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Je fçai bien que ma langue ayant commis l'offense,
Mon cœur incontinent en a fait pénitence.
Mais quoi ! Si peu de cas ne me rend satisfait.
Mon
regret eft fi grand, & ma faute fi grande,
Qu'une mer éternelle à mes yeux je demande
Pour pleurer à jamais le péché que j'ai fait.

Pendant que le chétif en ce point fe lamente,
S'arrache les cheveux, fe bat & fe tourmente,
En tant d'extrémités cruellement reduit,
Il chemine toujours; mais rêvant à fa peine,
Sans donner à fes pas une regle certaine,
Il erre vagabond où le pied le conduit.

A la fin égaré (car la nuit qui le trouble
Par les eaux de fes pleurs fon ombrage redouble)
Soit un cas d'avanture, ou que Dieu l'ait permis,
Il arrive au jardin, où la bouche du traître,
Profanant d'un baifer la bouche de fon maître,
Pour en priver les bons aux méchans l'a remis.

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Comme un homme dolent, que le glaive contraire
A privé de fon fils & du titre de pere,
Plaignant de-çà de-là fon malheur avenu,
S'il arrive en la place où s'eft fait le dommage,
L'ennui renouvellé plus rudement l'outrage
En voyant le fujet à fes yeux revenu.

Le vieillard, qui n'attend une telle rencontre,
Si-tôt qu'au dépourvû fa fortune lui montre
Le lieu qui fut témoin d'un fi lâche méfait,
De nouvelles fureurs fe déchire & s'entame
Et de tous les pensers qui travaillent son ame
L'extrême cruauté plus cruelle se fait,

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Toutefois il n'a rien qu'une tristesse peinte;
Ses ennuis font des jeux, fon angoiffe une feinte,
Son malheur un bonheur & fes larmes un ris,
Au prix de ce qu'ils fent, quand fa vuë abaiffée
Remarque les endroits où la terre preffée
A des pieds du Sauveur les veftiges écrits.

C'est alors que fes cris en tonnetres s'éclatent,
Ses foupirs se font vents, qui les chênes combattent,
Et fes pleurs, qui tantôt descendoient mollement,
Reffemblent un torrent qui, des hautes montagnes.
Ravageant & noyant les voifines campagnes,
Veut que tout l'univers ne foit qu'un élement,

Il y fiche fes yeux, il les baigne, il les baise,

Il fe couche deffus, & feroit à fon aise
S'il pouvoit avec eux à jamais s'attacher.
Il demeure muet du refpect qu'il leur porte:
Mais enfin la douleur, se rendant la plus forte
Lui fait encore un coup une plainte arracher.

Pas adorés de moi, quand par accoûtumance
Je n'aurois, comme j'ai, de vous la connoiffance
Tant de perfections vous découvrent affez;
Vous avez une odeur des parfums d'Affyrie,
Les autres ne l'ont pas, & la terre flétrie
Eft belle feulement où vous êtes paffez,

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Beaux pas de ces feuls pieds que les aftres connoiffent,
Comme ores à mes yeux vos marques apparoiffent!
Telle autrefois de vous la merveille me prit,
Quand, déjà demi-clos fous la vague profonde,
Vous ayant appellés, vous affermîtes l'onde,
Et m'affûrant les pieds m'étonnâtes l'efprit.

Mais, ô de tant de biens indigne recompenfe!
O deffus les fablons inutile femence!

Une peur,
ô Seigneur, m'a féparé de toi ;
Et d'une ame femblable à la mienne parjure,
Tous ceux qui furent tiens, s'ils ne t'ont fait injure,
Ont laiffé ta préfence & t'ont manqué de foi.

De douze, deux fois cinq étonnez de courage,
Par une lâche fuite éviterent l'orage,
Et tournerent le dos quand tu fus affailli;
L'autre qui fut gagné d'une fale avarice,
Fit un prix de ta vie à l'injufte fupplice;
Et l'autre, en te niant, plus que tous a failli.

C'eft chofe à mon efprit impoffible à comprendre,
Et nul autre que toi ne me la peut apprendre,
Comme a pû ta bonté nos outrages fouffrir.
Et qu'attend plus de nous ta longue patience,
Sinon qu'à l'homme ingrat la feule confcience
Doit être le couteau qui le faffe mourir?

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Toutefois tu fçais tout, tu connois qui nous fommes, Tu vois quelle inconftance accompagne les hommes, Faciles à fléchir quand il faut endurer.

Si j'ai fait, comme un homme, en faisant une offense; Tu feras, comme Dieu, d'en laiffer la vangeance, Et m'ôter un fujet de me défefperer.

Au moins, fi les regrets de ma faute avenuë M'ont de ton amitié quelque part retenuë; Pendant que je me trouve au milieu de tes pas, Defireux de l'honneur d'une fi belle tombe, Afin qu'en autre part ma dépouille ne tombe, Puifque ma fin eft près, ne la recule pas.

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