d'avec l'autre. Par exemple, un triangle, c'est connoître cette verité, que c'est une figure à trois côtez, ou parce que ce mot de triangle pris abfolument eft affecté au triangle rectiligne ; c'eft entendre que c'eft une figure terminée de trois lignes droites.

Par cette définition je connois la nature de l'entendement, & fa difference d'avec les fens.

Les fens donnent lieu à la connoiffance de la verité; mais ce n'eft pas par eux précisément que je la connois.

Quand je vois les arbres d'une longue allée, quoiqu'ils foient tous peu près

gaux, fe diminuer peu à peu à mes yeux en forte que la diminution com mence dès le fecond, & fe continue à proportion de l'éloignement ; quand je vois uni, poli & continu ce qu'un microscope me fait voir rude, inégal & féparé: quand je vois courbe à travers l'eau un bâton que je fçai d'ailleurs être droit quand emporté dans un batteau par un mouvement égal, je me fens comme immobile avec tout ce qui eft dans le vaiffeau, pendant que je vois le refte qui ne branle pourtant pas. comme s'enfuyant de moi, en forte que je tranfporte mon mouvement à des chofes immobiles, & leur immobilité à moi qui remuë: ces chofes & mille autres de même nature où les fens ont befoin d'être redreffez, me font voir que c'est par quelqu'autre faculté que je connois la verité, & que je la difcerne d'avec la fauffeté.

Et cela ne fe trouve pas feulement dans les fenfibles que nous avons appellés communs; mais encore dans ceux qu'on appelle propres. Il m'arrive fou vent de voir fur certains objets, certaines couleurs, ou certaines taches qui ne proviennent point des objets mêmes, mais du milieu à travers lequel je les

regarde, ou de l'alteration de mon organe. Ainfi des yeux remplis de bile font voir tout jaune ; & eux-mêmes éblouis pour avoir été trop arrêtez fur le Soleil, font voir aprés cela diverfes couleurs ou en l'air, ou fur les objets que l'on n'y verroit nullement fans cette alteration. Souvent je fens dans l'oreille des bruits femblables à ceux que me caufe l'air agité par certains corps. fans neanmoins qu'il le foit. Telle odeur paroît bonne à l'un & defagréable à l'autre. Les goûts font differens, & un autre trouvera toûjours amer ce que je trouve toujours doux. Moi-même je ne m'accorde pas toûjours avec moi-même, & je fens que le goût varie en moi autant par la propre difpofition de ma langue, que par celle des objets mêmes. C'est à la raifon à juger de ces illufions des fens, & c'eft à elle par confequent à connoître la verité.

De plus, les fens ne m'apprennent pas ce qui fe fait dans leurs organes. Quand je regarde, ou que j'écoute, je ne fens ni l'ébranlement qui fe fait dans le tympan que j'ai dans l'oreille, ni celui des nerfs optiques que j'ai dans le fond de l'œil. Lorfqu'ayant les yeux bleffés, ou le goût malade, je fens tout amer, & je

Vois tout jaune, je ne fçai point par læ vue ni par le goût l'indifpofition de mes yeux, ou de ma langue. J'apprens tout cela par les reflexions que je fais fur les organes corporels, dont mon feul entendement me fait connoître les ufages naturels avec leurs difpofitions bonnes ou mauvaises.

Les fens ne me difent pas non plus ce qu'il y a dans leurs objets capable d'exciter en moi les fenfations. Ce que je fens quand je dis que j'ai chaud, ou je brûle, fans doute n'eft pas la même chose que ce que je conçois dans le feu quand je l'appelle chaud & brûlant. Ce qui mé fait dire j'ai chaud, c'eft un certain fentiment que le feu qui ne fent pas, ne peut avoir, & ce fentiment augmenté jufqu'à la douleur, me fait dire que je brûle.

Quoique le feu n'ait en lui-même ni le fentiment nila douleur qu'il excite en moi, il faut bien qu'il ait en lui quelque chofe capable de l'exciter. Mais ce quelque chofe que j'appelle la chaleur du feu, n'eft point connu par les fens, & fi j'en ai quelque idée, elle me vient d'ailleurs.

Ainfi les fens ne nous apportent que leurs propres fenfations, & laillent à

l'entendement à juger des difpofitions qu'ils marquent dans les objets. L'oile m'apporte feulement les fons, & le goût l'amer & le doux ; comment il faut que l'air foit ému pour causer du bruit ce qu'il y a dans les viandes qui meles fait trouver ameres ou douces, fera toûjours ignoré,fi l'entendement ne le découvre.

Ce qui fe dit des fens, s'entend auffi de l'imagination, qui, comme nous avons dit ne nous apporte autre chose que des images de la fenfation, qu'elle ne furpaffe que dans la durée.

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Et tout ce que l'imagination ajoûte a la fenfation, eft une pure illufion, qui a besoin d'être corrigée, comme quand, ou dans les fonges ou par quelque trouble, j'imagine les chofes autrement que je ne les vois. Ainfi tant en dormant qu'en veillant, nous nous trouvons fouvent remplis de fauffes imagi nations, dont le feul entendement peut juger. C'eft pourquoi tous les Philofophes font d'accord qu'il n'appartient qu'à lui feul de connoître le vrai & le faux,& de difcerner l'un d'avec l'autre.

la

C'eft auffi lui feul qui remarque nature des chofes. Par la vûë nous fommes touchés de ce qui eft étendu, & de ce qui eft en mouvement. Le feul

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