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faire, & ne les pouvoit approuver. Racan en fit un ou deux: mais ce fut le premier qui s'en ennuia; ( &, come il en vouloit détourner Malherbe, en lui difant « que ce n'êtoit

pas faire un Sonnet, que de paffer par deffus les règles » ordinaires ». Malherbe lui répondit: Eh bien, Monfieur! Si ce n'eft un Sonnet, ce font des Vers.) A la fin auffi Malherbe s'en dégouta; & il n'y a eu que Maynard de tous fes Ecoliers, qui ait continué d'en faire jufqu'à la mort. Malherbe les quita de lui-même, lorfque Coulomby & Racan ne l'en perfécutoient plus. C'étoit fon ordinaire de s'opiniâtrer d'abord contre le confeil de fes amis, & de s'y rendre après de luimême. (3).

XXIV. Il avoit averfion des fictions poètiques ; & en lifant une Elégie de Regnier à Henri le Grand, qui com

mence,

Il étoit prefque jour, & le Ciel foûriant, &c.

& où il feint que la France s'enleva en l'air pour parler à Jupiter, & fe plaindre du miférable êtat où elle êtoit pendant la Ligue; il demandoit à Regnier en quel tems cela êtoit arrivé; & difoit « qu'il avoit toujours demeuré en France » depuis cinquante ans, & qu'il ne s'étoit point apperçu qu'elle fe fût enlevée hors de fa place ».

XXV. IL avoit un Frère aîné, avec lequel il avoit toujours êté en procès ; & comme un de fes amis fe plaignoit de cette mauvaise intelligence, Malherbe lui dit, « qu'il ne pou» voit pas en avoir avec les Turcs & les Moscovites, avec » qui il n'avoit rien à partager ».

XXVI. IL perdit fa Mère environ l'an 1615, c'est-à-dire êtant âgé de plus de foixante ans ; &, come la Reine Mère envoia un Gentilhome pour le confoler, il dit à ce Gentilhome, « qu'il ne pouvoit fe revancher de l'honeur que lui » faifoit la Reine, qu'en priant Dieu que le Roi fon Fils >> pleurât fa mort auffi vieux, qu'il pleuroit celle de fa Mère ».

XXVII. IL ne pouvoit fouffrir que les Pauvres, demandant l'aumône, diffent: Noble Gentilhome. Il difoit « que Noble » étoit fuperflu; & que, s'i! êtoit Gentilhome, il étoit noble ». Quand les Pauvres lui difoient qu'ils prioient Dieu pour lui, il leur répondoit « qu'il ne croioit pas qu'ils euffent grand » crédit au Ciel, vu le mauvais êtat auquel il les laiffoit en » ce monde ; & qu'il eût mieux aimé que M. de Luines, ou

fet encore à prouver qu'en 1630 on n'a pas récueilli toutes les Pièces de Dotre Poète.

(3) DANS les Morceaux de ces Memoires que Ménage cite, Racan,

en parlant de fon Maître, dit toujours M. de Malherbe. J'ai cru qu'il fuhreit d'en avertir. Les Phrafes, qui fuivent ces mots, jufqu'à la mort, font confervés de Saint-Ullans.

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» quelque autre Favori lui eût fait la même promeffe (1)", XXVIII. M. DE TERMES reprenant Racan d'un Vers qu'il a changé depuis, & où il y avoit, parlant d'un home champêtre :

Le labeur de fes mains rend fa maifon profpère ; Racan lui répondit que Malherbe avoit ufé de ce mot profpere, en ce Vers,

O que nos fortunes profpères (1).

Malherbe, qui étoit préfent, lui dit brufquement: Eh bien, morbleu! Si je fais une fotife, en voules-vous faire une autre? XXIX. QUAND on lui montroit des Vers, où il y avoit des mots fuperflus, il difoit, « que c'étoit une bride de cheval attachée avec une éguillète ».

XXX. UN home de robe & de condition lui apporta des Vers affés mal polis, qu'il avoit faits à la louange d'une Dame, & lui dit, avant que de les lui montrer, que des confidérations particulières l'avoient obligé de faire ces Vers. Malherbe les lut avec mépris ; & lui demanda, après qu'il eût achevé, « s'il avoit êté condamné à être pendu, ou à faire ces Vers-là; parce qu'à moins de cela il ne devoit » pas expofer fa réputation, en produifant une Pièce fi ridi» cule (1)».

XXXI. S'ETAN T vêtu un jour extraordinairement à cause du grand froid, il avoit encore étendu fur la fenêtre trois ou quatre aunes de Frife verte; & come on lui demanda ce qu'il vouloit faire de cette Frife, il répondit brusquement: Je pense qu'il eft avis à ce froid qu'il n'y a point de Frife dans Paris. Je lui montrerai bien que fi. En même tems aiant mis à fes jambes une fi grande quantité de bas, prefque tous

XXVII. (1) VOICI, dit Brieux de Mofant dans fa Lètre citée plus haut une Hiftoriete de notre Poète, que je tiens de M. le Picard, Confeiller en notre Baillage (de Caen.) Un Gueux, paffant par la Rue, leur demanda l'aumône. Malherbe qui d'ailleurs avoit l'ame affes tendre, & qui étoit charitable, le rebuta, en difant: "Voïés-vous bien ce Co» quin. Il eft velu depuis la plante des pieds jufqu'au fommet de la tête, ,,velu par le col, velu par les bras & les mains velu , par les jambes, velu par tout le corps: ergo aut ro,, buftus, aut dives, aut lafcivus. S'il . eft fort, qu'il travaille. S'il eft ri,, che, il n'a befoin de rien. S'il eft paillard, je ne dois pas fournir d fes débauches,..

XXVIII. (1) CI, P. 87.

X X X. (1) LE Fere Bougercl

rapporte dans la Vie de Gaffendi, que le Grand Prieur (Henri d'Angouleme) aiant demandé à Malherbe fon ferti ment fur quelques Vers de fa compofition; Malherbe lui répondit " qu'il

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les faloit fupprimer, parce qu'il ne ,, conveacit pas à un Prince de doner », unOuvrage à moins qu'il ne fût par,, fait,,. Le fait fuivant fe lit au mot POETE dans le SORBERIANA. Malherbe avoit êté prié par un Poète Provincial de lui corriger une Ode au Roi. Le Bon-home, come le Poète revint, lui dit qu'il n'y avoit que quatre

mots à ajouter,,. Le Poète pria Malherbe qu'il eût l'honeur de les recevoir écrits de fa main. Malherbe écrivit at deffous du titre AU RO1: pour tocher fon cul, plia le papier & le dona au Poère, qui l'en remercia un million de fois & partit fans voir ce qu'il avoie écrit.

noirs, qu'il ne fe pouvoit chauffer également qu'avec des jetons; Racan arriva dans fa chambre come il étoit en cet état-là, & lui confeilla, pour fe délivrer de la peine de fe fervir de jetons, de mètre à chacun de fes Bas un ruban de quelque couleur, ou une marque foie qui commençât par une Lètre de l'Alphabet, come au premier un ruban ou un bout de foie amarante, au fecond un bleu, au troisième un cramoifi & ainfi des autres. Malherbe, approuvant ce confeil, l'exécuta à l'heure même ; & le lendemain venant dîner chés M. de Bellegarde, en voïant Racan, il lui dit, au lieu de bon jour : J'en ai jufqu'à l'L. De quoi tout le monde fut fort furpris; & Racan même eut de la peine à concevoir d'abord ce qu'il vouloit dire, ne fe fouvenant pas alors du confeil qu'il lui avoit doné le jour précèdent. Il difoit auffi à ce propos « que Dieu n'avoit fait le froid que pour les >> Pauvres & pour les Sots; & que ceux qui avoient le moïen » de fe bien chauffer & bien habiller, ne devoient point fouffrir de froid ».

XXXII. QUAND on lui parloit des affaires d'Etat, il avoit toujours ce mot en la bouche, qu'il a mis dans l'Epître liminaire de Tite-Live, adreffée à M. de Luines (1), « qu'il ne faloit point fe mêler de la conduite d'un vaisseau, » où l'on n'êtoit que fimple paffager ».

XXXIII. UNE fois, Henri le Grand lui montrant la première Lètre que le feu Roi Louis XIII avoit écrite à Sa Majefté; Malherbe aiant remarqué qu'il avoit figné Lois au lieu de Louis, demanda affés brufquement au Roi, « Si Mon» seigneur le Dauphin avoit nom Lois ». Le Roi, étoné de cette demande, en voulut favoir la caufe. Malherbe lui fit voir qu'il avoit figné Lois & non pas Louis; ce qui dona lieu d'envoier querir celui qui apprenoit à écrire à Monfeigneur le Dauphin, pour lui enjoindre de lui faire mieux ortographier fon nom. Et voila d'où vient Malherbe difoit «etre caufe que le défunt Roi s'appelloit Louis ».

XXXIV. COME les Etats Généraux se tenoient à Paris (1), il y eut une grande conteftation entre le Tiers - Etat & le Clergé, qui dona fujet à cette belle Harangue de M. le Cardinal du Perron ; & cette affaire s'échauffant, les Evêques menaçoient de fe retirer & de mètre la France en interdit. M. de Bellegarde, entretenant Malherbe de l'appréhenfion qu'il

XXXII. (1) RACAN veut parler de la traduction du XXXIIIe Livre de Tire, dediée au Conétable de Luines. Elle fut imprimée pour la premiere

fois à Paris en 1621 in-8°. chés Touffaine du Bray.

XXXIV. (1) CE font les derniers Etats, tenus en 1614.

avoit d'être excommunié, Malherbe lui dit, pour le confoler, « qu'au contraire il devoit s'en réjouir ; & que devenant tout >> noir come font les Excommuniés, cela le délivreroit de la » peine qu'il prenoit tous les jours de fe peindre la barbe & » les cheveux ».

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XXXV. UNE autre fois, il difoit à M. de Bellegarde : Vous faites bien le galant & l'amoureux des belles Dames. Lifés-vous encore à livre ouvert? C'êtoit fa façon de parler, pour dire, s'il êtoit encore prêt à les fervir. M. de Bellegarde lui dit qu'oui. Malherbe lui répondit en ces mots : Parbleu, Monfieur ! J'aimerois mieux vous ressembler en cela, qu'en votre Duché & Pairie ( 1 ).

XXXVI. UN jour, Henri le Grand lui montra des Vers qu'on lui avoit donés, & qui commençoient:

TOUJOURS l'heur & la gloire

Soient à votre côté !

De vos faits la mémoire

Dure à l'éternité !

Malherbe fur le champ, & fans en lire d'avantage, les retourna de cette forte:

QUE l'épée & la dague
Soient à votre côté !
Ne courés point la bague,
Si vous n'êtes boté.

Et la deffus il fe retira, fans faire aucun jugement.

XXXVII. JE ne fais fi le feftin qu'il fit à fix de fes amis, & où il faifoit le feptième, pouroit avoir place dans fa vie. D'abord il n'en avoit prié que quatre; favoir M. de Fouquerolles, Enfeigne ou Lieutenant aux Gardes du Corps ; M. de La Mazure, Gentilhome de Normandie, qui êtoit à la fuite de M. de Bellegarde; M. de Coulomby & M. Patris (1): mais le jour de devant que fe devoit faire le feftin, Yvrande ( 2 ) & Racan revinrent de Touraine, de la maifon de Racan. Etant dêcendus chés Malherbe, fi-tôt qu'il les vit, il commanda à fon Valet d'acheter encore deux chapons, & les pria de venir le lendemain dîner chés lui. Enfin, pour le faire

XXXV. VOIE's les Létres de Malherbe, Liv. II, Lèt. XVII.

XXXVII. (1) PIERRE Patris ou Patrix, naquit à Caen en 1583, & mourut à Paris le 6 d'O&obre 1677. Il étoit Coufin de Desyveteaux; & fut Gentihome de Gafton de France, Duc d'Orléans, qui le fit Gouverneur de Limours. On trouve de fes Poèfies dans différens Recueils. Il n'a doné lui-même au public qu'un petit Volume de Vers de piété, qui parut à

Blois en 1660, fous ce titre : La miféricorde de Dieu fur un Pécheur pénitent. C'eft peut-être ce que nous avions de mieux en ce genre.

(1) CET Yvrande étoit un Gentilhome, Difciple de Malherbe, ainfi que Racan le dit plus bas. Je ne le connois point d'ailleurs. On m'a pourtant affuré que dans nos anciens Recueils de Poèfies, il le trouve des Pièces fignées Y, dont il pourroit étre l'Auteur. Elles m'ont échapé.

court, tout le feftin ne fut que de fept chapons bouillis, dont il leur fit fervir un à chacun, & leur dit : Meffieurs, je vous aime tous également, c'est pourquoi, je veux vous traiter de même, & ne prétens pas que vous aiés d'avantage l'un fur l'autre.

XXXVIII. TOUT fon contentement êtoit de s'entretenir avec fes amis particuliers, come Racan, Coulomby, Yvrande, & autres du mépris de toutes les chofes que l'on eftime le plus dans le monde. En voici un exemple. Il difoit souvent à Racan « que c'étoit une folie de fe vanter d'être d'une an» ciène nobleffe; & que plus elle étoit anciène, & plus elle étoit douteufe; qu'il ne faloit qu'une Femme lafcive pour » pervertir le fang des Céfars; & que tel, qui penfoit être issu » de ces grands Héros, êtoit peut-être venu d'un Valet de >> chambre ou d'un Violon (1) ». Il ne s'épargnoit pas lui-même en l'art où il excelloit. Il difoit fouvent à Racan: Voiesvous, Monfieur, fi nos Vers vivent après nous, toute la gloire que nous en pouvons espérer, eft qu'on dira que nous avons été deux excellens arrangeurs de fillabes; que nous avons eu une grande puiffance fur les paroles, pour les placer fi à propos chacune en leur rang; & que nous avons été tous deux bien fous de paffer la meilleure partie de notre âge dans un exercice fi peu utile au public & à nous-même, au lieu de l'emploter à nous doner du bon tems, ou à penser à l'établissement de notre fortune (2). Il avoit auffi un grand mépris pour tous les homes en général; &, après avoir fait le récit du péché de Cain & de la mort d'Abel fon Frère, il difoit à peu près: Voilà un beau début! Ils n'êtoient que trois ou quatre au monde, & l'un d'eux va tuer fon Frère ! Que Dieu pouvoit-il efpérer des homes après cela? N'eût-il pas mieux fait d'en éteindre dès l'heure même pour jamais l'engeance? Voila les difcours ordinaires, qu'il tenoit avec les plus familiers amis mais ils ne fe peuvent exprimer avec la grace qu'il les prononçoit, parce qu'ils tiroient leur plus grand ornement de fon gefte & du ton de fa voix (3).

XXXVIII. (1) DESPRE AUX, dans fa fixième Satire, a fait ufage de cette Penfe, qui n'en a pas acquis plus de vérité pour cela.

(2) LES paroles, que Racan met ici dans la bouche de Malherbe, font la réponse la plus jufte qui fe puiffe oppoter aux reproches de préfomption & d'orgueil, que l'on a faits à ce Poète fur les louanges, qu'il fe dose à lui-même dans quelques endroits de fes Poèfics. Il te louoit en Vers, à l'exemple de Pindare, d'Ho

race & d'un grand nombre d'autres Poètes: mais lorsqu'en home de bon fens, en Philofophe, il ouvroit fon coeur à fon ami, fa fincérité lui faifant réduire le mêtier de Poète à la jufte valeur qu'il peut avoir, il fe montroit au fond très éloigné d'en tirer vanité. Voiés x L.

(3) BALZAC (Entret. XXXVII.) eft peu d'accord avec Racan, & dit: Malherbe difoit les plus belles chofes du monde mais il ne les difoit pas de bone grace, & il étoit le plus mau

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