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Que d'hommes fortunez en leur âge premiere, Trompez de l'inconstance à nos ans couftumie

re,

Du depuis fe font vus en étrange langueur; Qui fuffent morts contens, file Ciel amiable Ne les abufant pas en fon fein variable,

Au temps de leur repos euft coupé fa longueur.

Quiconque de plaisir a son ame assouvie, Plein d'honneur & de bien, non fujet à l'envie, Sans jamais en fon aife un mal-aife éprouver, S'il demande à fes jours davantage de terme, Que fait-il, ignorant, qu'attendre de pied fer

me

De voir à fon beau-tems un orage arriver?

Et moi, fi de mes jours l'importune durée Ne m'euft, en vieilliffant, la cervelle empirée, Ne devois-je eftre fage, & me reffouvenir D'avoir vû la lumiere aux aveugles rendue Rebailler aux muets la parole perdue; Et faire dans les corps les ames revenir?

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De ces faits non communs la merveille profonde,

Qui par la main d'un feul étonnoit tout le monde,

Et tant d'autres encor, me devoient avertir Que fi, pour leur auteur, j'endurois derl'ou trage,

Le mefme qui les fit, en faisant davantage, Quand on m'offenferoit, me pouvoit garentir

Mais troublé par les ans, j'ai fouffert que la crainte,

Loin encore du mal, ait découvert ma feinte; Et fortant promtement de mon fens & de moi, Ne me fuis apperçu qu'un destin favorable M'offroit en ce danger, un fujet honnorable D'acquérir, par ma perte, un triomphe à ma foi.

Que je porte d'envie à la troupe innocen

te

De ceux qui mafsacrez d'une main violente.
Virent dès le matin leur beau jour accourci.
Le fer qui les tua,
leur donna cette grace.
Que fi de faire bien ils n'eurent pas l'efpace,
Ils n'eurent pas le tems de faire mal auffi.

i

De ces jeunes guerriers la flote vagabonde Alloit courre fortune aux orages du monde Et déja pour voguer abandonnoit le bord, Quand l'aguet d'un pirate arresta leur voyage:

Mais leur fort fut fi bon, que d'un mesme naufrage

Ils fe virent fous l'onde, & fe virent au port.

Ce furent de beaux lis, qui mieux

que la

Nature, Mèlans à leur blancheur l'incarnate peinture Que tira de leur fein le couteau criminel, Devant que d'un hyver la tempefte & l'orage A leur teint délicat puffent faire dommage, S'en allerent fleurir au printems éternel.

Ces enfans bien-hureux (créatures parfaites, Sans l'imperfection de leurs bouches muettes) Ayans Dieu dans le cœur, ne le purent louer : Mais leur fang leur en fut un témoin véritable: Et moi, pouvant parler, j'ai parlé, misérable, Pour lui faire vergogne, & le defavouer.

Le peu qu'ils ont vécu,leur fut grand avantage; Et le trop que je vis, ne me fait que dommage. Cruelle occafion du fouci qui me nuit !

Quand j'avois de ma foi l'innocence premiere, Si la nuit de la mort m'euft privé de lumiere, Je n'aurois pas la peur d'une éternelle nuit.

Ce fut en ce troupeau, que venant à la guerre Pour combattre l'Enfer & défendre la Terre, Le Sauveur inconnu fa grandeur abaissa. Par eux il commença la premiere meslée ; Et furent eux auffi que la rage aveuglée Du contraire parti les premiers offensa.

Qui voudra fe vanter, avec eux fe compare, D'avoir reçu la mort par un glaive barbare, Et d'eftre allé foi-mefme au martyre s'offrir. L'honneur leur appartient d'avoir ouvert la porA quiconque ofera,d'une ane belle & forte, [te Pour vivre dans le Ciel, en la Terre mourir.

O defirable fin de leurs peines paffées ! Leurs pieds,qui n'ont jamais les ordures preffées, Un fuperbe plancher des étoiles fe font. Leur falaire payé les fervices précède:

Premier que d'avoir mal ils trouvent le remède, Et devant le combat ont les palmes au front.

Que d'applaudiffemens, de rumeur, & de preffes;

Que de feux, que de jeux, que de traits, de careffes,

Quand là-haut, en ce point, on les vit arriver ! Et quel plaifir encore à leur courage tendre, Voyant Dieu devant eux en fes bras les attendre,

Et pour leur faire honneur, les Anges fe lever!

Et vous, femmes,trois fois, quatre fois bienhureuses,

De ces jeunes amours les meres amoureuses,
Que faites-vous pour eux fi vous les regrettez ?
Vous fâchez leur repos ; & vous rendez coupa-
bles,

Ou de n'eftimer pas leurs trépas honorables,
Ou de porter envie à leurs félicitez.

Le foir fut avancé de leurs belles journées :
Mais qu'euffent-ilsgagné par un fiècle d'années?
Ou que leur avint-il en ce vifte départ ;
Que laiffer promtement une baffe demeure,
Qui n'a rien que du mal; pour avoir de bonne
heure,

Aux plaifirs éternels une éternelle part ?

Si vos yeux pénétrant jufqu'aux chofes futures Vous pouvoient enfeigner leurs belles avantures Vous auriez tant de bien en fi peu de malheurs, Que vous ne voudriez pas pour l'empire du N'avoir eu dans le fein la racine féconde monde D'où nâquit entre nous ce miracle de fleurs.

Mais moi, puifque les loix me défendent l'outrage

Qu'entre tantde langueurs me commande la rage,

Et qu'il ne faut foi-même éteindre son flam

beau;

Que m'est-il demeuré pour confeil & pour ar

mes,

Que d'écouler ma vie en un fleuve de larmes, Et la chaffant de moi, l'envoyer au tombeau ?

Je fai bien que ma langue ayant commis l'offense

Mon cœur incontinent en a fait pénitence. Mais quoi? fi peu de cas ne me rend fatisfait. Mon regret eft fi grand, & ma faute fi grande, Qu'une mer éternelle à mes yeux je demande, Pour pleurer à jamais le péché que j'ai fait.

Pendant que le chétif en ce point se lamente, S'arrache les cheveux, le bat, & le tourmente, En tant d'extrémitez cruellement réduit Il chemine toujours; mais révant à fa peine, Sans donner à fes pas une regle certaine, Il erre vagabond où le pied le conduit.

A la fin égaré, (car la nuit qui le trouble Par les eaux de fes pleurs fon ombrage redouble) Soit un cas d'avanture, Dieu l'ait per

mis,

ou que

Il arrive au jardin, où la bouche du traître, Profanant d'un baifer la bouche de fon maître, Pour en priver les bons, aux méchans l'a remis.

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