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II. On ne cherche pas une fi grande conformité de fon, quand on fait rimer un monofyllabe avec un autre monofyllabe ou avec un mot de plufieurs fyllabes. Il fuffit que le fon effentiel à la rime s'y trouve. Ainfi loi rimera avec foi & avec éfroi: pas avec bas & avec états; paix avec faix & avec jamais; mis avec pris & avec fortis; dit avec efprit; vous avec loups & avec courroux, &c. & par la même raifon il n'y a rien d'irrégulier dans la rime de ces deux Vers:

Lui que tu fis languir dans des tourmens honteux,
Lui dont l'aspect ici te fait baisser les ieux.

III. Quand il n'y a qu'un très-petit nombre de mots où les fons effentiels à la rime foient précédés des mêmes confones ou des mêmes voyeles, cette rareté difpenfe des regles que nous venons d'établir, & autorife à fe contenter de rimes fuffifantes. Ainfi parce qu'il n'y a que très-peu de mots terminés en pir, on fait timer foupir avec défir; & on fait rimer trahir avec obéir, à cause du petit nombre de mots où ir est précédé des mêmes voyeles.

Cette licence ne peut regarder qu'un très-petit nombre de mots terminés en u, us, ut, is, it & ir: encore faut-il en ufer avec beaucoup de ménagement, & quand on eft abfolument forcé par la difete de la rime.

Mais à l'égard des mots terminés en é fermé seul, ou fuivi des lettres S ,, r & en i feul, le nombre en eft fi grand, qu'on ne doit jamais fe difpenfer de les faire rimer par les confones ou voyeles qui précedent l'e & l'i. Ainfi quelque beaux que foient ces Vers pour le fens, ils péchent par la rime:

Un juge incorruptible y raffemble à fes pieds
Ces immortels efprits que fon foufle a créés.

Ayez pitié d'un cœur de foi-même ennemi,

Moins malheureux cent fois, quand vous l'avez haï.

La terminaifon en ai des prétérits de l'indicatif des Verbes de la premiere conjugaifon, des futurs de tous les Verbes, & du préfent de l'indicatif du Verbe avoir, ayant le fon de l'é fermé, on peut fort bien la faire rimer avec un mot terminé en é fermé, comme dans ces Vers:

Vaincu, chargé de fers, de regret confumé,
Brûlé de plus de feux que je n'en alumai....

Mon oncle, foyez sûr que je ne partirai
Qu'après vous avoir bien cloué, bien muré.

Non, je ne prétends plus demeurer engagé,

Pour un cœur où je vois le peu de part que j'ai.

La rime féminine de l'é fermé ne doit pas être moins parfaite que la mafculine, & il n'y a guere de Poêtes qui n'obfervent pas les mêmes regles à l'égard de l'une & de l'autre. Ainli aimée ne rimera bien qu'avec

un mot terminé en mée, & confiée ne rimera bien qu'avec un mot terminé en iée.

Il n'en eft pas de même des rimes féminines en ie & en ue, que l'on emploie quelquefois fans qu'elles foient précédées des mêmes confones > comme dans ces Vers:

O Ciel pourquoi faut-il que ta fecrete envie
Ferme à de tels héros le chemin de l'Afie.

Polinice, Seigneur, demande une entrevue:

C'est ce que d'un héraut nous apprend la venue.

Les mots terminés en ui, uie, uis, uit, doivent toujours rimer avec des mots qui ayent la même terminaison, & le fon de la diphthongue ui étant affez plein de lui-même, il n'eft pas néceffaire qu'elle y foit précédée des mêmes confones.

En quelles occafions il faut faire acorder la rime

avec l'Orthographe.

Quoique nous ayons dit plus haut qu'il n'étoit pas néceffaire, pour la validité de la rime, que les dernieres fyllabes des mots s'écriviffent avec les mêmes lettres, & qu'il fuffifoit qu'elles produiffifent le même fon, il y a néanmoins quelques occafions où l'Orthographe doit s'acorder avec la rime.

I. Un mot terminé par une s, par un x, ou par un, ne rimeroit pas avec un mot qui ne feroit pas terminé par l'une de ces trois lettres. Ainfi aimable ne rimeroit pas avec fables; ni difcours avec jour; ni vérité avec vanités ou méritez; ni genou avec vous ou courroux; ni cheveux avec heureux, &c. Et la rime de ces deux Vers eft défectueufe:

Oui, vraiment, ce visage eft encor fort mettable :
S'il n'eft pas des plus beaux, il eft des agréables.

Mais il n'eft pas néceffaire que les mots dont la rime eft terminée par l'une de ces trois lettres, foient du nombre pluriel, ni que ce foit la même lettre qui les termine. Ainú le difcours rimera avec les jours; celeftes avec tu déteftes; le nez avec vous donnez; vanités avec méritez; vous avec courroux; paix avec jamais; loix avec rois, &c.

II. Quoique l'r ne fe prononce pas à la fin des Vers, dans les mots terminés en er avec l'é fermé, cependant ils ne doivent rimer qu'avec des mots également terminés en er, comme dans ces deux Vers:

Un ennemi fi noble a fu m'encourager:

Je fuis venu chercher la gloire & le danger.

III. On ne fait guere rimer une perfone de Verbe terminée en ois ou en oit ayant le fon de l'è ouvert, avec un mot qui auroit le même fon, mais qui s'écriroit différemment, comme j'aimois avec jamais; manquoit avec banquet. Il faut ordinairement recourir à une autre perfone

de Verbe terminée par les mêmes lettres, comme dans ces deux Vers:

Et fans trop s'enquérir d'où la laide venoit,

Il fut, c'en fut affez, l'argent qu'on lui donnoit.

IV. Les troifiemes perfones du pluriel des Verbes, terminées en ent ou en oient, ne doivent jamais rimer qu'avec d'autres troifiemes perfones de Verbes qui ayent les mêmes terminaisons. Ainfi ils difent ne rimeroit pas avec marchandise, ni faffent avec furface: mais difent rimeroit bien avec lifent, & faffent avec éfacent.

V. Les mots terminés par anc & ang, ne riment ordinairement au fingulier qu'avec des mots qui ayent l'une ou l'autre terminaison, comme dans ces deux Vers:

Rempliffez les autels d'offrandes & de fang,

Des victimes vous-même interrogez le flanc.

VI. Quand un mot eft terminé par un t, il ne peut rimer qu'avec un mot qui foit auffi terminé par un ou par un d. Ainsi hazard rimera avec départ; verd avec couvert; nid avec finit; acord avec fort; fourd avec court, &c. comme dans c.s deux Vers:

Sur l'argent, c'est tout dire, on eft déja d'acord,
Ton beau-pere futur vide fon cofre-fort.

& dans ceux-ci :

Vous voyez quel éfroi me trouble & me confond.
Il parle dans mes ieux, il eft peint fur mon front.

VII. On fait rimer ensemble tous les mots dont la derniere syllabe a le fon de la voyele nafale in, de quelque maniere qu'elle s'écrive. Ainfi divin rimera avec humain, faim, deffein, & chacun de ces mots rimera avec les autres comme dans ces Vers:

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Je n'y puis plus tenir, j'enrage, & mon deffein
Eft de rompre en vifiere à tout le genre humain,
Déja d'un plomb mortel plus d'un brave eft atteint ;
Sous les fougeux courfiers, l'onde écume & fe plaint.

VIII. Quand les mots font terminés par une s ou par un x, la convenance des confones ou des voyeles précédentes ne s'exige plus avec la même sévérité. Il fuffit que les dernieres fyllabes ayent le même fon. Ainfi combats rimera avec trépas; rangs avec tyrans; effets avec fatisfaits; héros avec travaux; balcons avec féconds; dehors avec acords; jours avec fourds & courts, &c.

IX. Enfin, hors les circonftances que nous venons d'expliquer, on peut faire rimer ensemble toutes les confones & voyeles qui ont le même fon, quelque différentes qu'elles puiffent être par le caractere. Ainfi étre rimera avec connoitre & maître; race avec terraffe; contraire avec frere; chofe avec cause, &c,

X. L' mouillée ne peut jamais rimer avec l'l fimple. Ainfi travail ne rimeroit pas avec cheval, ni merveille avec nouvelle, ni famille avec tranquille, &c.

Rime d'un mot avec lui-même.

Un mot ne peut pas rimer avec lui-même, à moins qu'il ne foit pris dans des fignifications différentes. Ainfi la rime de ces deux Vers est irréguliere:

Les chefs & les foldats ne fe connoiffent plus.
L'un ne peut commander, l'autre n'obéit plus.

au lieu qu'il n'y a rien de répréhenfible dans les rimes des Vers fuivans:
Prends-moi le bon parti. Laiffe-là tous les livres.
Cent francs au denier cinq, combien font-ils ? vingt livres.
Cependant, par un fort que je ne conçois pas,
Votre douleur redouble & croît à chaque pas.
Quand notre hôte charmé, m'avifant fur ce point
Qu'avez-vous donc, dit-il, que vous ne mangez point?
Pour favoir où la belle eft allée,
Va-t-en chercher par-tout. J'atends dans cette allés.
Suffit, j'en fuis quite.

Après ce que j'ai dit, foufrez que je vous quite.
Il est vrai, cher Crifpin; mais enfin tu fais bien
Que cela ne fait pas prefque le quart du bien.

Rime d'un fimple avec fon composé.

Un mot fimple ne rime pas avec fon composé, comme ami avec ennemi; écrire avec foufcrire; voir avec prévoir; mettre avec remettre; faire avec défaire, &c. Ainfi la rime de ces deux Vers ne peut paffer qu'à la faveur de la pensée

Je connois trop les Grands: dans le malheur amis,
Ingrats dans la fortune, & bientôt ennemis.

A l'égard des composés d'un même mot, on peut les faire rimer enfemble, lorsque leurs fignifications n'ont point de raport, comma dans ces deux Vers:

Dieu punit les forfaits que leurs mains ont commis,
Ceux qu'ils n'ont point vengés, & ceux qu'ils ont permis.

Rime de l'é fermé avec l'è ouvert.

L'é fermé ne rime pas avec l'è ouvert. Ainfi l'oreille est blessée de la rime des mots terminés en er avec l'é fermé, comme aimer triompher, mériter, chercher, confier, &c. avec les mots terminés en er avec

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T'e ouvert, comme la mer, l'enfer, Jupiter, cher, fier, &c. Ce défaut fe trouve dans les Vers fuivans:

Hé bien, brave Acomat, fi je leur fuis fi cher,
Que des mains de Roxane ils vienent m'aracher.

Ataquons dans leurs murs ces Conquérans si fiers :
Qu'ils tremblent à leur tour pour leurs propres foyers.

De même les oreilles délicates auront peine à acorder la rime de terre avec celle de pere, quoi qu'en puiffe dire l'Auteur de ces deux Vers:

La main, la même main qui t'a rendu ton pere,
Dans ton fang odieux pouroit venger la terre.

non pas parce qu'il y a deux rr dans terre, & qu'il n'y en a qu'une dans pere, mais parce que l'e eft fort ouvert dans terre, & qu'il n'est qu'un pere, ce qui fait deux fons différens.

peu ouvert dans

En forte que par cette raison, terre ne rimera bien qu'avec des mots où l'e fera ouvert, tels que guerre ou tonerre, comme dans les Vers fuivans du même Auteur :

Et ce peuple autrefois, vil fardeau de la terre,

Semble apprendre de nous le grand art de la guerre.

Ce peuple de vainqueurs armés de fon tonerre,
A-t-il le droit afreux de dépeupler la terre ?

Rime des Voyeles longues avec les Voyeles breves.

Les voyeles longues, foit qu'elles fe trouvent dans la derniere fyllabe des Vers mafculins, ou dans la pénultieme des Vers féminins, riment mal avec les voyeles breves, comme måle avec cabale; intérêt avec objet; conquête avec coquete; dépôt avec dévot; côte avec grote; fantôme avec homme; trône avec courone; gite avec vifite, &c. Ainfi la rime de ces Vers n'eft pas tout-à-fait exacte :

Je l'inftruirai de tout, je t'en donne parole,
Mais fonge feulement à bien jouer ton rôle.

Si ce n'eft pas affez de vous céder un trône,
Prenez encor le mien, & je vous l'abandone.

Cependant une voyele breve peut abfolument rimer avec une longue, quand elle a de fa nature un fon allez plein, & que la différence du bref au long n'étant pas trop fenfible, elle peut être facilement aidée & corrigée par la prononciation: ce qui regarde principalement les voyelesa & ou. Ainfi quoiqu'elles foient breves dans les mots préface & tout, M. Defpréaux a fait rimer ces mots avec grâce & goût, où elles font longues dans ces Vers:

Un Auteur à genoux dans une humble préface,
Au Lecteur qu'il ennuie a beau demander grâce,

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