Imágenes de páginas
PDF
EPUB

entendement recherche & conçoit ce que c'eft que d'être étendu, & ce que

c'eft d'être en mouvement.

Par la même raison, il n'y a que l'entendement qui puiffe errer. A propre- ment parler, il n'y a point d'erreur dans le fens, qui fait toûjours ce qu'il doit, = puifqu'il eft fait pour operer felon les difpofitions non feulement des objets, mais des organes. C'eft à l'entende ment, qui doit juger des organes mêmes, à tirer des fenfations les confe=quences neceffaires, & s'il fe laiffe furprendre, c'eft lui qui fe trompe,

[ocr errors]

Ainfi il demeure pour conftant que le vrai effet de l'intelligence, c'eft de connoître le vrai & le faux, & de les difeerner l'un de l'autre.

C'est ce qui ne convient qu'à l'entendement, & ce qui montre en quoi il dif fere tant des fens, que de l'imagination.

Actes de l'en

Mais il y a des actes de l'entendement VIII. qui fuivent de fi prés les fenfations, que De certains nous les confondons avec elles, à moins tenement = que d'y prendre garde fort exactement. qui font Le jugement que nous faifons natu- fenfations, rellement des propofitions & de l'ordre & comment qui en refulte, eft de cette forte.

joints aux

on en con

noit la diffe

Connoître les proportions & l'ordre, rence. eft l'ouvage de la raison, qui compare

unc chofe avec une autre, & en découvre les rapports.

Lerapport de la raifon & de l'ordre eft extreme. L'ordre ne peut être remis dans les chofes que par la raison, ni être entendu que par elle. Il eft ami de la raifon, & fon propre objet.

Ainfi on ne peut nier qu'appercevoir les proportions, appercevoir l'ordre, & en juger, ne foit une chofe qui paffe les fens.

Par la même raifon appercevoir la beauté, & en juger, eft un ouvrage de l'efprit, puifque la beauté ne confifte que dans l'ordre, c'est-à-dire, dans l'arrangement & la proportion.

Delà vient que les chofes qui font les moins belles en elles-mêmes, reçoivent une certaine beauté quand elles font arrangées avec de juftes proportions, & un rapport mutuel.

Ainfi il appartient à l'efprit, c'est-àdire à l'entendement de juger de la beauté, parce que juger de la beauté, c'eft juger de l'ordre, de la proportion & de la jufteffe, chofes que l'efprit feul peut appercevoir.

Ces chofes préfuppofées, il fera aifé de comprendre qu'il nous arrive fouvent d'attribuer aux fens ce qui appartient. Pefprit.

Lorfque nous regardons une longue allée, quoique tous les arbres décroiffent à nos yeux à mesure qu'ils s'en éloignent, nous les jugeons tous égaux. Ce jugement n'appartient point à l'œil à l'égard duquel ces arbres font diminués. Il fe forme par une fecrette réflexion de l'efprit, qui connoiffant naturellement la diminution que cause l'éloignement dans les objets, juge égales toutes les chofes, qui décroiffent également à la vûë, à mesure qu'elles s'éloignent.

Mais encore que ce jugement appartienne à l'efprit, à caufe qu'il eft fondé fur la fenfation, & qu'il la fuit de prés, ou plûtôt qu'il naît avec elle, nous l'attribuons au fens, & nous difons qu'on voit à l'œil l'égalité de ces arbres, & la jufte proportion de cette allée.

C'eft auffi par-là qu'elle nous plaît, & qu'elle nous femble belle, & nous croyons voir par les yeux, plûtôt qu'entendre par l'efprit cette beauté, parce qu'elle fe prefente à nous auffi-tôt nous jettons les yeux fur cet agréable objet.

que

Mais nous fçavons d'ailleurs que la beauté, c'est-à-dire, la jufteffe, la pro portion & l'ordre, ne s'apperçoit que par l'efprit, dont il ne faut pas cons

fondre l'operation avec celle du fens fous prétexte qu'elle l'accompagne. Ainfi quand nous trouvons un bâtiment beau, & une perfonne belle, c'est un jugement que nous faifons fur la justelle & la proportion de toutes les parties, en les rapportant les unes aux autres, & il y a dans ce jugement un raifonnement caché que nous n'appercevons pas à caufe qu'il fe fait fort vîte.

Nous avons donc beau dire que cette beauté fe voit à l'œil, ou que c'est un objet plaifant aux yeux; ce jugement. nous vient par ces fortes de réflexions fecrettes, qui pour être vives & promp-. tes, & pour fuivre de prés les fenfations, font confondues avec elles.

Il en eft de même de toutes les choses, dont la beauté nous frappe d'abord. Ce. qui nous fait trouver une couleur belle c'eft un jugement fecret que nous portons en nous-mêmes de fa proportion avec nôtre œil qu'elle divertit. Les beaux tons, les beaux chants, les belles cadences ont la même proportion avec nôtre oreille. En appercevoir la jufteffe auffi promptement que l'on touche l'ouie, c'eft ce qu'on appelle avoir l'oreille bonne quoique pour parler exactement, il fallût attribuer ce jugement à l'efprit.

,

Et

[ocr errors]

Et une marque que cette jufteffe qu'on attribue à l'oreille, eft un ouvrage de raifonnement & de reflexion, c'est qu'elle s'acquiert, ou fe perfectionne par art. Il y a certaines regles qui étant une fois connues font fentir plus promptement la beauté de certains accords. L'ufage même fait cela tout feul, parce qu'en multipliant les réflexions, il les rend plus aifées & plus promptes. Et on dit qu'il rafine l'oreille, parce qu'il allie plus vite,avec les fons qui la frappent, le jugement que porte l'efprit fur la beauté des accords.

Les jugemens que nous faifons en trouvant les chofes grandes ou petites par rapport des unes aux autres, font encore de même nature. C'eft par-là que le dernier arbre d'une longue allée, quelque petit qu'il vienne à nos yeux, nous paroît naturellement auffi grand que le premier, & nous ne jugerions pas auffi feurement de fa grandeur, fi le même arbre étant feul dans une vafte campagne, ne pouvoit pas être comparé à d'autres.

Il y a donc en nous une Geometrie naturelle, c'est-à-dire, une science des proportions, qui nous fait mefurer les grandeurs en les comparant les unes

D

« AnteriorContinuar »