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Quel injufte chagrin & vous trouble & vous gênes Que craignez-vous ?

APPIUS.

Je crains l'aspect d'une inhumaine; Je crains de nos projets lefuccés dangereux : Que puis-je attendre enfin d'un amour malheut

reux,

D'un amour dans mon coeur formé fans efperance, Et dont le defefpoir accroît la violence?

Jeme laiffai furprendre aux yeux qui m'ont char

mé,

Sçachant depuis long-tems qu'Icile étoit aimé, Quand le don de leur foi, quand leur amour fi tendre Défendoit à mes voeux de pouvoir rien prétendre. Dieux! que n'entreprent point un coeur au defef poir a

Et

Je ne me fouvins plus des loix de mon devoir;
pour femer entre eux un éternel divorce,
Mon amour employa l'artifice & la force.
Je t'appris mes malheurs : ton amitié pour moi
Déja par cent efforts m'affuroit de ta foi,
Et contre Icile enfin ta haine inexorable
Te rendoit à mes voeux encor plus favorable.
Ainfi je t'engageai dans mes deffeins fecrets;
Ton zele aveuglément a pris mes interêts:
Cependant quand je voi l'entreprise avancée,
Mille perils divers s'offrent à ma pensée;
Mais je tremble fur-tout qu'un odieux Rival
Au repos de mes jours ne foit encor fatal.
CLODIUS.

De mon zele pour vous affuré dés l'enfance,
Vous m'avez honoré de votre confiance,
Seigneur, & votre main par de nouveaux bienfaits
A femblé chaque jour prévenir mes fouhaits:
Mais le plus grand de tous, Seigneur, je le con-
feffe,

C'elt d'avoir employé mes foins & mon adreffe

Pour rompre le bonheur qu'Icile s'eft promis;
Je le hais plus lui feul que tous mes ennemis,
Depuis que par fa brigue affurant ma difgrace,
Je l'ai vu dans nos Camps commander en ma pla-

ce,

Et par l'injufte choix de Rome & du Senat,
Des honneurs qu'on me doit obtenir tout l'éclat ;
Que je ferois heureux de le pouvoir détruire!
Je gouterai du moins le plaifir de lui nuire,
Puifqu'enfin votre amour me permet aujourd'hui
D'attacher à fes jours un éternel ennui.

Mais je n'aurois pas crû, quelque ardeur qui vous preffe,

Que le coeur d'Appius fit voir tant de foibleffe.
Tout flatte vos defirs, tout fuccede à vos voeux,
Vous n'avez qu'à vouloir, Seigneur, pour être
heureux:

Cependant un Rival que votre amour accable,
Vous gêne, & vous paroît encore redoutable.
Il vous le falloit craindre en cet inftant cruel
Que conduifant déja Virginie à l'Autel,
Par les liens facrez d'un heureux Hymenée
Il alloit à fon fort joindre fa deftinée;
Lorfque tout étoit prêt, la coupe, le couteau
La victime, l'encens, le Prêtre, le flambeau ;
Quand Plautie elle-même à fes defirs propice,
Pour l'Hymen de fa fille offroit un facrifice:
C'étoit alors, Seigneur, qu'on eût pu pardonner
Le trouble ou votre coeur femble s'abandonner:
Mais j'ai mis à ces noeuds un invincible obftacle,.
pour vous épargner ce funefte fpectacle,
J'ai ravi la conquête à cet heureux Amant
Dans le Temple, à l'Autel, dans le même mo-

Et

ment

Qu'il formoit ce lien à votre amour contraire;

Et malgré les foupirs & les pleurs d'une mere,
Malgré tous les efforts d'un amant furieux,
J'ai conduit, j'ai remis Virginie en ces lieux.
Votre repos enfin de vous feul va dépendre,
Il ne vous refte plus, Seigneur, qu'à faire enten-
dre

Une fauffe équité qui foutiendra mes droits,
Et qui mettra le crime à l'ombre de nos loix.
Parlons, & publions enfin que Virginie

N'eft point du noble fang dont on la croit fortie;
Que chez moi d'un efclave elle a reçu le jour,
Qu'elle doit être auffi mon esclave à fon tour,
Et fuivant le deftin de ceux qui l'ont fait naître,
Heriter de leurs fers, & m'accepter pour maître.
APPIUS.

Differons un éclat mortel à fon honneur.
Seule encor de fon fort elle fait la rigueur.
Peut-être fe voyant au bord du précipice,
Son peril à mes voeux la rendra plus propice.
N'expofons point fa honte aux yeux de l'Univers,
Elle craint, il fuffit, de tomber dans les fers,
Elle fremit des maux d'un fort fi déplorable.
CLODIU S.

Profitez donc, Seigneur, de ce tems favorable,
Et donnant un cours libre à vos fecrets foupirs,
Courez à Virginie expliquer vos defirs.

APPIUS.

Je me fuis tû long-tems, & veux me taire encore.
Loin de faire éclatter ce feu qui me devore,
Je doi plus que jamais le cacher en ce jour,
Tout m'y contraint, l'honneur, mon devoir,

mon amour.

Quel tems pour déclarer ma temeraire flâme ! A quel trouble nouveau je livrerois fon ame! Je ne ferois, helas! qu'irriter fes douleurs, Mes difcours groffiroient la fource de fes pleurs. C'eft affez qu'arrachée à l'Amant qu'elle adore,

Captive dans ces lieux, elle ait appris encore
Qu'elle eft prête à tomber dans la honte des fers
Ce feroit à la fois trop de malheurs divers.
Attendons, pour lui faire un aveu fi terrible,
Que le tems ait rendu fa douleur moins fenfible;
Epargnons fes foupirs, & cherchons un moment
Où je trouve fon coeur moins plein de fonAmant,
Mais cachons-lui fur-tout que c'est moi qui l'op-
prime;

Et puifqu'enfin l'amour me coûte un fi grand cri

me,

Que j'en rougiffe feul, ou que ma honte au moins N'ait dans tous mes remords que tes yeux pour témoins.

CLODIUS.

Prenez garde, Seigneur, qu'une injufte contrainte
Ne renverse à la fin tout le fruit de ma feinte.
Vous nourriffez un feu prêt à vous confumer,
Vous languirez toujours...
APPIUS.

Ceffe de t'allarmer,
J'ai mes raifons; je veux qu'une action fi noire,
Loin de ternir ma vie, en releve la gloire.
Deguifons ce forfait, couvrons-en la noirceur,
Et faifons admirer ce qui feroit horreur.
Si la vertu fouvent paffe pour impofture,
Le crime imite auffi la vertu la plus pure;
Et mon coupable amour fera mieux écouté
Sous un pretexe adroit de generofité.
Je vais donc annoncer moi-même à Virginie
Qu'à la tirer des fers la gloire me convie,
Et que rien deformais ne la peut fecourir,
Que la main & la foi que je lui viens offrir;
Sous ces dehors flateurs je cacherai mon crimne,
Par-là je gagnerai fon coeur ou fon eftime
Et l'on imputera, par ce fubtil détour,
A la feule pitié des effets de l'amour.

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CLODIU S.

Je me rends au deffein que l'amour vous fuggere, De notre intelligence il couvre le myftere: Mais il faudroit auffi, pour ne rien negliger a Eloigner un Rival qui cherche à fé vanger. Prevenez les tranfports d'un Amant en furie,. Prêt à tout hazarder pour fauver Virginie,

APPLUS.

Eh, c'eft ouì je l'attens. J'ai fçu déja prevoir
Les effets de fa rage & de fon defefpoir :-
Mais à notre deffein fa colere eft utile.
Auffi, loin de bannir ce redoutable Icile,
Bien loin de lui cacher l'objet de fon amour,
Je pretens qu'il la voye, & même dès ce jour,
Oui, je veux qu'il jouiffe ici de fa prefence,
Afin de le porter à plus de violence.
Cet objet douloureux aigrira fa fureur,
Il voudra la vanger & finir fon malheur;
Ce Rival odieux, pour fervir ce qu'il aime,
A mes tranfports jaloux viendra s'offrir lui-même,.
Et dés le moindre effort qu'il ofera tenter,
Sans bruit dans ce Palais je le fais arrêter.

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Plautie, aux pleurs abandonnée à Seigneur, à vous attendre eft toujours obftinée.

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