Je fçai bien qu'au danger les autres de ma fuite Ont eu peur de la mort, & fe font mis en fuite; Mais toi, que plus que tous, j'aimai parfaitement Pour rendre en me niant ton offense plus grande, Tu fuis mes ennemis, t'affembles à leur bande, Et des maux qu'ils me font prens ton ébatement.
Le nombre eft infini des paroles empraintes Que regarde l'Apôtre en ces lumieres faintes; Et celui feulement que fous une beauté Les feux d'un œil humain ont rendu tributaire, Jugera fans mentir quel effet a pû faire
rayons immortels l'immortelle clarté.
Il est bien affûré que l'angoiffe qu'il porte Ne s'emprisonne pas fous les clefs d'une porte, que de tous côtez elle fuivra fes pas;
Mais pour ce qu'il la voit dans les yeux de fon maître, Il veut abfenter, efpérant que peut-être
Il la fentira moins en ne la voyant pas.
La place lui déplaît, où la troupe maudite Son Seigneur attaché par outrages dépite; Et craint tant de tomber en un autre forfait, Qu'il eftime déja fes oreilles coupables D'entendre ce qui fort de leurs bouches damnables, Et fes yeux d'affifter aux tourmens qu'on lui fait.
Il part, & la douleur qui d'an morne filence. Entre les ennemis couvroit fa violence, Comme il fe voit dehors a fi peu de compas, Qu'il demande tout haut que le fort favorable Lui faffe rencontrer un ami fecourable, Qui touché de pitié luy donne le trépas.
En ce piteux êtat il n'a rien de fidelle Que fa main qui le guide où l'orage l'appelle; Ses pieds comme fes yeux ont perdu leur vigueur ; Il a de tout confeil fon ame dépourvuë, Et dit, en foupirant, que la nuit de sa vuë Ne l'empêche pas tant que la nuit de fon cœur,
Sa vie auparavant fi cherement gardée, Lui femble trop long-temps ici bas retardée C'est elle qui le fâche, & le fait confumer; Il la nomme parjure, il la nomme cruelle, Et toujours fe plaignant que fa faute vient d'elle, Il n'en veut faire compte, & ne la peut aimer.
Va, laiffe moi, dit-il, va déloyale vie ; Si de te retenir autrefois j'eus l'envie, Et fi j'ai defiré que tu fuffes chez moi Puifque tu m'as êté fi mauvaise compagne, Ton infidele foi maintenant je dédagne ; Quitte moi, je te quitte, & ne veux plus de toi.
Sont-ce tes beaux deffeins, menfongere & méchante, Qu'une feconde fois ta malice m'enchante Et que pour retarder une heure feulement La nuit déja prochaine à ta courte journée, Je demeure en danger que l'ame, qui eft née Pour ne mourir jamais, meure éternellement.
Non, ne m'abufe plus d'une lâche pensée; Le coup encore frais de ma chûte paffée Me doit avoir appris à me tenir debout,. Et fçavoir difcerner de la treve la guerre, Des richeffes, du ciel les fanges de la terre,. Et d'un bien qui s'envole un qui n'a point de bout.
Si quelqu'un d'avanture en délices abonde, Il fe perd auffi-tôt & déloge du monde ; Qui te porte amitié, c'est à lui que tu nuis; Ceux qui te veulent mal, font ceux que tu conferves; Tu vas à qui te fuit, & toujours le réserves A fouffrir, en vivant, davantage d'ennuis.
On voit par ta rigueur tant de blondes jeuneffes, Tant de riches grandeurs, tant d'heureufes vieilleffes, En fuyant le trépas, au trépas arriver; Et celui qui chétif aux miferes fuccombe, Sans vouloir autre bien que celui de la tombe, N'ayant qu'un jour à vivre, il ne peut l'achever.
Que d'hommes fortunez en leur âge premiere, Trompez de l'inconftance à nos ans coûtumiere, Du depuis fe font vûs en étrange langueur ; Qui fuffent morts contens, fi le ciel amiable Ne les abufant pas en ton sein variable, Au temps de leur repos eût coupé ta longueur.
Quiconque du plaifir a fon ame affouvie, Plein d'honneur & de bien, non fujet à l'envie, Sans jamais en fon aife un mal-aise éprouver, S'il demande à fes jours davantage de terme, Que fait-il ignorant, qu'attendre de pied ferme De voir à fon beau temps un orage arriver?
Et moi, fi de mes jours l'importune durée Ne m'eût en vieilliffant la cervelle empirée, Ne devois-je être fage, & me reffouvenir D'avoir vu la lumiere aux aveugles renduë Rebailler aux muets la parole perduë, Et faire dans les corps les ames revenir?
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