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qui euffent tant foit peu de convenance; parce que, difoit-il, on trouve de plus beaux vers en raprochant des mots éloignez, qu'en joignant ceux qui n'ont quafi qu'une même fignification. Il s'étudioit encore à chercher des rimes rares & ftériles, dans la créance qu'il avoit qu'elles le conduifoient à de nouvelles penfées, ourre qu'il difoit que rien ne fentoit davantage fon grand Poëte, que de tenter des rimes difficiles; il ne fouffroit point qu'on rimât bonheur à malheur, difant que les Parifiens ne prononçoient, que l'u de l'un ou de l'au

tre.

Il reprenoit encore Racan, de rimer eu avec vertu ; parce qu'il difoit qu'on pronon? çoit à Paris én en deux fyllabes.

Outre les reprimandes, qu'il lui faifoit pour les rimes, il le reprenoit encore de beaucoup de chofes touchant la conftruction de les vers, & de quelques façons de parler hardies, qui feroient trop longues à déduire, & qui auroient meilleure grace dans un art Poëtique, que dans fa vie ; c'est pourquoi je me contenterai de faire encore ane remarque fur ce fujer.

Au commencement que Malherbe vint à la Cour; c'eft à dire en 1605. il n'obfervoit pas encore de faire une paule au troifiéme vers des Stances de fix; il demeura

toujours en cette négligence, durant le Régne de Henri le Grand, comme il se voit en la piéce qui commence1.

que

Que n'êtes-vous laffées, (page 145.) On en peut remarquer autant en la feconde Stance qu'il fit pour Madame la Princeffe, & je ne fai s'il n'a point encore continué dans cette même négligence en 1612, aux vers qu'il fit pour la Place Royale: tant y a que le premier qui s'apperçût, que cette obfervation étoit néceffaire pour la perfection des Stances de fix, fut, Mainard : & c'eft peut-être pour cette raison, Malherbe le confidéroit comme l'homme de France qui favoit le mieux faire des vers. D'abord Racan, qui jouoit un peu du Luth, fe rendit en faveur des Muficiens qui ne peuvent faire leur reprise aux Stances de fix, s'il n'y a repos au troifiéme vers; mais quand Malherbe & Mainard voulurent qu'aux Stances de dix, outre le repos du quatriéme vers, on en fit encore un au feptième, Racan s'y oppofa, & ne l'a prefque jamais obfervé fa raifon étoit que les Stances de dix ne fe chantent prefque jamais: & que quand on les chanteroit, ce ne feroit pas en trois reprifes ; c'eft pourquoi il foûtenoit que c'étoit affez d'en faire une 1. Voyez les Obferv. de Ménage, p. 63. & 64

paule au quatriéme vers; voilà la plus grande conteftation qu'il ait eûe contre Malherbe & fes écoliers; & c'est pour cela qu'on l'appelloit hérétique en Poëfie. Malherbe vouloit auffi que les Elegies euffent un fens parfait de quatre en quatre vers, même de deux en deux vers, s'il le pouvoit, à quoi jamais Racan ne s'eft accordé.

Il ne vouloit pas qu'on nombrât en vers de ces nombres vagues, comme cent, ou mille; & il difoit affez plaisamment, quand il voyoit nombrer quelqu'un de cette forte: Peut-être n'y en avoit-il que 99. Mais il eftimoit qu'il y avoit de la grace à nombrer néceffairement, comme en ce vers deRacan

Vieilles forêts de trois fiécles âgées.

C'est encore une des cenfures, à quoiRacan ne pouvoit fe rendre, & néanmoins il n'a ofé s'en licencier qu'après la mort.

Ses amis particuliers qui voyoient de quelle maniére il travailloit, difent avoit remarqué trois fortes de ftyles en fa Profe.

Le premier, étoit en fes Lettres familiéres, qu'il écrivoit à fes amis, fans préméditation; & néanmoins toutes négligées qu'elles étoient, on y remarquoit toûjours quelque chofe d'agréable, qui fentoit fon honnête homme.

Le deuxième, étoit en celles qu'il ne travailloit qu'à demi, où l'on trouvoit beaucoup de dureté, & des penfées indigeftes, qui n'avoient aucun agrément.

Le troifiéme, étoit dans les chofes que par un long travail, il mettoit dans leur perfection, & là fans doute, il s'élevoit beaucoup au deffus de tous les Ecrivains de fon tems.

De ces trois divers £yles, le premier se remarque en les Lettres familiéres à Racan, & à fes autres amis: le fecond en fes Lettres d'Amour, qui n'ont jamais été beauCoup eftimées: & le troifiéme en la confolation de Madame la Princeffe de Conti qui eft prefque le feul ouvrage qu'il ait

achevé.

Il fe mocquoit de ceux qui difoient, que da Profe avoit fes nombres, & il s'étoit fi bien mis dans l'efprit, que de faire des périodes nombreuses, c'étoit faire des Vers en Profe, que plufieurs par cette feule confidération ont crû que les Epîtres de Sénéque n'étoient point de lui, parce que les nombres & l'harmonie font obfervez dans leurs périodes.

Celle pour qui il a fait des vers fous le nom de Callifte, étoit la Vicomteffe d'Auchy, dont le bel efprit a paru jufqu'à la

* Voyez les Obferv. de Ménage, page 260.

mort; & fa Rodante étoit Madame la Marquife de Rambouiller : voici la raifon pour laquelle il lui donna ce nom.là.

Racan & lui s'entretenoient un jour de leurs amours; c'eft à dire, du deffein qu'ils avoient de choifir quelque Dame de mérite & de qualité, pour être le fujet de leurs vers. Malherbe nomma Madame de Rambouillet, & Racan Madame de Termes, qui étoit alors veuve, il se trouva que toutes deux avoient nom Catherine; favoir, la premiére qu'avoit choifie Malherbe, Catherine de Vivonne ; & celle de Racan, Catherine Chabot: le plaifir que prit Malherbe dans cette converfation lui fit promettre d'en faire une Eglogue, fous les noms de Mélibée, pour lui, & d'Arcas, pour Racan; & je fuis étonné qu'il ne s'en eft point trouvé quelques commencemens en fes manufcrits; car je lui en ai ouï reciter piès de quarante vers.

;

Prévoyant donc que ce nom de Catherine fervant à tous deux, feroit de la confufion dans cette Eglogue, qu'il fe promettoit de faire, il paffa tout le refte de l'après-dinée avec Racan, à chercher des Anagrammes fur ce nom, qui euffent affez de douceur pour pouvoir entrer dans des vers, ils n'en trouvérent que trois, Arthenice, Eracinthe, & Charintée; le

premier

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