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ANNE'E
J. C.

850.

Baptifte de la faveur qu'il venoit d'éprouver. Prenant en-
DE fuite fon cheval par la bride pour examiner l'endroit où

il étoit, & le danger dont la Divine Providence l'avoit
garanti, il apperçut en bas le Cerf mort. Le défir de l'avoir,
lui fit chercher un chemin par où il pût aller le quérir. Etant
défcendu de la Montagne, il remarqua qu'il y avoit au milieu
de cette Forêt, une espèce de fentier par où les bêtes fau-
ves de ces Quartiers venoient boire à une Fontaine, dont
le courant de l'eau ou l'humidité du terrein donnoit quel-
ques indices. Soit par curiofité, ou par befoin de boire, il
s'ouvrit avec fon épée un chemin dans ces broffailles, & il
s'avança jufqu'à une Grotte faite en forme d'Eglife, où
étoit un Autel dédié au Glorieux Saint Jean-Baptifte. II
y trouva un Corps tout entier, que la corruption avoit
refpecté, & fous fa tête une pierre avec une Infcription,
conçue en ces termes. Mon nom eft Jean. C'est moi qui ai fait
cette Eglife, & qui l'ai confacrée à Saint Jean-Baptiste : j'ai été
le premier qui y ait vécu par dégoût & par mepris pour les
vanités du monde, & après y avoir mené long-tems une vie so-
litaire, je repofe dans le Seigneur.

Le Saint étonné de cette merveille, conçut beaucoup de
refpect pour la Sainteté de ce Lieu & pour le Saint Corps
qu'il y avoit. Emu intérieurement, il fe profterna à terre
& renouvella à Dieu fes actions de graces. Dès ce moment,
il forma la résolution, pour plaire à la Majesté Suprême,
de quitter le Monde & de fe retirer dans cette Eglife.
Après avoir donc bien remarqué l'endroit où elle étoit, il
retourna à Saragoffe, où il raconta à fon frere Saint Fe-
lix tout ce qui lui étoit arrivé. Saint Felix, qui n'étoit pas
moins vertueux que fon frere, loua fa réfolution, & prit
même celle de l'accompagner, Ainfi tous deux de concert,
ils vendirent tous leurs biens, & après en avoir distribué
aux pauvres le produit qui étoit très-considérable, ils al-
lerent enfemble à l'Eglife où ils avoient deffein de fixer
leur demeure, Ils commencerent d'abord par la nettoïer
des ronces qui étoient crues avec le tems, & ils donne-
rent la fepulture au Corps de Saint Jean fon premier Ha-
bitant; après quoi ils commencerent à vivre d'une manié-
re Angelique. Par la fuite, la douce odeur de leurs vertus
s'étant exhalée dans cette Contrée, ils furent joints par
plufieurs autres Hommes pieux, & entre autres par Bénit

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ERE D'ES-
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& Marcel qui fleuriffoient auffi en vertus, & qui conti-
nuerent après la mort de Saint Vote & de Saint Felix, de ANNE'E DE
rendre ce Lieu recommendable *. Ce Monastére s'est ag-
grandi avec le tems & eft devenu un des plus célébres de
L'Efpagne (A).

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Motifs de

la Fondation

Je place en cette année la Fondation de ce Monaftére, parce que les Comtes de Navarre devoient déja avoir dé- placer en8 50. livré ce Païs de la Domination des Mahométans, & qu'il ne de ce Monafme paroît pas vraisemblable que ces Saints euffent embraf- tére. fé la retraite dans un lieu qui n'auroit pas appartenu aux Chrétiens. Ce qu'il y a de certain, eft qu'on ne peut tirer des Actes fûrs que l'on produit, un point fixe pour la Chronologie: c'eft pourquoi je foumets mon opinion aux personnes plus éclairées que moi, fi elles peuvent faire quelques découvertes plus affûrées; ce qui me paroît très-difficile, après les peines que tant de Grands Hommes fe font données pour y parvenir.

85r: Suite de la Perfécution

La mort de Saint Parfait, les fouffrances de Saint Jean le Marchand, & les Edits expédiés par Abderrame, pour défendre de mal parler de la Secte Mahométane, abbatirent & contre les intimiderent fi fort les Chrétiens de Cordoue, qu'il s'en trou- Chrétiens voit peu qui euffent la hardieffe de confeffer Jefus-Chrift. du Roi de Pour chaffer cette crainte, Saint Ifaac, Moine du Monafté- Cordoue.

(4) A&tes de ces Saints.

témoignages inconteftables de ces deux
vérités. Car, comment fe perfuadera-
t'on, après toutes ces circonstances, que
l'on ait fait les funerailles de Saint Jean
de la Pegna, immédiatement après fa
mort, ou que fes Difciples, s'il en
avoit eu, euffent négligé de lui don-
ner la fépulture, & euffent tellement
abandonné le lieu qui auroit été la
demeure de leur Maitre pendant fa vie,
& fon Tombeau après la mort, qu'ils
n'euffent pas feulement pris foin de
l'entretenir? Il faut done convenir que
tout ce que Mariana dit à ce fujet, eft
purement imaginaire. Delà, il eft aifé

On peut juger par tout ce détail
tiré des Actes de S. Vote & de S. Felix,
le cas que l'on doit faire de tout ce que
raconte Mariana, pour prouver l'An-
tiquité & la premiére origine du Roïau-
me de Navarre. 1°. Quand la Cha-
pelle bâtie par Saint Jean auroit fub-
fifté, dès le tems que Don Pélage ré-
gnoit dans les Afturies, ce qu'on peut
revoquer en doute; puifque l'on n'en
a aucune preuve pofitive dans les An-
ciens, il eft für que le Saint Hermite y
a vécu inconnu des Hommes. 2o. Il
eft encore plus für qu'il n'a point eu de
Difciples, quoique Mariana lui en don-de conclure que fi l'érection de fon

ne plufieurs, & qu'il n'y eut point à
fes obfèques un concours extraordinai-
re de Peuples. La Chapelle pleine de
ronces, le Corps du Saint étendu par
terre, la pierre qui étoit fous la tête,
l'Infcription qu'elle portoit, la manié-
re dont Saint Vote fit la découverte
de se précieux Tréfor, font autant de
ce

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Roiaume de Sobrarvé, dont il prétend
que les Souverains ont pris par la fui-
te le Titre de Rois de Navarre, a pour
Epoque les prétendus obfèques du Saint,
auffi tôt après la mort, elle doit être
encore mife au nombre des autres Eat
bles dont elle eft accompagnée.

dans les Etats

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DE

Martyre de plufieurs Hommes IlLuftres.

Autre de

Silles.

de Tabane, fitué au Septentrion de cette Ville, réfolut d'al-
ler à Cordoue rendre gloire publiquement à la Religion
Chrétienne. Quoiqu'il ne fût encore que peu avancé en
âge, il avoit déja fait de grands progrès dans la vertu ; de
forte qu'animé d'un Saint zéle pour le Salut de fes freres
il fe rendit de fon Monaftére dans cette Ville, où s'adref-
fant au Juge, il lui demanda ce que la Religion Mahomé-
tane enfeignoit. Après l'avoir entendu parler, il entre-
prit de le détromper fur fon erreur : ce qui fit que le Juge
irrité, le frappa au vifage, & l'envoïa en prifon. Son exem-
ple fut fuivi de plufieurs Chrétiens qui furent aussi mis
dans les Cachots avec lui. Le Juge fit auffi-tôt fon rapport
au Roi Abderrame, qui les condamna tous à mort.

En vertu des ordres du Roi, les Mahométans martyrise-
rent cette année Saint Ifaac Moine, le 3. de Juin : le cinq
du même mois Saint Sanche natif d'Albi en France, qu'ils
avoient fait captif, & qui fervoit dans les Gardes du Roi:
le 7. de Juin, Saint Pierre, Prêtre, natif d'Ezija; Saint Va-
labonfe, Diacre, natif d'Ilipa; Saint Sabinien, natif de
Froniano dans la Montagne de Cordoue; S.Wiftremond,
natif d'Ezija, tous quatre Moines dans le Monaftére de Saint
Zoïle d'Armilat, fitué à dix lieues de Cordouë; S. Evance
natif de cette Ville, Moine dans le Monaftére de Saint
Christophe, homme fort âgé, & grand Pénitent, & Saint
Jéremi qui étoit auffi Moine: le 17. de Juin, Saint Sife-
nand, Diacre de l'Eglife de Saint Afcifcle, & natif de Ba-
dajoz le 20. de Juillet, Saint Paul, Diacre de l'Eglife de
Saint Zoile, & natif de Cordouë; & le 25. du même mois,
Saint Théodemir, Moine natif de Carmone, defquels Saint
Euloge rapporte les glorieux Triomphes dans le Livre 2. du
Mémorial des Saints.

En cette année, il y eut auffi des femmes qui reçurent la deux Saintes Couronne du Martyre. La premiére fut Flore, née en un lieu nommé Aufinien, à deux lieuës, & à l'Occident de Cordoue, d'une mere Chrétienne, & d'un pere Mufulman, Un de fes freres la dénonça au Juge, lequel après l'avoir fait fouetter cruellement, la lui rendit à demi-morte, le chargeant de la faire panfer, de l'inftruire de la Loi, & de la lui ramener. Quelques jours après, Flore fe fentant guérie, s'échappa de la maifon de fon frere, & alla hors de Cordouë fe cacher chez une de fes foeurs. Informée que fon

frere

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nes,

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frere faifoit de grandes recherches après elle, & que l'on
tourmentoit à fon fujet plufieurs Chrétiens, Prêtres & Moi- ANNE'E DE
chez lefquels on croïoit qu'elle s'étoit réfugiée, elle
retourna à Cordoue pour confeffer Jefus-Chrift. Etant en-
trée dans l'Eglise de Saint Afcifcle pour se recommender
à Dieu par l'interceffion du Saint Martyr, elle rencontra
une autre Vierge, nommée Marie, Religieufe du Monafté-
re de Cuteclar, fitué à l'Occident de Cordoue. Celle-ci étoit
fœur de Saint Valabonse, & fille d'un pere Chrétien, &
d'une mere Mahométane, qui aïant été par
la fuite conver-
tie par fon mari, avoit embraffé avec zéle & avec ardeur
la Religion Chrétienne, à laquelle elle demeura constam-
ment attachée. Marie, que le défir du Martyre avoit fait for-
tir du Monaftére, étoit auffi venue à l'Eglife de Saint Af-
cifcle, pour invoquer la protection & le fecours du Ciel.
Les deux Héroïnes Chrétiennes s'étant communiqué leur
deffein, s'animerent réciproquement au glorieux Combat
qu'elles vouloient foutenir. Après avoir donc fait leur prié-
elles fortirent ensemble de l'Eglife, & elles allerent fe
préfenter au Juge, en préfence duquel elles confefferent
hardiment Jefus-Christ, & chargerent d'imprécations le
fourbe Mahomet. Auffi-tôt, elles furent arrêtées & con-
duites en prison. On les condamna ensuite à la mort, qu'el-
les fubirent le 24. de Novembre, aïant eu toutes deux le
col coupé. Saint Euloge, qui exhorta & encouragea ces
Saintes Vierges dans la prison, décrit amplement leur Mar-
tyre dans le Livre II. du Mémorial.

re,

S. Euloge

La hardieffe de ces deux Saintes & des autres Martyrs, eft inge couvrit de confufion le Roi Abderrame & fes Miniftres, qui fon craignirent qu'à leur exemple les autres Chrétiens ne méprifaffent auffi leurs rigueurs, & ne fe déchaînaffent contre le Mahométisme. Embarraffés fur ce qu'ils devoient faire, pour empêcher que leur Religion ne fût expofée au mépris, & que les Chrétiens ne vinffent s'offrir au Martyre, ils s'aviferent de faire prendre Saint Euloge, & de le mettre en prifon, perfuadés qu'il étoit l'Arcboutant de tout ce qui se faifoit. En même tems ils firent appeller l'Evêque Reca- Récafred Me fred, pour le confulter fur les moïens d'éviter de répandre trudno le fang de tant de Chrétiens. Ce Prélat, que l'on traite de veaux Métropolitain, & qui ne pouvoit l'être que de Séville ou bles dans l'Ede Mérida, quoiqu'on ne le trouve point dans les Dypti

Tome II.

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glife.

trou

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D'ES PAGNE 889.

ques de ces Eglifes, dit par une lâche & déteftable complaiANNE'E DE fance pour le Roi & pour fes Miniftres, que les Chrétiens ERA NE qui, fans néceffité, venoient volontairement méprifer la Loi de Mahomet, & confeffer Jefus-Chrift, ne devoient pas être tenus pour Martyrs, s'ils perdoient la vie à cette occafion ; & que bien loin de leur en accorder les honneurs, on devoit les regarder comme coupables de leur mort, & téméraires *. Un raifonnement fi indigne de l'auguste Caractére dont il étoit décoré, trouva des Partisans, troubla les foibles, & obligea le glorieux Saint Euloge à prendre la plume pour la défense des Saints Martyrs: ce Saint prouva qu'il étoit faux que les Chrétiens provocaffent les Juges.

berté.

S. Euloge Saint Euloge étant en prifon, écrivit une longue Lettre remis en li à Villefind, Evêque de Pampelune, & la lui envoïa par Galinde Inigo, avec des Reliques de S. Zoïle qu'il lui avoit promifes, & qui, au rapport de l'Evêque Sandoval, fe confervent dans l'Eglife de Pampelune. Enfin fix jours après le Martyre des Saintes Vierges Flore & Marie, il fortit de la prifon, comme les Saintes le lui ont prophétifé.

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Dans cette même année, Sainte Neunile & Sainte Alodie, que les uns font natives de Huefca en Aragon, & d'autres d'un Village appellé Bofca, dans la Contrée de Rioja, eurent auffi le bonheur d'obtenir la Couronne du Martyre. Nées d'un pere Mahométan & d'une mere Chrétienne, elles avoient perdu leur pere n'étant encore qu'en bas áge, & elles avoient été élevées avec beaucoup de foin par leur mere dans le Chriftianifme. Aïant eu le malheur de perdre leur mere, elles fe trouverent fous la Tutelle d'un parent de leur pere, qui zélé pour fa fuperftition, tâcha de leur perfuader de renoncer à la Religion Chrétienne qu'elles profeffoient. Leur Tuteur rebuté de leur conftance, les dénonça à Zumael, Gouverneur de cette Contrée, qui emploia différens moïens pour leur faire embraffer la Loi Mahométane. A la fin Zumael voïant que rien n'étoit capable de les ébranler, les condamna à avoir la tête tranchée; de forte que les Saintes joignirent à la Couronne blanche de

Tout ceci eft raconté dans Mariana fous l'année 850. d'où il paroît que cet Ecrivain veut faire croire que les dif cours de Récafred & du Comte Don Servant, duquel il fera parlé ailleurs,

fut ce qui détermina Abderrame à per-
fécuter les Chrétiens; mais ce font
deux fautes contre la Chronologie &
contre l'exactitude de l'Hiftoire.

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