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Je remarque à vos yeux, quelle extrême furprife
Jette dans vos efprits une telle entreprise,
Sans douté vous croyez que ce hardi projet
Elt de mon defefpoir un temeraire effet;
Qu'aujourd'hui feulement j'en ai conçu l'idée :
Mais d'un noble courroux mon ame poffedée,
A formé dès long-tems ce genereux deffein,
L'amour ne l'a pas feul fait naître dans mon fein
Seulement les malheurs que pour vous j'appre
hende,

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Me font précipiter une action fi grande. Quand je tremble pour vous, rien ne peut m'arrêter,

Et je fuis affez fort pour tout executer.

Nos Tyrans féparez dans nos Camps, dans la
Ville,

Rendent de ce projet le fuccés plus facile,
Horace, Numitor, Valere, & Loelius,
Doivent au Tribunal immoler Appius.
Je dois, accompagné d'une nombreuse escorte,
De ce Palais fatal environner la porte,

Dont Appius fortant, par mille coups certains Nous previendrons l'horreur de fes lâches deffeins.

Les Chefs & les foldats n'attendent à l'armée,
Que d'oir de nos faits parler la Renommée;
Et dès le même inftant, de nos exploits jaloux,
Impatiens, heureux, & hardis comme nous,
Vous les verrez, pouffez d'une ardeur magnanime,
Se difputer l'honneur d'abattre une victime,
Et fur huit ennemis confondans leurs efforts,
A-chacun des Tyrans affeurer mille morts.
Le Peuple fatigué d'un pouvoir tyrannique,
Eft tout prêt de finir la mifere publique.
Deja, pour l'animer, j'ai fçu peindre à fes yeux
Les funeftes horreurs qui defolent ces lieux;
Les facrés Tribunaux ouverts à l'avarice.

Le commerce honteux qu'on fait de la Juftice,
Le Senat depeuplé des plus vieux Senateurs,
Leur puiffance donnée à d'indignes flateurs;
Le crime triomphant, l'innocence tremblante,
Du fang de fes Heros Rome toujours fumante,
Les tragiques effets du fer & du poison,
La violence jointe avec la trahifon,

La pudeur expofée à de coupables flames
Les Veftales en proye à des monftres infâmes;
Tous nos Temples détruits, deferts, ou propha-

nez :

Les augures confus, les Prêtres confternez : Enfin des maux plus grands, un joug moins fupportable,

Que ne fut de Tarquin le regne abominable.
Le Ciel me favorife, & je puis en ce jour
Servir la Republiquè en fervant mon amour.
Si je reviens vainqueur, ma gloire eft infinie,
J'affranchis ma Patrie, & j'acquiers Virginie;
Et, s'il faut fuccomber dans un fi noble effort,
Où pourrois-je trouver une fi belle mert ?

VIRGINIE.

Je n'ofe condamner l'ardeur qui vous entraîne; Je vous aime, & je crains : mais j'ai l'ame Romaine.

L'interêt du pays doit ici prévaloir :

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Tout cede dans mon coeur à ce premier devoir.
Je ne vous aurois pas hazardé pour moi-même,.
Mais je confens pour lui d'expofer ce que j'aime.
Le genereux amour qui regne dans mon coeur,
Ne veut point d'un Amant enchaîner la valeur;
Je brûle, comme vous, de voir Rome fauvée,
De voir votre vertu jufqu'aux Cieux élevée. ✨
Joignez tous les devoirs de Heros & d'Amant,.
Ils fe peuvent entr'eux fecourir puiffamment,
Leur union vous offre une double victoire,
Du côté de l'amour, du côté de la gloire ;

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De toutes parts enfin vous ferez couronné, Comme illuftre Guerrier, comme Amant fortuné. Les Romains admirant cette grande victoire, Drefferont des Autels, Seigneur, à votre gloire; Et moi, n'en doutez point, à votre heureux re

tour

Je prens fur moi le foin de couronner l'amour.

Ah! fouffrez.

ICILE.

VIRGINIE.

Mais, helas! que je fuis infenfée; Je me laiffe féduire à ma douce penfée. Peut-être que le fort nous menace tous deux, Le plus jufte parti n'eft pas toujours heureux, N'importe, allez, Seigneur ; & fi la deftinée Marque de votre mort cette trifte journée, Je jure que mon fang par ma main repandu, Dans le vôtre auffi-tôt fe verra confondu, Que mon bras...

ICILE.

Eloignez cette funefte image J'accepte feulement votre premier préfage; J'efpere qu'aujourd'hui, content, victorieux, Madame, je viendrai vous tirer de ces lieux,

Adieu,

PLAUTIE.

Je vous fuivrai, Seigneur ; & mon courage Veut avoir quelque part dans ce fameux ouvrage.

SCENE VI

PLAUTIE, VIRGINIE, FULVIE,

CAMILLE.

VIRGINIE.

Uoi, vous voulez vous-même.,.

Quoi

PLAUTIE.

Oui, je veux que mes cris
Réveillent la vertu des Romains affoupis ;
Je veux leur infpirer les tranfports de mon ame
Sans doute ils rougiront, en voyant une femme,
Moins timide cent fois & plus Romaine qu'eux
Tâcher de ranimer cet efprit genereux

Qu'a verfé dans leur fein le fang de leur ancêtres,
Sans ceffe révolté contre d'injuftes Maîtres.-
Ah! fonge quel triomphe, & quel bonheur pour

nous,

Si tandis que l'on voit mon invincible Epoux,
Des perils du dehors nous fauver, nous defendre
L'on voit en même tems fon époufe & fon gendre
Affranchir Rome encor du joug des Decemvirs;
Le fort fecondant nos foins & nos defirs,
Notre famille feule affeurant fa memoire,
D'un Empire fi faint faire toute la gloire !
VIRGINIE.

Je connois la grandeur d'un fi noble deffein;
Mais, helas! que je crains qu'on ne le tente en

vain!

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DIE WIE WIN DIE

SCENE VII.

PLAUTIE, VIRGINIE, CAMILLE,

FULVIE, SEVERE.

SEVERE.

N'Attendez plus un fecours inutile,

Madame, ç'en eft fait, on nous en leve Icile;
Un traître qu'il croyoit ferme en fes interêts,
Vient d'inftruire Appius de fes deffeins fecrets.
Dans le moment qu'icile alloit tout entreprendre,
On l'amis hors d'état de vous pouvoir défendre s
De fa jufte colere on previent les effets,

On le vient d'arrêter en fortant du Palais,

O Ciel !

PLAUTIE.

VIRGINI E.

Cruel deftin! quelle perfeverance!

Puis-je aprés un tel coup avoir quelque efperance!
Vous le voyez, Madame, il n'eft plus de fecours,
Il eft tems de finir mes deplorables jours.
Icile eft arrêté; le Ciel nous eft contraire,
Il nous prive à la fois de l'Amant & du Pere;
Çen eft fait, je me livre à mon feul defefpoir.

PLAUTIE.

Ah! prens fur toi, ma fille, un peu plus de pou

voir.

Mourir lorfque le fort rend la vie importune,
C'eft l'ordinaire effet d'une vertu commune:
Mais vivre en effuyant fes plus funeftes coups,
Lui faire voir un coeur plus grand que fon cour-

roux,

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