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PAGNE. 7520

de Troupes entra dans le Païs, que l'on nomme à préfent ERE D'ES- la Vieille-Caftille & le Roïaume de Léon. A en juger par les Villes qu'il détruifit entiérement, ou du moins qu'il démantela, pour les mettre hors d'état de fe révolter, il paroît qu'il trouva de la résistance. Les Villes qui se sentirent de fa barbarie par leur ruïne, furent Avila, Salamanque, Ségovie, Sentica, qui eft Zamora, Ofma, Palence, Aftorga & Léon. Auca & toutes les autres Places fortes jufqu'au pied des Montagnes des Afturies & de celles de Burgos, & jufqu'au Païs connu de nos jours, fous le nom de Biscaye, eurent un pareil fort. On ne peut trouver que dans cette défolation, le motif pour lequel plufieurs de ces Villes ont été dépeuplées pendant long-tems. D'ailleurs la preuve qu'elles étoient ouvertes, fe peut tirer de la facilité, avec laquelle le Roi Don Alfonfe le Catholique entra dans la plupart de ces Places, feulement pour en tirer les Chrétiens opprimés & les emmener avec lui dans les Afturies & dans les Montagnes, & du peu de foin qu'il prit de s'y maintenir; car fi elles avoient été fermées de bonnes murailles, ce Prince ne s'en feroit pas emparé fi aifément, & ne les auroit pas abandonnées, faute de pouvoir les garder.

Dans le même tems, Abdalaziz continuoit auffi fes Conquêtes fur les Côtes de la Méditerranée. Après avoir soumis Valence & toutes les Villes des environs, il alla affiéger Tortofe en Catalogne. L'aïant réduite, il marcha vers Tarragone, Ville très-peuplée, & Métropole de toute cette Partie Orientale de l'Espagne, où beaucoup de monde de ces Quartiers s'étoit réfugié. Cette Place fe défendit, mais aïant été emportée par la force des Armes, elle fut mise à feu & à fang, & enfevelie fous fes ruïnes, en punition de fa résistance, & pour intimider les autres. Après la destruction de Tarragone, Abdalaziz fubjugua fans peine tout ce que l'on nomme à préfent la Catalogne, jufqu'aux Pyré

nées *

* L'Abbé de Vayrac a déplacé toutes les expéditions Militaires qui fe font faites en cette année 714. foit en les mettant dans la précédente, telles que la prife de Bilbilis, de Saragoffe, &c. foit en les attribuant à ceux qui n'y ont eu aucune part immédiate, comme la réduction de Tortofe, de Tarragone, &c. qu'il donne à Muza, quoique celuia fût pour lors occupé ailleurs. Ceci Tome II,

fuffit pour faire connoître, qu'on doit
lire avec précaution ce morceau de fes
Révolutions de l'Espagne, & qu'il n'a
pas toujours fuivi Jean de Ferreras,
quoiqu'il eût dû le faire, ou du moins
en marquer la raison, après avoir dé-
claré fi folemnellement en différens en-
droits de fon Ouvrage, qu'il se faifoit
une loi de ne s'en point écarter.

Kkk

ANNE'E DE
J. C.

714.

peu

J'ai rapporté de cette maniére la Conquête de l'Efpagne
felon
par les Infidéles, parce qu'il n'est pas vraisemblable,
moi, qu'une feule Armée eût pû la faire en aufli
de
tems, qu'eft l'efpace d'une année, & trois mois qu'Ifidore
de Badajoz donne à Muza de féjour dans cette Péninfule.
En effet, comment comprendre qu'une feule Armée, qui au-
roit été obligée de faire tant de fiéges, eût pû conquérir en
quinze mois un Païs qu'elle n'auroit pas pû pendant ce tems
traverfer d'un bout à l'autre, même en courant! D'ailleurs,.
les Traités que firent plufieurs Villes avec d'autres Géné-
raux diftincts de Muza, qui étoit le Généraliffime de toutes
les Troupes des Sarazins en Efpagne, font autant de preu-
ves qu'il y avoit plus d'une Armée. Par-là je crois lever le
fcrupule que les Critiques pourroient avoir.

Retraite d'un

de Chrétiens

Biscaye.

Lorfque les Arabes faifoient la Conquête de l'Espagne, grand nombre beaucoup de Chrétiens de la partie Occidentale, fe retiredans les Aftu- rent avec tout ce qu'ils purent dans les Montagnes des Afries & dans la turies, de Burgos & de Bifcaye. Ceux de l'Arragon, de la Navarre & de la Catalogne, pafferent en France, afin de fe mettre à couvert de la fureur des Barbares, qui laiffoient par tout de triftes marques de leur cruauté. Les autres retenus par l'amour de leurs maifons, refterent chez eux à pleurer la miférable fervitude qu'ils commencerent à fouffrir, foumis en tout à la volonté des Vainqueurs (A).

ANNE'E
J. C.

714.

DE

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le Calife, &

avec lui.

Muza eft Il y a apparence qu'au commencement de la Campagne, rappellé par Muza & Taric eurent enfemble, au fujet des dépouilles, Théodomir quelques conteftations qui les brouillerent fortement. Taric va à Damas irrité & réfolu de fe venger du procédé de Muza, fit fçavoir à Walid ce qui fe paffoit en Espagne. Sur les plaintes qu'il fit, le Calife leur envoïa ordre à tous deux de paffer à fa Cour, pour lui rendre compte de leur conduite. Muza aïant reçu cet ordre, se disposa à partir, faifant embarquer les Tréfors immenfes qu'il avoit amaffés, & pour le Calife quantité d'Efclaves des principaux Gots, plufieurs jeunes Demoiselles d'une rare beauté, beaucoup de Pierres précieuses, de Perles & d'autres effets d'un grand prix, avec un Tréfor confidérable d'or & d'argent. Par la même occafion, Théodomir voulut aller trouver Walid, pour lui demander la ratification du Traité qu'il avoit fait, quand il Abdalaziz s'étoit rendu. Tout étant prêt pour le départ, Muza mit à

Gouverneur

(4) Le Roi Doa ALFONSE le Grand, & les Hiftoriens de France.

ERE D'ES PAGNE. 7520

E D'ES-
AGNE.

7520

753.

ANNE'E DE

la voile, après avoir chargé fon fils Abdalaziz du Gouver
nement Général de l'Espagne. Il emmena avec lui Taric
Théodomir & un Chrétien Africain d'une haute extrac-
tion, appellé Urbain, qui ne l'avoit pas quitté pendant tout
le tems qu'il avoit été en Espagne.

J. C. 714. Général de tout le Païs conquis en

Ils allerent débarquer en Syrie, & delà ils fe rendirent Espagne. à Damas, où le Calife tenoit fa Cour. Muza trouva Walid fort irrité contre lui, à cause des informations peu favorables, que l'on avoit données à ce Prince de fa conduite en Espagne. Il tâcha envain de se justifier fur les faits dont on l'accufoit le Calife courroucé, le fit retirer de fa présence. Théodomir fut traité d'une maniére bien différente. Walid le reçut avec affabilité & bonté, en confidération de fes grandes qualités, qui lui acquirent l'eftime universelle de tous les Chrétiens du Levant; parce qu'outre fon illuftre naiffance & fa valeur, il avoit beaucoup de Religion, une grande connoiffance des Saintes Ecritures, beaucoup de douceur, un commerce aifé, de l'éloquence & de la grace à parler (A).

715.

Théodomir s'en retourna en Espagne, après que Walid & Soliman, qui fuccéda à ce Calife, comme je le dirai bien-tôt, Retour de eurent ratifiés les Traités qu'ils avoient faits avec les Sara- Théodomir zins. Il y arriva heureusement, & il y exerça les fonctions en Espagne. de Comte parmi les Chrétiens du Païs qu'il avoit défendu avec tant de courage (B).

(4) ISIDORE de Badajoz; NovIEI

RE dans l'Histoire d'Afrique.

(B) ISIDORE de Badajoz,

2

Walid, Suprême Calife des Sarazins, termina sa vie à Damas:
les uns difent que ce fut à la mi-Février, & d'autres au
commencement de Mars, ce qui importe peu pour l'Hiftoi-
re d'Espagne. Il fut remplacé par Soliman fon frere, qui
confirma Abdalaziz dans le Gouvernement Général de l'Ef-
pagne, que Muza lui avoit donné en partant pour l'Afrique.
Ce Gouverneur, foit par ordre du Calife, foit de fon pro-
pre mouvement, entreprit de faire la defcription de tout le
Païs, pour fçavoir & régler tous les Tributs que les Peu-
ples devoient païer, parce qu'il y avoit beaucoup de Villes
& de Châteaux ruinés (c). Ce qui arriva à Muza, après
fon arrivée à Damas, est étranger à l'Histoire d'Espagne ;
c'est pourquoi je le paffe fous filence.

Saint Fructueux, natif de la Ville de Cordouë, qui avoit Mort de Si

(C) ISIDORE de Badajoz, EUTI CHIUS, ELMACIN, & d'autres.

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Mort de Wa

lid. Soliman lui fuccéde

ANNE'E DE
J. C.

715. Fru&ueux Anachoréte.

PAGNE
753-

quitté le Monde, & s'étoit retiré dans les Montagnes de
Sepulveda, où il vivoit depuis long-tems dans un Hermi- ERE D'ES
tage, uniquement occupé du Service de Dieu, mourut char-
ge d'années & de mérites, & alla jouir de la Vie Eternel-
le. Valentin & Engracie fes Saints freres l'enterrerent dans
le même Hermitage où il avoit vécu, & où l'on a fondé
depuis un Prieuré (A).

716.

que prend

Abdalaziz parcourant l'Espagne, examinoit avec foin les 754 Précautions endroits les plus propres à y conftruire des Forts, & à y étaAbdalaziz blir des Garnifons pour contenir les Peuples dans le devoir pour s'affûrer & dans la fujétion. Les nouveaux Maîtres contens de condes Peuples ferver les Villes qui fubfiftoient encore, en rebâtirent d'autres, ou rétablirent plufieurs de celles qu'ils avoient renverfées pendant la guerre. En mémoire de celle de leur Patrie, ils en nommerent plufieurs Médina, mot qui fignifieVille en leur Langue : ils firent prendre à d'autres des noms Arabes ou ceux de leurs Fondateurs ou Réédificateurs. Delà vient que l'ancienne Bilbilis dans la Celtibérie, elt appellée Calatayud, pour avoir été relevée par Ayud, qui étoit un Arabe. Cuença, Calatrava & plufieurs autres Places retinrent pareillement les noms de ceux qui les fonderent ou qui les rebâtirent. Il y a même un Historien qui prétend que Madrid dérive fon nom de celui d'un Officier Arabe, appellé Mugit, par qui elle fut fondée; mais comme il n'eft point fait mention de cette Etymologie par les Anciens, lon peut fe tenir dans les bornes de la conjecture (B).

Dans le même tems qu'Abdalaziz parcouroit le Païs conquis, afin de pourvoir à fa fûreté, il ramassa de grandes richeffes. Egalement entraîné par un penchant violent pour le Séxe, que par une cupidité infatiable, il prit un grand nombre de femmes, dont la beauté irritoit encore fon goût La Reine pour la débauche, & lui faifoit souhaiter la poffeffion. Dece Fgilone eft au nombre fut l'infortunée Egilone, femme du Roi Don RoConcubines. deric, qui par fon rang, fa beauté, fon port Majeftueux ou fon efprit, mérita plus que les autres les égards & l'affection de cet Officier. Enfin Abdalaziz, après avoir mis ordre à tout, s'en alla à Séville qu'il choifit pour fa résidence ordinaire, & où il emmena avec lui la Princeffe F.gilone (C).

nombre de les

(4) Monumens de l'Eglife de Ségovie, CALBETE, YEPES, le Marquis de MONDEJAR & d'autres.

(B) Don RODERIC dans l'Hiftoire des Arabes.

(C) ISIDORE de Badajoz

ERE D'ES

PAGNE.

II y a apparence qu'en cette année beaucoup de Chrétiens qui étoient reftés fous la Domination des Sarazins, 754 indignés de voir que leurs nouveaux Maîtres changeoient les Eglifes en Mofquées pour y faire leurs Priéres, conformément à leur Religion fuperftitieufe, prirent le parti de s'éloigner de fi barbares. Prenant avec eux tout ce gens qu'ils purent, ils fe retirent dans les Montagnes & dans la partie de la Bifcaye, où les Infidéles n'avoient point pénétré avec leurs Armes, afin de n'être point en proie à leurs tyrannies. De cette maniére, le nombre de Chrétiens groffiffoit tous les jours de plus en plus dans ces Quar

755.

tiers.

Dès qu'Abdalaziz fut établi dans Séville, il commença à fe traiter avec toute la pompe Roïale, & il époufa Egilone, donnant en plufieurs occafions des témoignages éclatans de la forte paffion qu'elle avoit allumée dans fon cœur * : l'on dit qu'Egilone le follicitoit à s'approprier l'Espagne, & l'en avoit même couronné Roi en fécret. Les airs de Grandeur qu'il affectoit dans toutes fes actions, firent foupçonner qu'il tendoit à s'attribuer la Souveraineté de tout le Païs conquis. Ce foupçon fuffit pour indifpofer les Principaux Sarazins qui jurerent fa perte. Ceux-ci avoient à leur tête un nommé Ayud, qui épia Poccafion pour exécuter leur projet. L'aïant trouvée un jour, qu'Abdalaziz devoit aller faire fa Priére dans le Temple, que les Infidéles avoient choifi pour leur Superftition, il fit appeller les autres perfonnes du complot, & il fe rendit avec elles au même lieu. Abdalaziz y étant entré, les Conjurés fe précipiterent fur lui, pendant qu'il

"

* Si l'on en croit Mariana, qui a
été fuivi par le P. d'Orléans, Abda-
laziz neut pas plutôt và Egilone
qu'il conçut pour elle une paffion ref-
pectueuse, dont il lui donna des preu-
ves fur le champ. Ils font faire tous
deux par cette Princeffe affligée, une
réponse fi fpirituelle, fi touchante & fi
digne d'une femme vertueufe, qu'on ne
peut la lire fans être attendri. Mais
quel malheur pour la mémoire d'Egi-
lone, ou plutôt pour celle d'Abdalaziz,roit
accoutumé à n'écouter que fa brutalité,
que l'on ne fçache où trouver dans les

Hiftoriens Anciens, un difcours qui
tourneroit tant à la gloire de l'un &
de autre! Combien n'auroient-ils pas
gagné tous deux', fi un Ecrivain auffi
éloquent & auffi amateur des Haran-
gues que Mariana, eût vécu de leur
tems; puifque les Critiques, faute d'au-
torité ancienne, révoquent en doute cet
difcours pathétique, qui exprime tant
la grandeur d'ame & l'extreme amour
d'Egilone pour la chafteté, & qui au-

été capable de réprimer les défirs
criminels du cœur corrompu d'Abda-
laziz.

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