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aux autres, & concilie la verité avec les

apparences.

C'eft ce qui donne moyen aux Peintres de nous tromper dans leurs perfpectives. En imitant l'effet de l'éloignement & la diminution qu'elle caufe proportionnellement dans les objets, ils nous font paroître enfoncé ou relevé ce qui eft uni, éloigné ce qui eft proche, & grand ce qui eft petit.

C'est ainfi que fur un Theatre de zo ou 30 pieds, on nous fait paroître des allées immenfes. Et alors fi quelque homme vient à fe montrer au-deffus du dernier arbre de cette allée imaginaire, il nous paroît un Geant, comme furpaffant en grandeur cet arbre que la jufteffe des proportions nous fait égaler au premier.

Et par la même raifon les Peintres donnent fouvent une figure à leurs objets pour nous en faire paroître une autre. Ils tournent en lozanges les pavez d'une chambre, qui doivent paroître carrez, parce que dans une certaine diftance les carreaux effectifs prennent à nos yeux cette figure. Et nous voyons ces carreaux peints fi bien carrez, que nous avons peine à croire qu'ils foient fi étroits, ou tournez fi obliquement,

tant eft forte l'habitude que nôtre efprit a prise de former fes jugemens fur les proportions & de juger toûjours de même, pourvû qu'on ait trouvé l'art de ne rien changer dans les apparences.

Et quand nous découvrons par raifonnement ces tromperies de la perfpective, nous difons que le jugement redreffe les fens; au lieu qu'il faudroit dire, pour parler avec une entiere exactitude, que le jugement fe redreffe luimême; c'est-à-dire, qu'un jugement qui fuit l'apparence, eft redreffé par un jugement qui fe fonde en verité connue, & un jugement d'habitude par un jugement de réflexion expreffe.

IX.

nation & de.

Voilà ce qu'il faut entendre pour apprendre à ne pas confondre avec les Differences fenfations, des chofes de raifonnement. de l'imagi Mais comme il eft beaucoup plus à intendecraindre qu'on ne confonde l'imagina- ment, tion avec l'intelligence, il faut encore marquer les caracteres propres de l'une & de l'autre.

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La chofe fera aifée, en faifant un peu de réflexion fur ce qui a été dit.

Nous avons dit premierement, que l'entendement connoît la nature des chofes, ce que l'imagination ne peut pas faire.

Il y a, par exemple, grande difference entre imaginer le triangle, & entendre le triangle. Imaginer le triangle, c'eft s'en reprefenter un d'une mefure déterminée, & avec une certaine grandeur de fes angles & de fes côtez ; au lieu que l'entendre, c'eft en connoître la nature, & fçavoir en general que c'eft une figure à trois côtez fans déterminer aucune grandeur, ni proportion particuliere. Ainfi quand on entend un triangle, l'idée qu'on en a convient à tous les trianglès équilateraux, ifoceles, ou autre de quelque grandeur & proportion qu'ils foient. Au lieu que le triangle qu'on imagine, eft reftraint à une certaine efpece de triangle, & à une gran

deur déterminée.

Il faut juger de la même forte des autres chofes qu'on peut imaginer & entendre. Par exemple, imaginer l'homme, c'eft s'en reprefenter un de grande ou de petite taille, blanc ou basané, fain ou malade: & l'entendre, c'eft concevoir feulement que c'eft un animal raifonnable, fans s'arrêter à aucune de ces qualitez particulieres.

Il y a encore une autre difference entre imaginer & entendre. C'eft qu'entendre s'étend beaucoup plus loin qu'imaginer.

Car on ne peut imaginer que les chofes corporelles & fenfibles; au lieu que l'on peut entendre les chofes tant corporelles que fpirituelles: celles qui font fenfibles & celles qui ne le font pas ; par exemple, Dieu & l'ame.

Ainfi ceux qui veulent imaginer Dieu & l'ame, tombent dans une grande erreur, parce qu'ils veulent imaginer ce qui n'eft pas imaginable; c'eft-à-dire, ce qui n'a ni corps, ni figure, ni enfin rien de fenfible.

A cela il faut rapporter les idées que nous avons de la bonté, de la verité, de la justice, de la fainteté, & les autres femblables, dans lesquelles il n'entre rien de corporel, & qui auffi conviennent ou principalement ou feulement aux chofes fpirituelles, telles que font Dieu & l'ame; de forte qu'elles ne peu vent pas être imaginées, mais feulement entenduës.

Comme donc toutes les chofes qui n'ont point de corps ne peuvent être conçues que par la feule intelligence, il s'enfuit que l'entendement s'étend plus loin que l'imagination.

Mais la difference effentielle entre imaginer & entendre, eft celle qui est exprimée par la définition. C'eft qu'entens

X.

on & l'intel

niffent &

s'aident. ou

dre n'eft autre chofe que connoître & difcerner le vrai & le faux, ce que l'imagination qui fuit fimplement le fens, ne peut avoir.

Encore que ces deux actes d'imaginer Comment & d'entendre foient fi diftinguez, ils fe Pimaginati mêlent toûjours enfemble. L'entenligence s'u dement ne définit point le triangle ni le cercle, que l'imaginatiou.ne s'en figure s'embarraf un. Il ne mêle des images fenfibles dans fent mutuel- la confideration des chofes les plus fpirituelles, par exemple, de Dieu & des ames ; & quoique nous les rejettions de nôtre pensée comme chofes fort éloignées de l'objet que nous contemplons, elles ne laiffent pas de la fuivre.

lement.

Il fe forme fouvent auffi dans notre imagination des figures bizarres & capricieufes, qu'elle ne peut pas forger toute feule, & où il faut qu'elle foit aidée par l'entendement. Les centaures, les chimeres & les autres compofitions de cette nature que nous faifons & défaisons quand il nous plaît, fuppofent quelque réflexion fur les chofes differentes dont elles fe forment, & quelque comparaison des unes avec les autres, ce qui appartient à l'entendement. Mais ce même entendement qui excite dans la fantaisie ces affemblages

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