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avec une grande integrité. Nebridius étoit d'au- c. 10. près de Carthage; & il avoit quitté fon pays, fa mere & une belle terre qu'il poffedoit, pour venir à Milan vivre avec Auguftin, & chercher la verité. C'étoit le plus grand defir de ces trois amis. Ils vouloient même vivre en commun; & c.14. ils fe trouvoient environ dix capables d'entrer dans ce deffein quelques-uns étoient très-riches, principalement Romanien, autre citoyen de Tagafte, & parent d'Alypius, que fes affaires avoient attiré à la cour. Auguftin le regardoit comme fon patron. Il l'avoit aidé dans fa jeuneffe à 11. Contr. foûtenir les frais de fes études, principalement Acad. c.a. depuis la mort de fon pere; & l'avoit encore fecouru de fes biens & de fes confeils dans toutes fes affaires. Mais ce deffein de vie commune fut rompu; parce que quelques-uns avoient déja des femmes, d'autres comptoient d'en pren dre & ils ne crurent pas qu'elles puffent s'accommoder de cette focieté. Auguftin étoit dec. 12. 13. ceux qui vouloient fe marier: fa mere avoit trouvé une perfonne qui lui pouvoit convenir; mais fi jeune qu'il falloit attendre environ deux ans. Cependant fa concubine l'avoit quitté, & s'en c. 15. étoit retournée en Afrique, faifant voeu de continence pour le refte de fes jours; & lui laiffant un fils naturel, qu'elle avoit eu de lui, & qu'il nomma Adeodat, c'est-à-dire Dieudonné. Il prit une autre concubine, pour le peu de tems qu'il reftoit jufques à fon mariage: tant il étoit efclave de cette habitude. Le premier jour de c. 16. Janvier 385 il prononça un panegyrique pour le conful Bauto, qui entroit en charge ce jourlà. En ce tems-là à l'âge de trente- un an il vi. Conf. commença à fe défaire des images corporelles, de vita bea. aufquelles les Manichéens l'avoient accoûtumé; & prit des idées plus juftes de Dieu, de la nature fpirituelle & de l'origine du mal. Mais il ne

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comprenoit pas encore l'incarnation, ne regar dant J. C. que comme un excellent homme: toutefois il goûtoit déja l'écriture fainte, partiVIII. Conf. culierement S. Paul. En cet état, il s'adreffa au prêtre Simplicien qui depuis fa jeuneffe jufques

1. 2.

un âge avancé, avoit vêcu dans une grande pieté. Il avoit inftruit S. Ambroife, qui l'aimoit comme fon pere. Auguftin lui raconta tout le cours de fes erreurs ; & lui dit qu'il avoit leu quelques livres des Platoniciens, que le recteur Victorin avoit traduits en latin. Simplicien le felicita, de n'eftre pas tombé fur les écrits des autres philofophes pleins de feduction: au lieu que ceux-ci Sup. I. xv. infinuoient par tout Dieu & fon Verbe. Il lui raconta la converfion de Victorin, à laquelle il avoit eu tant de part. Auguftin en fut fenfiblement touché, & defiroit ardemment de l'imiter : non-feulement en recevant le baptême, mais en renonçant comme lui à la profeffion de la retorique.

n. 6.

n.5.

LII.

fion de S.

Un jour qu'il étoit à fon logis avec Alypius Conver- un Africain nommé Pontinien, qui avoit une Auguftin. charge confiderable à la cour, vint les trouver. Quand ils fe furent affis pour s'entretenir, Pontinien apperceut un livre fur la table qui étoit devant eux il l'ouvrit 9 & trouva que c'étoit S. Paul. Il fut furpris de trouver là ce feul livre; au lieu de quelques livres de lettres humaines : il regarda Auguftin avec un foûris mêlé d'admiration & de joye: car il étoit Chrétien, & faifoit fouvent de longues prieres profterné devant Dieu dans l'églife. Auguftin lui ayant dit, qu'il s'appliquoit fort à cès fortes de lectures, la converfation fe tourna fur S. Antoine, dont Pontinien raconta la vie, comme très-connue aux fidelles. Auguftin & Alypius n'en avoient jamais oui parler: ils étoient furpris d'apprendre de fi grandes merveilles & fi recentes; & Pontinien n'étoit

pas

moins étonné qu'ils les euffent ignorées jufques AN. 386. alors. Il leur parla de la multitude des monafteres qui rempliffoient les deferts, & dont ils n'avoient aucune connoiffance. Ils ne favoient pas même qu'à Milan où ils étoient, il y en avoit un hors les murs de la ville, fous la conduite de S. Ambroife. Enfin Pontinien leur raconta la converfion de deux officiers de l'Empereur, qui fe promenant avec lui à Tréves, & ayant trouvé chez des moines la vie de S. Antoine, en furent tellement touchez, qu'ils embrafferent fur le champ la vie monaftique.

Auguftin fut profondement touché de ce dif- .7.
cours. Il y avoit douze ans que la lecture de l'Hor-
tenfius de Ciceron l'avoit excité à l'étude de la
fageffe. Il avoit cherché la verité, il l'avoit trou-
vée; il ne manquoit qu'à fe determiner, & il
ne voyoit plus d'excufe. Pontinien s'étant retiré, ..8.
Auguftin fe leve, & s'adreffant à Alypius, lui
dit avec émotion, le vifage tout changé, & d'un
ton de voix extraordinaire: Qu'eft - ceci? que
faifons-nous? des ignorans viennent ravir le ciel,
& nous avec nos fciences, infenfez
que nous
fommes, nous voilà plongez dans la chair & le
fang? Avons-nous honte de les fuivre? & n'eft-
il pas plus honteux de ne pouvoir même les fui-
vre? Alypius le regarda fans rien dire, étonné
de ce changement, & le fuivit pas à pas dans le
jardin, où l'emporta le mouvement qui l'agitoit.
Ils s'affirent le plus loin qu'ils purent de la mai-
fon. Auguftin fremiffoit d'indignation de ne pou-
voir fe refoudre à ce qui fembloit ne dépendre

que
de fa volonté il s'arrachoit les cheveux, il
fe frappoit le front, il s'embraffoit le genou
avec les mains jointes. Alypius ne le quittoit
point, & attendoit en filence l'évenement de
cette agitation extraordinaire. Auguftin fe fen- . 12.
tant preffé de répandre fa douleur par des cris &

par

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AN. 386. par des pleurs, fe leva pour s'éloigner de lui & le laiffant au lieu où ils étoient affis, alla fe coucher fous un figuier, où ne fe retenant plus, il verfoit des torrens de larmes, & crioit : Jufques à quand Seigneur, quand finira vôtre colere? pourquoi demain ? pourquoi non maintenant? Alors il entendit d'une maison voifine une voix comme d'un enfant, qui repetoit fouvent en chantant ces deux mots latin : Tolle, lege, tolle, lege : c'est-à-dire : Prenez, lifez. Il changea de vifage, & penfa très-attentivement, fi les enfans avoient accoûtumé de chanter ainfi en quelque lieu mais il ne fe fouvint point d'avoir oui rien de femblable. Il retint fes larmes, & crut que Dieu lui recommandoit d'ouvrir le livre, & de lire le premier article qu'il trouveroit: fe fouvenant que S. Antoine avoit été converti à la lecture de l'évangile. H revint donc promptement au lieu où Alypius étoit demeuré. Il prit le livre de S. Paul qu'il y avoit laiffé : l'ouvrit & leut tout bas le premier article où il jetta les yeux. Rom. 111. C'étoit celui-ci Ni dans les feftins & l'yvrognerie, ni dans les couches & les impudicitez, ni dans les querelles & la jaloufie; mais revêtezvous du Seigneur J. C. & ne cherchez pas à contenter la chair & fes defirs. Il n'en leut pas davantage; & auffi - tôt toutes fes incertitudes fe diffiperent.

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Il ferma le livre après avoir marqué l'endroit ; & d'un vifage tranquille dit la chofe à Alypius, qui demanda à voir le paffage, & lui en fit reRom.xiv.1. marquer la fuite Recevez celui qui eft foible dans la foi; s'appliquant à lui-même ces paroles. Ils rentrerent, & vinrent dire cette heureuse nouvelle à fainte Monique, qui fut transportée de joye. Auguftin refolut en même tems de renoncer au mariage, & à toutes les efperances du fiecle, & premierement de quitter fon école

de

de retorique. Mais il le voulut faire fans éclat ; AN. 386. & comme il ne reftoit qu'environ trois semaines IX.Conf.6.2. jufques aux vacances, que l'on donnoit pour les vendanges, il remit à ce tems-là à fe declarer: ayant même un pretexte plaufible devant le monde parce que fa poitrine s'étoit échauffée le même Eté, enforte qu'il eût été obligé de quitter fa profeffion, ou du moins de l'interrompre quelque tems.

Quand il fut libre, il fe retira à la campagne,

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guftin.

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Lib. I.

Acad. s.20.

LIIK en un lieu nommé Cafficiac, dans la maifon d'un Premiers ami nommé Verecundus, citoyen de Milan & ouvrages profeffeur de Grammaire. Auguftin s'y retira de S. Auavec fa mere, fon frere Navigius, fon fils VIII. Conf. Adeodat, Alypius & Nebridius, & deux jeunes c.6. hommes fes difciples, Trygetius & Licentius IX. 6. dont le dernier étoit fils de Romanien. Pendant cette retraite, il compofa fes premiers ouvrages, qui font écrits très-poliment; mais ils fe fentent encore, comme il le reconnoît, de la vanité de l'école. Le premier eft contre les Academiciens qui prétendoient que tout étoit obfcur & dou- Retra&.c.1. teux, & que le fage ne devoit rien affurer com- 111. Contr. me manifefte & certain. Plufieurs touchez de leurs argumens, defefperoient de trouver la verité. S. Auguftin lui-même en avoit été ébranlé, & il fit ce traité, principalement pour s'affermir contre cette erreur. Le fecond ouvrage eft le traité de la vie heureuse compofé d'un entretien, dont il regala la compagnie comme d'un feftin fpirituel, le jour de fa naiffance treiziéme de Novembre, & les deux jours fuivans. Le fu- De be, vita jet eft de montrer que la vie heureufe ne fe trou- n. 6. ve que dans la connoiffance parfaite de Dieu. Le 1. Retr.c.2. troifiéme ouvrage eft le traité de l'ordre : où il examine la grande queftion, fi l'ordre de la pro- Ibid, .3. vidence divine comprend toutes chofes, bonnes & mauvaises; mais voyant que la matiere étoit

trop

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