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donc de monter tous deux fur l'âne, & alors on y trouva encore à dire ; ils font bien cruels, difoient les paffans, de monter ainfi fur cette pauvre petite bête, qui à peine feroit affez forte pour en porter un: comme ils eurent ouï celà ils defcendirent tous deux de deffus, & le toucherent devant eux. Ceux qui les voyoient aller de cette forte le moquoient de les voir à pied quand l'un & l'autre pouvoient alternativement fe fervir de l'âne; ainfi ils ne furent jamais le mettre au gré de tout le monde: c'eft pourquoi ils fe réfolurent de faire à leur volonté, & de laiffer à cha-cun la liberté d'en juger à fa fantaifie. Faites en de même, dit Malherbe à Racan, pour toute conclufion; car quoi que vous puiffiez faire, vous ne ferez jamais généra lement approuvé de tout le monde, & l'on trouvera toûjours à redire à votrez conduite.

Mr de la Fontaine a mis cet Apologue en vers, & l'a ajufté de cette maniere. *

'Invention des Arts étant un droit d'aineffe,

Mais ce champ ne fe peut tellement moiffonner,
Que les derniers venus n'y trouvent à glaner.
La feinte eft un payis plein de terres defertes,›

C'est un Conte de Poges

Tous les jours nos Auteurs y font des décou

vertes:

Je t'en veux dire un trait affez bien inventé.
Autrefois à Racan, Malherbe l'a conté,

Ces deux rivaux d'Horace, héritiers de fa lyse, Difciples d'Apollon, nos Maîtres pour mieux dire,

Se rencontrant un jour tous feuls & fans témoins, Comme ils fe confioient leurs pensées, & leurs foins,

Racan commence ainfi. Dites-moi, je vous prie,

Vous qui devez favoir les chofes de la vie,
Qui par tous les dégrez avez déja passé,
Et que rien ne doit fuir en cet âge avancé ;
A quoi me refoudrai - je ? Il est temps que j'y
pense;

Vous connoiffez mon bien, mon talent > ma naiffance;

Dois je dans la Province établir mon séjour ? Prendre Emploi dans l'Armée, ou bien Charge à la Cour ?

Tout au monde eft mêlé d'amertume, & de charmes,

La Guerre a fes douceurs, l'Hymen a fes al larmes,

Si je fuivois mon goût, je faurois où buter; Mais j'ai les Miens, la Cour, le Peuple à con

tenter.

Malherbe là deffus: Contenter tout le monde! Ecoutez ce recit avant que je réponde.

J'ai lû dans quelqu'endroit qu'un Meunier & fon fils,

L'un vieillard, l'autre enfant, non pas des plus petits;

Mais garçon de quinze ans, fi j'ai bonne mémoire,

Alloient vendre leur Ane un certain jour de foire.

Afin qu'il fut plus frais, & de meilleur débit On lui lia les pieds, on vous le fufpendit; Puis cet homme & fon fils le portent comme un luftre,

Pauvres gens idiots, couple ignorant, & ruftre,
Le premier qui les vit, de rire s'éclata :

Quelle farce, dit il, vont jouer ces gens-là?
Le plus Ane des trois n'eft pas celui qu'on penfe,
Le Meunier, à ces mots, connoît fon ignorance.
Il met fur pied la bête, & la fait détaler,
L'Ane qui goûtoit fort l'autre façon d'aller,
Se plaint en fon patois, Le Meunier n'en a cure,
Il fait monter fon fils, il fuit, & d'avanture
Paffent trois bons Marchands; cer objet leur dé-
plûts

Le plus vieux au garçon s'écria tant qu'il pût
Holà ho, defcendez, que l'on ne vous le dife,
Jeune homme qui menez Laquais à barbe grife;
C'étoit à vous de fuivre, au vieillard de monter.
Meffieurs, dit le Meunier, il faut vous contenter,
L'enfant met pied à terre ; & puis le vieillard

monte;

Quand trois filles passant, l'une dit : C'est grand' honte,

Qu'il faille voir ainfi clocher ce jeune fils,

Tandis que ce nigaut, comme un Evêque affis, Fait le veau fur fon Ane, & penfe être bien fage. Il n'eft, dit le Meunier, plus de veaux à mon âge,

Paflez votre chemin, la fille, & m'en croyez, Après maints quolibets, coup fur coup renVoyez

L'homme crut avoir tort, & mit fon fils en

croupe.

Au bout de trente pas une troifiéme troupe Trouve encore à glofer. L'un dit: Ces gens fous,

font

Le Baudet n'en peur plas, il mourra fous leurs coups,

Hé quoi, charger ainfi cette pauvre Bourique! N'ont ils point de pitié de leur vieux domef tique ?

Sans doute qu'à la Foire ils vont vendre la peau. Parbieu, dir le Meunier, eft bien fon du cer

veau,

Qui prétend contenter & le monde & fon pere. Effayons toutesfois fi par quelque maniére

Nous en viendrons à beut. Il defcendent tous deux,

L'Ane le prélaffant marche feul devant eux,
Un quidam les rencontre, & dit: Eft-ce la mode
Que Bauder aille à l'aife, & Meunier s'incom
mode?

Qui de l'Ane ou du Maître eft fait pour se laffer?
Je confeille à ces gens de le faire enchaffer,
Tis ufent leurs fouliers, & confervent leur Ane
Nicolas au rebours: car quand il va voir Jeanne,
Il monte fur la bête, & la chanfon le dit:
Beau trio de baudets! Le Meunier repartit :
Je fuis, Ane, il eft vrai, j'en conviens, je l'a

voue:

Mais

que

loue,

dorefnavant on me blâme, on me

Qu'on dife quelque chofe, ou qu'on ne diferien J'en veux faire à ma mode, il le fit & fit bien.

. Cela révient au fentiment du Pythagore d'Aufone, Judex ipfe fai, totum fe explorat ad unguem s Quid proceres, vanique ferat quid opinie vulgi Securus..

Quant à vous, fuivez Mars ou l'Amour ou le Prince;

Allez, venez, courez, demeurez en Province, Prenez Femme, Abbayie, Emploi, Gouverne

ment,

Les gens en parleront, n'en doutez nullement,

Encore qu'il reconnut, comme nous avons déja dit, que Racan cut de la force en fes vers, il difoit néanmoins, qu'il étoit hérétique en Poëfie, pour ne fe tenir pas affez étroitement attaché à fes obfervations: voici particulièrement de quoi il le blâmoit. Premierement, de rimer indifferamment à toutes les terminaifons en Ent, comme Innocence & Puissance, Aparent, & Conquerant, Grand, & Prend; il le reprenoit auffi de rimer le fimple & le compofé, comme Tems & Prin-tems, Séjour & Jour; il lui defendoit encore de rimer les mots qui ont quelque convenance, com. me Montagne & Campagne; il ne vouloit pas non plus que l'on rimat les derivez comme Admettre, Commettre, Promettre & autres de même nature, qui tous derivent de Mettre. Il ne pouvoir fouffrir pareillement que l'on rimât les noms propres les uns après les autres, comme Theffalie & Italie, Caftille & Bastille; & fur la fin il étoit devenu fi rigide en fes vers, qu'il avoit même peine à fouffrir qu'on rimât des mots

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