Imágenes de páginas
PDF
EPUB

CHAP I.

LONG-TEMS avant qu'on connut la reproduction du Polype, les Phyficiens admiroient celle des pattes de l'Écreviffe mais perfonne ne l'avoit fuivie avec plus d'exactitude & de fagacité que M. de REAUMUR (1).

LES pattes de l'Écreviffe ont cinq articulations: fi l'on compte du bout de la pince, c'eft à la quatrieme que la patte se caffe le plus fréquemment, & qu'elle fe reproduit le plus facilement.

LORSQUE la patte a été caffée à cet endroit ou près de cct endroit, par accident ou à deffein, la partie qui refte attachée au corps & qui contient deux articulations, montre à fon bout antérieur une ouverture ronde, qu'on peut comparer à celle d'un étui d'écaille. Une fubftance charnue occupe tout l'intérieur de cet étui. Au bout d'un jour ou deux, fi c'est en Été, une membrane rougeâtre vient fermer l'ouverture, en s'étendant deffus comme un morceau d'étoffe. Elle eft d'abord plane; quatre à cinq jours après, elle prend de la convexité. Cette convexité augmente. Le milieu ou le centre s'éleve plus que le refte; il s'éleve de plus en plus un petit cône paroît; & ce cône n'a gueres qu'une ligne de hauteur. Il s'alonge fans que la bafe s'élargiffe, & au bout d'environ dix jours, il a quelquefois plus de trois lignes de hauteur. Il n'eft pas creux, des chairs le rempliffent; & ces chairs font les élémens d'une nouvelle patte. La membrane qui les enveloppe, fait à l'égard de la patte naiffante l'office des membranes du Foetus. Elle s'étend à mesure que l'Embryon croît. Comme elle eft affez épaiffe, elle ne laiffe voir qu'un cône alongé. Quinze jours s'étant écoulés, ce cône s'incline vers la tête de l'Animal. Il fe recourbe de plus en plus les jours fuivans. Il commence à prendre la figure d'une patte d'Écreviffe morte. Cette patte encore incapable d'action, acquiert jusqu'à fix à sept lignes de (1) Mémoires de l'Académie Royale des Sciences: Année 17:2,

[ocr errors]

longueur, dans un mois ou cinq femaines. La membrane qui CHAP. I. la renferme devenant plus mince à mesure qu'elle s'étend, permet d'appercevoir les parties propres à la patte, & l'on reconnoît alors que cette maffe conique n'eft pas une fimple carnofité. Le moment eft venu où la patte va éclorre. A force de s'amincir, la membrane fe déchire, & laiffe à découvert lą nouvelle patte encore molle, & qui au bout de peu de jours, se trouve recouverte d'une écaille auffi dure que celle de l'ancienne patte. Elle n'a gueres que la moitié de fa longueur, & elle eft fort déliée; déja néanmoins elle s'acquitte de toutes, fes fonctions,

[ocr errors]

Si au lieu de caffer la patte à la quatrieme jointure, on la caffe ailleurs, ou fi on ne fait fimplement qu'emporter la pince, ou une partie de la pince, l'Animal recouvrera précisément ce qu'il aura perdu.

La même reproduction s'opére dans les jambes & dans les cornes; mais la queue ne fe régénere point, & l'Écreviffe à qui on l'a coupée, ne furvit que peu de jours à l'opéra tion (1).

CCLIII. AVANT que d'effayer d'appliquer ces observations à la multiplication des Polypes, revenons fur nos pas, & tâchons à déduire des faits, les conféquences naturelles qui peuvent nous conduire à une explication philofophique des reproductions que je viens de décrire.

[merged small][ocr errors][merged small]

Effai d'ex

plication pofés dans ce Chapitre.

des faits ex

Principes ti rés des re

CHAP. I. productions végétales.

Application

aux reproductions animales

dont il eft ici queftion.

J'AI fait voir dans ce Chapitre combien la reproduction des Vers de terre eft analogue à celle des Végétaux: j'ai montré enfuite qu'il n'y a pas moins d'analogie entre la reproduction des Vers d'eau douce & celle des Vers de terre. Une nouvelle écorce, un nouveau bois, doivent leur naissance à des especes de filamens cachés dans l'ancienne écorce ou dans l'ancien bois, qui s'étendent, s'épaiffiffent & forment peu-à-peu des lames minces, concentriques les unes aux autres. Une nouvelle branche tire fon origine d'un bouton qui renferme un bourgeon, & ce bourgeon eft une branche en raccourci, ou dont toutes les parties déja préformées co-existent enfemble. Je nomme ce bourgeon un Tout organique, parce qu'il repréfente l'Espece en petit. I eft aifé de voir qu'une branche eit un petit Arbre qui croit fur un grand Arbre de même espece. Je ne regarde pas comme de vrais Touts organiques les filamens ou les lamelles dont l'écorce & le bois tirent leur origine. L'écorce ou le bois ne font, à proprement parler, que des parties conftituantes d'un Tout organique. Ils ne le repréfentent point en petit, parce que cette repréfentation tient à des formes, à des proportions, à un arrangement, à une organifation qui ne fe trouvent point dans de fimples feuillets corticaux ou ligneux. Mais ces feuillets font repréfentés en petit par les filamens gélatineux qui les produifent, & qui fe développent de la maniere que j'ai décrite dans le Chapitre XII, de la premiere Partie.

AINSI dans l'Animal, la régénération d'une nouvelle peau tient, comme celle d'une nouvelle écorce, à des filamens gélatineux, qu'une dérivation accidentelle des fucs nourriciers met en état de fe développer. C'eft ce que l'on reconnoît en ob. fervant tout ce qui fe paffe dans la confolidation des plaies. On voit affez que ces filamens étoient des parties infiniment petites de l'ancienne peau, qui ne fe feroient peut-être jamais développées fans l'intervention d'une circonftance accidentelle,

& qui avoient été mises en réserve pour cette circonftance ou pour d'autres circonftances analogues. Je renvoie fur cela à l'Article CCXXXVI.

MAIS quand il s'agit de produire dans l'Animal un nouveau Tout organique, ou une nouvelle partie intégrante, qui est elle-même à quelques égards, un petit Tout organique, la Nature paroît s'y prendre de la même maniere que pour produire dans le Végétal une nouvelle branche. Elle a préformé cette branche, elle l'a renfermée en petit dans un bouton, & fa production eft moins une vraie génération, que le fimple développement de ce qui étoit déja tout formé. La Nature paroît avoir de même renfermé en petit dans une efpece de bouton, les parties que les Infectes reproduifent à la place de celles qu'ils ont perdues. C'est ce que l'on voit pour ainfi dire à l'œil, dans la multiplication des Vers qui reproduifent de bouture, & dans la reproduction des pattes de l'Écrevisse. La nouvelle partie paffe par tous les degrés d'accroiffement par lefquels l'Animal lui-même a paffé pour parvenir à Pétat de perfection. On lui retrouve dans les premiers tems la même forme effentielle, les mêmes organes qu'elle offrira dans la fuite plus en grand. La circulation du fang eft très-vifible dans cet appendice vermiforme fi délié, qui pouffe au bout poftérieur d'un Ver de terre, & qui doit devenir une nouvelle partie poftérieure. Des arteres fuppofent des veines; les unes: & les autres fuppofent des nerfs & bien d'autres organes. Tout cela co-existe donc à la fois; car comment concevoir que dif férentes parties destinées à former un même Tout, à concourir enfemble au même but & dont par conféquent toutes les actions font confpirantes ou relatives, foient produites les unes après les autres par appofition, ou par une méchanique fecrette? Comment pourroit-on admettre une telle formation, quand on est parvenu à s'affurer que toutes les parties du Poulet coexiftent ensemble, long-tems avant qu'elles tombent fous nos

CHAP. I.

CHAP. I.

Conféquen

ce.

fens (1)? Pourquoi la partie qui fe reproduit eft-elle fi difpro portionnée à celle qu'elle va remplacer ? Pourquoi eft-elle fi molle, fi délicate, fi déliée ? Pourquoi fes articulations fontelles fi ferrées, fi rapprochées les unes des autres ? C'est que ce n'eft pas l'ancien Tout ou le tronçon, qui croît & forme cette nouvelle production; c'eft un nouveau Tout qui fe développe dans l'ancien, & à l'aide des fucs que celui-ci lui fournit. Je ne crois pas qu'il foit poffible de fe refuser à cette conféquence, lorfqu'on a fuivi avec foin la régénération des Vers qui multiplient de bouture, & qu'on a vu & revu cent fois par fes propres yeux cette régénération merveilleufe. Mais les Phyficiens qui ont combattu le fentiment que j'adopte, paroissent avoir été plus touchés de la gloire d'enfanter un nouveau fyftême, que du plaifir plus philofophique & moins bruyant d'étudier la Nature dans un Infecte. Je ne fais point ici de systême; car je n'entreprends point d'expliquer comment l'Animal fe forme je le fuppofe préformé dès le commencement, & ma fuppofition repofe fur des faits qui ont été bien obfervés. Ce feroit en vain qu'on objecteroit que fi l'on pouvoit prendre l'Animal de plus haut, on ne le trouveroit pas préformé je n'imagine pas qu'on puiffe le prendre de plus haut que l'a fait M. de HALLER, quand il a démontré que le Poulet préexifte dans l'oeuf à la fécondation (2).

CCLIV. L'AUTEUR de la Nature a donc renfermé dans les ovaires de la Poule, les Germes des Poulets qui en doivent naître. L'on peut dire qu'il a de même placé dans le corps de différens Vers, des efpeces d'ovaires qui contiennent des Germes prolifiques. Mais au lieu que les ovaires de la Poule occupent une région particuliere, ceux de nos Vers font répandus dans tout le tronc. L'expérience le démontre, puis

(1) Voyez le Chap. IX de la premiere Partie.

(2) Ibid. PREM. FAIT, Chap. IX.

qu'en

« AnteriorContinuar »