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GALATÉ E.

Cependant, malgré la fade blancheur de mon teint, j'ai du moins un amoureux, tandis qu'il n'en est pas une seule de vous dont un berger, un matelot, ni même un batelier, ait jamais vanté les charmes. D'ailleurs, Polyphême est musicien.

DORIS.

Ah! ne parle pas de sa musique, Galatée. Nous l'entendîmes chanter derniérement, lorsqu'il vint te faire la cour (1): par Vénus ! il nous sembloit entendre braire un âne: et puis, quelle lyre il avoit un crâne de cerf, dépouillé de ses chairs; les cornes servoient de branches il les avoit jointes par un joug (2), auquel étoient attachées des cordes, qui n'étoient point tendues par des chevilles. Son chant avoit je ne sais quoi de rude et de dis

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(1) Kápaw, aller en bonne fortune, aller voir sa maîtresse. Comme dans la troisième Idylle de Théocrite,

κώμαζω ποτὶ τάν Αμαρυλλίδα.

un traducteur de ce Dialogue, sans respect pour le cos tume grec, rend ce mot par donner une sérénade. Le voisinage de l'Espagne l'avoit gâté.

(2) Consultez sur la construction de cette lyre, appellée nxTis, la dissertation de Burette, mémoires de l'Académie des Belles-lettres, tom. IV, pag. 116. La partie de cette lyre, que les anciens appelloient un jong, les traducteurs la nomment chevalet; mais c'est confondre les usages de l'antiquité avec les nôtres : notre chevaler n'est point le joug de la lyre.

cordant; il mugissoit sur un ton, tandis que sa lyre en donnoit un autre. En vérité, on ne pouvoit pas s'empêcher de rire de sa chanson amoureuse. Echo, toute babillarde qu'elle est, ne voulut point répondre à ses rugissemens; elle avoit honte d'imiter ce chant barbare et ridicule. Ton aimable Cyclope tenoit dans ses bras un joli joujou, un petit ours (1) velų, et tout semblable à lui. O Galatée ! qui ne t'envieroit un pareil amoureux !

GALATÉE,

Hé bien, Doris, montre-nous le tien, que nous sachions s'il est plus beau, s'il chante mieux, s'il joue plus agréablement de la cithare.

DORIS.

Je n'ai point d'amoureux, et je`ne me vante point d'être aimable: mais un amant tel que ton Cyclope, qui sent l'odeur fétide d'un bouc, qui mange, comme on le dit, de la chair crue, et dévore les étrangers, tu peux le garder et répondre à sa tendresse.

(1) Cette galanterie de Polyphême, est encore imitée de Théocrite, Idyl. 11, v. 41, où il dit à Galatée, qu'il lui élève quatre petits ours. Lucien a renchéri sur cette

idée.

DIALOGUE II.

LE CYCLOPE ET NEPTUNE (1).

LE CYCLOPE.

mon père ! quel traitement j'ai reçu de l'hôte abominable, qui, après m'avoir enivré, m'a aveuglé pendant que je dormois !

NEPTUN E.

Quel est celui qui a osé te traiter ainsi ?

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D'abord il se nomma lui-même Personne; mais en s'enfuyant, et lorsqu'il étoit hors de ma portée, il me dit qu'il s'appelloit Ulysse.

NEPTUNE.

Je connois celui dont tu parles, c'est le roi d'Itaque ; il revenoit de Troye sur ses vaisseaux. Mais comment t'a-t-il fait cela? il n'est pas très-brave.

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Un soir en ramenant mes troupeaux du pâturage; je trouvai dans mon antre plusieurs hommes, qui sans doute étoient-là pour leur dresser quelqu'embûche. Je bouche aussi-tôt l'entrée de ma caverne, avec l'immense rocher

(1) Le sujet de ce Dialogue est tiré de l'Odyssée,

liv. 9.

qui lui sert de porte, j'allume du feu avec un arbre que j'avois apporté de la montagne, et je m'apperçois que ces étrangers cherchent à se cacher. J'en saisis quelques-uns et les mange, comme cela est naturel envers des voleurs. Alors ce scélérat, soit Personne, soit Ulysse, me verse et me présente à boire un poison doux, à la vérité, et d'agréable odeur, mais le plus dangereux et le plus propre à troubler les sens. En effet, si-tôt que je l'eus bu, il me sembla que tous les objets tournoient autour de moi, et que ma caverne se renversoit sans dessus-dessous; en un mot je n'étois plus dans mon bon sens. Bientôt je me sentis entraîné par le sommeil; tandis que je dormois, cet étranger aiguise un pieu, le fait brûler et me crève l'oeil: depuis ce moment, Neptune, je suis aveugle.

NEPTUNE.

Tu dormois donc bien profondément, mon fils, pour ne t'être pas réveillé en sursaut pendant qu'on t'aveugloit. Mais comment Ulysse s'est-il enfui? je suis bien sûr qu'il n'a ranger le rocher qui fermoit la porte.

LE CYCLOPE.

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pu

Je l'ai ôté moi-même, afin de prendre plus aisément Ulysse lorsqu'il sortiroit. Placé à l'entrée, je le cherchois à tâton, laissant seulement passer mes brebis pour aller au pâturage, et recommandant au belier tout ce qu'il devoit faire en conduisant pour moi le troupeau.

NEPTUN E.

Ah! j'entends, il s'est évadé sous ce belier (1) sans que tu t'en apperçoives; mais du moins il falloit appeller les autres Cyclopes à ton

secours.

LE CYCLOPE.

Je les ai appellés, mon père, ils sont venus; mais lorsqu'ils m'ont demandé le nom de mon traître, sur ce que je leur ai répondu, Personne, ils se sont imaginé que j'étois fou, et se sont en allés. C'est ainsi que le scélérat a su m'abuser par ce nom; mais ce qui me fait le plus de peine, c'est qu'il m'a reproché mon malheur, en me disant, Neptune même ton père, ne sauroit te guérir.

NEPTUN E.

Sois tranquille, mon fils, je te vengerai de lui, et il apprendra que si je ne puis guérir ceux qui sont privés de la vue, il est en ma puissance de sauver ou de faire périr ceux qui voyagent sur mer. Il "est encore sur les flots.

(1) Je suis la correction d'Hemstérhuis, qui lit ἐκείνῳ, au lieu d' ἐκείνοις.

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