Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Les grandeurs que le fort peut ravir en un jour,
N'ont jamais attiré mes voeux ni mon amour,
La fermeté d'efprit, la grandeur de courage,
La pureté de coeur, voilà ce qui m'engage;
Ce qui dépend du fort eft pour moi fans appas,
Et j'aime les vertus qui n'en dépendent pas.

SEVERE.

Vous fuivez trop, Seigneur,une aveugle tendreffe.

ICILE.

Ah! ne t'oppofe plus à l'ardeur qui me preffe. Cependant Virginie eft long-tems à venir. Quel obftacle nouveau pourroit la retenir ? Quand verrai-je ceffer l'ennui qui me devore?. Neglige-t'elle, helas! un Amant qui l'adore ? Dieux! que puis-je penfer de fon retardement ? Que je fouffre de maux en ce cruel moment! Que je fuis dechiré ! Mais je la voi, Severe, Elle vient.

datda da data

SCENE I I

ICILE, VIRGINIE, SEVERE, CAMILLE.

ICILE.

LE deftin ne m'eft plus fi contraire,

Madame; je vous voi, & je puis en ce jour
Faire encore à vos yeux éclater mon amour.
Qui l'eût crû, que fi prés d'un heureux Hymenée,
Notre amour à ces maux dût être condamnée ?
Mais fufpendez l'effort de toutes vos douleurs ;
Que la joye un moment regne feule en nos coeurs.
Pour moi, je l'avoüerai, quand le fort me menace,

Du bien que je reçois je lui dois rendre grace.
J'étois abfent de vous, inquiet, defolé;

Je vous vois, je vous parle, & je fuis confolé.
Le trouble, la douleur qui déchiroit mon ame,
Tout s'eft évanoui devant vos yeux, Madame.
Ma prefence fait-elle au moins dans votre cœur
L'effet que votre vûë.... .?

VIRGINIE.

Eh, le puis-je, Seigneur ? Puis-je de mes defirs calmer la violence? Je les fens augmenter même en votre prefence : Ce qui devroit caufer mes plaifirs les plus doux Porte à mon trifte coeur les plus fenfibles coups Jugez dans quels malheurs le Ciel me precipite. Oui, je fens qu'à vous voir ma trifteffe sirrite. Helas! j'en connois mieux la perte que je fais, Car enfin je vous perds, & vous perds pour jamais.

ICILE.

Ah, Madame, éloignez cette injufte pensée;
Par ce cruel difcours ma flame eft offensée.
Pourquoi perdre un efpoir à notre amour fi doux
Qui peut nous feparer?

VIRGINIE.

Helas! l'ignorez-vous ? C'est le funefte effort du deftin qui me brave; Et fi je fors du fang d'un malheureux efclave, Je vois qu'à votre Hymen je ne dois plus penfer, Qu'à cet efpoir fi doux, il me faut renoncer. Oui, Seigneur, nous ceffons de vivre l'un pourl'autre.

Mais, Dieux! que mon malheur eft different du vôtre !

Vous ne perdez en moi qu'un cœur infortuné,
Au comble des horreurs par le fort condamné;
Et pour vous confoler de cette foible perte,
Ileft plus d'une voye à votre amour offerte.

Je ne vous parle point d'un Hymen plus heureux,
Car je n'ofe penfer qu'un coeur fi genereux,
Aprés les doux tranfports d'une ardeur mutuelle,
Puiffe brûler jamais d'une flâme nouvelle :
Mais l'honneur immortel qu'au milieu des com
bats

Votre rare valeur promet à votre bras,
Le genereux defir de fervir la patrie,
Pourront de votre efprit effacer Virginie:
Ou fi ces nobles foins ne peuvent l'en bannir;
Pour en combattre au moins le trifte fouvenir,
Vous pourrez oppofer, aprés votre Victoire,
Aux chagrins de l'amour les plaifirs de la gloire.
Mais moi defefperée, en l'état où je fuis,
Jefens de toutes parts augmenter mes ennuis
Je perds l'heurenx efpoir d'un illuftre Hymenée,
Et je perds avec lui le rang où je fuis née;
Enfin pour m'accabler dans ce funefte jour,
Je voi d'intelligence & la gloire & l'amour.
ICILE.

Ainfi vous renoncez à ce jufte Hymenée ?
Que deviendra la foi que vous m'avez donnée ?
Lié par mes fermens, & prefque votre Epoux,
N'aurai-je. . . . .

VIRGINI E.

Cette foi n'eft plus digne de vous,

Le fort injurieux...

ICILE.

Eh bien, que peut-il faire ? Son pouvoir ne peut rien contre un amour fince

VIRGINIE.

[re,

Penferez-vous à moi dans cet état honteux ?

ICILE.

Ah, croyez-moi, Madame, un peu plus genereux;
Rendez plus de juftice à mon ardente flame.
Votre merite feul l'alluma dans mon ame;
Et je jure à vos yeux, qu'il n'eft rien que

la mort

Qui puiffe deformais feparer notre fort;
Que par tant de fermens engagez l'un à l'autre,
Les Dieux même...

VIRGINIE.

Ah, Seigneur ! quelle erreur eft la vôtre! Lorfque vous me verrez dans un rang odieux. ICILE.

J'aurai le même coeur, j'aurai les mêmes yeux, Vous conferverez tout ce que mon cœur adore, Vous aurez vos vertus ; & vous aurez encore, Pour m'attacher à vous par un lien plus fort, Vos craintes, vos douleurs, les injures du fort. Oiii, pour ferrer les noeuds d'une chaîne fi belle, Vos difgraces auront une force nouvelle.

Ah! fi c'eft un devoir pour un cœur genereux De plaindre, de fervir, d'aider les malheureux Pour un coeur enflâmé quelle douceur extrême De foulager en vous le digne objet qu'il aime De finir vos malheurs, & de pouvoir enfin Vanger votre vertu des affronts du deftin!

VIRGINIE.

Ah Seigneur! cet aveu rend mon ame charmée. Quel plaifir de me voir fi tendrement aimée! Mais quand l'amour pour moi vous porte à vous trahir,

r;

A vos vœux indifcrets, Seigneur, dois-je obéïr Non, non, rempliffons mieux nos devoirs l'un & l'autre ;

Ma generofité doit feconder la vôtre;
Et refufant un bien que j'ai tant fouhaité,
Faire connoître au moins que je l'ai merité.
ICILE.

Que ce noble difcours pleinement justifie
Le veritable fang dont vous êtes fortie!
Un coeur dans l'esclavage, & d'un vil fang formé
D'un courage fi grand n'eft jamais animé;
Et quelque fier qu'il foit, toujours quelque foi-
bleffe,

Decouvre tôt ou tard fa premiere baffeffe.
Mais finiffez, Madame, un difcours fi cruel,
Et qui rend envers moi votre coeur criminel.
Dieux eft-ce là m'aimer, que m'ôter l'efperance
VIRGINIE.

Eh, qu'a-t'il ce difcours, Seigneur, qui vous of fense?

Croyez que ce refus marque mieux mon amour,
Que tout ce que j'ai fait jufqu'à ce trifte jour.
Ce n'eft pas qu'en effet, de mon deffein troublée
Par ce coup genereux je ne fois accablée;
J'en fremis par avance, & jugez par mes pleurs..

ICILE.

Madame, par pitié cachez-moi vos douleurs.
C'est trop de mes ennuis, & de votre tristesse,
Mais je la finirai, croyez-en ma promeffe.
Je perdrai vos tyrans, & quel que foit leur rang
Ces pleurs que vous verfez leur couteront du
fang.

VIRGINIE.

Ah, Seigneur ! arrêtez; où courez-vous ?

ICILE.

Madame

Ne vous oppofez point à l'ardeur qui m'enflâme, Il faut que l'infolent qui vous ofe infulter, Apprenne deformais à vous mieux refpecter. VIRGINIE.

Mais comment ?

ICILE.

C'eft à moi de vanger votre injure,

C'eft à moi de convaincre & punir l'impofture, J'y cours, adieu, Madame.

« AnteriorContinuar »