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Mais toutes ces penfées ne me viennent qu'après cette perception fenfible de la lumiere que j'ai appellée fenfation, & c'eft la premiere qui s'eft faite en moi, auffi-tôt que j'ai eu ouvert les yeux.

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De même après avoir fenti que j'ai chaud, ou que j'ai froid, je puis obferver que les corps d'où me viennent ces fentimens cauferoient diverfes alterations à ma main, fi je ne m'en retirois-; que le chaud la brûleroit & la confumeroit, que le froid l'engourdiroit & la mortifieroit, & ainfi du refte. Mais ce n'eft pas-là ce que j'apperçois d'abord en m'approchant du feu & de la glace. A ce premier abord il s'eft fait en moi une certaine perception qui m'a fait dire, j'ai chaud, ou j'ai froid, & c'eft ce qu'on appelle fenfation.

Quoique la fenfation demande pour être formée, la prefence actuelle de l'objet, elle peut durer quelque temps après. Le chaud ou le froid dure dans ma main après que je l'ai éloignée, ou du feu, ou de la glace qui me la caufoient. Quand une grande lumiere, ou le Soleil même regardé fixement, a fait dans nos yeux une impreffion fort violente, il nous paroît encore aprés les avoir fermés, des couleurs d'abord affez vives, mais qui

II.
Le plaifir &

vont s'affoibliffant peu à peu, & fentblent à la fin fe perdre dans l'air. La même chose nous arrive aprés un grand bruit ; & une douce liqueur laiffe aprés qu'elle eft paffée, un moment de goût exquis. Mais tout cela n'eft qu'une fuite de la premiere touche de l'objet prefent. Le plaifir & la douleur accompagnent operations des fens : on fent du plaifir à goûter de bonnes viandes, & de la douleur à en goûter de mauvaises, & ainfi du refte.

la douleur. les

Ce chatouillement des fens qu'on trouve, par exemple, en goûtant de bons fruits de douces liqueurs, & d'autres viandes exquifes, c'eft ce qui s'appelle plaifir ou volupté. Ce fentiment importun des fens offenfés, c'eft ce qui s'appelle douleur.

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L'an & l'autre font compris fous les fentimens ou fenfations, puifqu'ils font l'un & l'autre une perception foudaine & vive qui fe fait d'abord en nous à la prefence des objets plaifans, & fâcheux, comme à la prefence d'un vin délicieux qui arrofe notre palais ; ce que nous fentons au premier abord, c'est le plaifir qu'il nous donne ; & à la prefence d'un fer qui nous perce & nous déchire, nous ne reffentons rien plûtôt, ni

plus vivement que la douleur qu'il nous caufe.

Quoique le plaifir & la douleur foient de ces chofes qui n'ont pas befoin d'être définies parce qu'elles font conçûës par elles-mêmes nous pouvons toutefois définir le plaifir, un fentiment agréable, qui convient à la nature, & la douleur un fentiment fâcheux contraire à la nature.

Il paroît que ces deux fentimens naiffent en nous comme tous les autres, à la prefence de certains corps, qui nous accommodent ou qui nous bleffent. En effet, nous fentons de la douleur quand on nous coupe, quand on nous pique quand on nous ferre, & ainfi du refte, & nous en découvrons aifément la caufe; car nous voyons ce qui nous ferre, & ce qui nous pique mais nous avons d'autres douleurs plus interieures; par exemple, des douleurs de tête & d'eftomac, des coliques & autres femblables. Nous avons la faim & la foif, qui font auffi deux efpeces de douleurs. Ces douleurs fe reffentent au-dedans, fans que nous voyions au-dehors aucune chofe qui nous les caufe. Mais nous pouvons ailément penfer qu'elles viennent des mêmes principes que les autres, c'est-à

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dire, que nous les fentons quand les par ties interieures du corps font picotées, ou ferrées par quelques humeurs qui tombent deffus, à peu prés de même maniere que nous les voyons arriver dans les parties exterieures. Ainfi toutes ces fortes de douleurs font de la même nature que celles dont nous appercevons les caufes, & appartiennent fans difficulté aux fenfations.

La douleur eft plus vive, & dure plus long-temps que le plaifir, ce qui nous doit faire fentir combien notre état ef rifte & malheureux en cette vie.

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Il ne faut pas confondre le plaifir & la douleur avec la joye & la trifteffe. Ces chofes fe fuivent de prés & nous appel1ons fouvent les unes du nom des aures: mais plus elles font approchantes, & plus on eft fujet à les confondre, plus il faut prendre foin de les diftinguer.

Le plaifir & la douleur naiffent à la prefence effective d'un corps qui touche & affecte les organes; ils font auffi reffentis en un certain endroit déterminé : par exemple, le plaifir du goût précifément fur la langue, & la douleur d'une bleffure dans la partie offenfée. Il n'en pas ainfi de la joye & de la trifteffe, qui nous n'attribuons aucune place

eft

certaine. Elles peuvent être excitées ent l'abfence des objets fenfibles, par la feule imagination, ou par la réflexion de l'efprit. On a beau imaginer & confiderer le plaifir du goût, & celui d'une odeur exquife, ou la douleur de la goutte, on n'en fait pas naître pour cela le fentiment.. Un homme qui veut exprimer le mal que lui fait la goutte nedira pas qu elle lui caufe de la trifteffe, mais de la douleur ; & auffi ne dira-t-il pas qu'il reffent une grande joye dans la bouche en buvant une liqueur délicieufe: mais qu'il y reffent un grand plaifir. Un hom me fçait qu'il eft atteint de ces fortes dé maladies mortelles, qui ne font point douloureuses, il ne fent point de douleur, & toutefois il eft plongé dans la trifteffe. Ainfi ces chofes font fort diffe-tentes. C'eft pourquoi nous avons ran gé le plaifir & la douleur avec les fenfations, & nous mettrons la joye & la trifteffe avec les paffions, dans l'appetit.

Il eft aifé maintenant.de marquer tou tes nos fenfations. Il y a celles des cinq fens il y a le plaifir & la douleur. Les plaifirs ne font pas tous d'une même efpece, & nous en reffentons de fort differens, non feulement en plufieurs fens mais dans le même. Il en faut dire autank

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