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a vû qu'elles font en effet. C'eft la fante où nos paffions nous font tomber. Nous fommes portés à croire ce que nous defirons, & ce que nous efperons, foit qu'il foit vrai, foit qu'il ne le foit pas.

Quand nous craignons quelque chofe, fouvent nous ne voulons pas croire qu'elle arrive; & fouvent auffi par foibleffe nous croyons trop facilement qu'elle arrivera. dài, be

Celui qui eft en colere en croit les caufes toûjours juftes, fans même vouloir les examiner, & par-là il eft hors d'état de porter un jugement droit)

Cette feduction des paffions s'étend bien loin dans la vie, tant à caufe que les objets qui fe prefentent fans ceffe, nous en caufent toûjours quelquesunes, qu'à caufe que notre humeur même nous attache naturellement à de certaines paffions particulieres que nous trouverions partout dans nôtre conduite fi,nous fçavions nous obferver.

Et comme nous voulons toûjours plier la raifon à nos defirs nous appellons raifon ce qui eft conforme à nôtre humeur naturelle, c'est-à-dire, à une paffion fecrete qui fe fait d'autant moins fentir, qu'elle fait comme le fond de nôtre nature.

C'eft pour cela que nous avons dit que le plus grand mal des paffions, c'eft qu'elles nous empêchent de bien rai❤ fonner; & par confequent de bien juger, parce que le bon jugement eft l'effet du bon raifonnement.

Nous voyons auffi clairement parles chofes qui ont été dites, que la pareffe qui craint la peine de confiderer, eft le plus grand obftacle à bien juger.

Ce défaut fe rapporte à l'impatience. Car la pareffe, toûjours impatienter quand il faut peiner tant foit peu, fait qu'on aime mieux croire que d'examiner parce que le premier est bien-tôt fait, & que le fecond demande une recherche plus longue & plus penible.. Les confeils femblent toujours trop longs au parelleux, c'eft pourquoi il abandonne tout, & s'accoûtume à croire quelqu'un qui le mene comme un enfant, & comme un aveugle, pour ne pas dire comme une bête.

Par toutes les caufes que nous avons dites, nôtre efprit eft tellement féduit qu'il croit fçavoir ce qu'il ne fçait pas, & bien juger des chofes dans lesquelles il f trompe. Non qu'il ne diftingue trésbien entre fçavoir & ignorer, ou fe tromper; car il fçait que l'un n'eft pas

Fautre, & au contraire qu'il n'y a rien de plus oppofé mais c'eft que faute de confiderer, il veut croire qu'il fçait ce qu'il ne fçait pas.

Et nôtre ignorance va fr loin, que fouvent même nous ignorons nos propres difpofitions. Un homme ne veut point croire qu'il foit orgueilleux, ni lâche, ni pareffeux, ni emporté : il veut eroire qu'il a raifon, & quoique fa confcience lui reproche fouvent les fautes, il aime mieux étourdir le fentiment d'avoir le chagrin de les

qu'il en a, que

connoître.

Le vice qui nous empêche de connoî tre nos défauts,s'appelle amour propres & c'est celui qui donne tant de credit aux flateurs.

On ne peut furmonter tant de difficultés, qui nous empêchent de bien juger, c'est-à-dire, de reconnoître la verité, que par un amour extreme qu'on aura pour elle, & un grand defir de l'entendre.

De tout cela il paroît, que mal juger vient toûjours d'un vice de volonté. L'entendement de foi eft fait pour en tendre; & toutes les fois qu'il entend il juge bien. Car s'il juge mal, il n'a pas affez entendu ; & n'entendre pas allez

c'est-à-dire, n'entendre pas tout dans une matiere, dont il faut juger, à vrai dire, ce n'eft rien entendre, parce que le jugement fe fait fur le tout.

Ainfi tout ce qu'on entend eft vrai. Quand on fetrompe, c'eft qu'on n'entend pas, & le faux qui n'eft rien de foi, n'eft ni entendu ni intelligible.

Le vrai c'eft ce qui eft. Le faux c'eft ce qui n'eft pas.

On peut bien ne pas entendre ee qui eft: mais jamais on ne peut entendre ce qui n'eft pas,

On croit quelquefois l'entendre, & c'eft ce qui fait l'erreur ; mais en effet on ne l'entend pas, puisqu'il n'est pas.

Et ce qui fait qu'on croit entendre ce que l'on n'entend pas, c'est que par les raifons, ou plûtôt par les foibleffes que nous avons dites, on ne veut pas confiderer. On veut juger cependant, & on juge précipitamment, & enfin on veut croire qu'on a entendu, & on s'impofe a foi-même.

Nul homme ne veut fe tromper, & nul homme auffi ne fe tromperoit, s'il ne vouloit des chofes, qui font qu'il fe trompe, parce qu'il en veut qui l'empêchent de confiderer, & de chercher verité férieufement.

De cette forte, celui qui fe trompes premierement n'entend pas fon objet, & fecondement ne s'entend pas lay-même, parce qu'il ne veut ni confiderer ni fon objet ni lui-même, ni sa précipitation, ni l'orgueil, ni l'impatience, ni la pareffe ni les paffions & les préventions qui la caufent.

Et il demeure pour certains que l'entendement purgé de ces vices, & vraiement attentif à fon objet,ne fe trompera. jamais; parce qu'alors ou il verra clair, & ce qu'il verra fera certain, ou il ne verra pas clair, & il tiendra pour certain qu'il doit douter jufqu'à ce que la lumiere paroiffe.

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Par les chofes qui ont été dités, il fe XVII. voit de combien l'entendement eft élevé Perfection au-deffus des fens:

de l'intelli

gence au Premierement, le fens eft forcé à fe deffus du tromper à là maniere qu'il le peut être. fens. La vie ne peut pas voir un bâton, quelque droit qu'il foit à travers de l'eau, qu'elle ne le voye tortu, ou plûtôt brifé. Et elle a beau s'attacher à cet objet, jamais par elle-même, elle ne découvrira fon illufion. L'entendement au contraire n'eft jamais forcé à errer: jamais il n'erre que faute d'attention, & s'il juge mal en fuivant trop vite le fens, ou

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