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DIALOGUE 111.

NEPTUNE ET ALPHÉE.

NEPTUNE.

QU'EST-CE donc, Alphée? Seul de tous

les fleuves, tu te décharges dans la mer sans mêler ton onde à l'onde salée, comme font tous les autres: tu ne mets pas un terme à ta course, en versant tes flots dans les miens; au contraire, tes eaux toujours réunies, traversent la mer, et conservent dans leur cours leur douceur et leur pureté; tu plonges dans mes abîmes, comme un pluvier, et bientôt l'on te voit reparoître ailleurs.

ALPHÉE.

C'est l'ouvrage de l'Amour, Neptune, ne m'en fais aucun reproche: tu as aimé quelquefois.

NEPTUN E.

Est-ce une femme, Alphée, dont tu es amoureux ? Est-ce une Nymphe, ou quelqu'une

des Néréïdes

ALPHÉE.

Non, c'est une fontaine.

NEPTUN E.

En quels lieux de la terre coule-t-elle ?

ALPHÉE.

C'est une insulaire, elle est de Sicile, on

l'appelle Aréthuse.

NEPTUN E.

Je connois ton Aréthuse, elle n'est pas sans beauté; son onde transparente jaillit à travers un sable pur, et roule (1) sur des cailloux qui la font briller d'un éclat argentin.

ALPHÉE.

Oui, tu connois bien cette source charmante. Je me hâte de l'aller trouver.

NEPTUN E.

Va, et sois heureux dans tes amours. Mais dis-moi une chose: où as-tu pu voir Aréthuse? Tu es Arcadien, et elle est de Syracuse.

ALPHÉ E.

Tu me retardes trop, Neptune, par tes questions curieuses.

NEPTUN E.

Tu as raison, vas te rendre auprès de ta bien aimée, sors du sein de la mer, mêles-toi à cette fontaine ; et réunis tous deux par un mutuel accord (2), ne formez qu'une seule et même onde.

(1) Quoique la leçon ordinaire épέre forme im sens, son eau brille sur des cailloux. J'aime mieux lire ἐπιτρέχει.

(2) Euravnía est un terme de musique, qui ne signifie que ce que je lui fais dire. Ceux qui traduisent dans un même canal, dans un même lit, décèlent qu'ils n'ont suivi que la version latine, qui, avant Hemstérhuis, portoit mal-à-propos, eodem alveo.

DIALOGUE IV.

MÉNÉL AS ET PROTÉE.

QUE

MÉNÉL A S.

UE tu te changes en eau, Protée, on peut le croire, tu es un dieu marin: en arbre, cela peut encore passer; je ne regarde pas même comme absolument incroyable, que tu te transformes en lion; mais qu'habitant de la mer, tu deviennes du feu, voilà ce qui me surprend le plus, et ce dont je doute fort.

PROTÉ E.

Cesse d'en être étonné, Ménélas, car ma métamorphose est réelle.

MÉNÉL A S.

J'en ai moi-même été témoin ; mais il me semble, entre nous, que tu emploies dans cette affaire quelque prestige qui fascine les yeux de tes spectateurs, et que tu ne deviens pas réellement du feu.

PROTÉE.

Et quelle supercherie peut-il y avoir dans des choses si manifestes? n'as-tu pas vu de tes propres yeux toutes mes métamorphoses? si tu en doutes encore, si ce prodige te paroît faux, et n'être qu'une vaine illusion, approche de moi ta main, quand je serai changé en feu,

brave

brave héros, et tu sauras si je n'ai que l'apparence, ou si j'ai bien alors le pouvoir de brûler.

MÉNÉLA S.

L'épreuve n'est pas trop sûre.

PROTÉ E.

Tu n'as jamais vu de Polypes, ce me semble, Ménélas, et tu ne connois pas les propriétés de ce poisson.

MENELA S.

Si vraiment, j'ai vu des Polypes; mais j'ap prendrai volontiers de toi quelles sont leurs propriétés.

PROTÉ E.

Sur quelque rocher qu'ils se placent, ils s'y attachent avec leurs bras, et s'y collent de manière qu'il se rendent semblables à la pierre dont ils prennent aussi la couleur; ensorte qu'ils échappent aux yeux des pêcheurs trompés par cette ressemblance parfaite.

MÉNÉL A S.

On le dit; mais tes métamorphoses sont encore plus incroyables.

PROTÉE.

Je ne sais, Ménélas, qui tu croiras, si tu n'en crois pas tes yeux.

MÉNÉLA S.

Il est vrai, je l'ai vu et revu; mais c'est

Tome 1.

Q

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toujours pour moi un prodige inconcevable qu'une même chose puisse être du feu et de l'eau.

DIALOGUE V.

PANOPE ET GALÈNE.

PANO P E.

AS-TU vu, Galène, ce qu'hier, pendant le repas, la Discorde a fait en Thessalie, pour se venger de ce qu'on ne l'avoit point invitée au festin?

GALEN E.

Je n'étois pas du nombre des convives, Panope; Neptune m'avoit ordonné de tenir la mer calme (1) et tranquille: mais que fit-elle donc, puisqu'elle n'y étoit pas ?

PANOP E.

Thétis et Pélée, conduits par Amphitrite et Neptune, se rendoient au lit nuptial, et tandis qu'une partie des convives buvoit, que l'autre dansoit, ou écoutoit la lyre d'Apollon et le chant des Muses, la Discorde, sans être apperçue (2), jetta dans la salle du festin une pomme d'or, de la plus grande beauté, sur laquelle étoit écrit: QUE LA PLUS BELLE LA

(1) Le nom de Galène signifie calme.

(2) Le texte ajoute: elle le put aisément, parce que les uns buvoient, &c. J'ai été obligé de renverser cette phrase.

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