AN. 1238.

1

XVII. Conquête de Valence. Efcolano lib. 3. c. 4.

6. S.

Les moines de Vincheftre s'étant enfuire affemblez pour l'élection; le roi y vint auffi-tôt, & étang entré dans le chapitre, il les preffa par promeffes & par menaces d'élire l'évêque de Valence. Eux voulant éviter fon indignation fans lui accorder fon injuste demande, élûrent Raoul de Neuville êvêque de Chichestre & fon chancelier; mais le roi voïant ses prieres encore éludées, chargea Raoul d'injures le traitant d'homme impetueux, colere & pervers, & lui ôta fon fceau, difant aux moines, qu'ils étoient des infenfez d'avoir élû un tel évêque. Puis il envoïa en cour de Rome deux legiftes, qui à force d'argent firent caffer cette postulation.

En Espagne Jacques roi d'Arragon affiegeoit Valence. Il entreprit la conquête de ce roïaume incontinent aprés celle de Majorque & dés l'année 1232. Ik prit plufieurs places pendant les années fuivantes & avança jufques à la capitale, qu'il commença d'affieger aprés Pâques, c'est-à-dire au mois d'Avril 1238. Il avoit d'abord peu de troupes; mais il lui en vint enfuite, non feulement d'Arragon & de Catalogne, mais de Provence, de France & d'Angleterre : l'archevêque de Narbonne Pierre Amelin y vint en per fone accompagné de treize chevaliers & de cinq cens. hommes de pied. Le roi More qui commandoit à Valence étoit Żaïn, auparavant feigneur de Denia; & Zeit-abouzeït qu'il avoit chaffé fe fit Chrétien, fuiVading.1238. vant la priere qu'avoient faite pour lui les deux freres Mineurs Jean & Pierre qu'il fit mourir en 1231. Zeït Sup.l.v.LXXX. fut nommé Vincent au baptême; mais il tint fa converfion fecrete, pour ne pas fe rendre odieux aux Mufulmans, car il efperoit de remonter fur le trône &

2.7.

avoit toûjours un parti confiderable.

2.

Aprés fix mois de fiege Zain fut reduit à rendre AN.1238. Valence, à condition que les habitans auroient la vie Efc. c.,6. n. 8. fauve & feureté pour le retirer avec ce qu'ils pourroient emporter fur eux. Ainfi le roi Jacques d'Arragon y entra victorieux le mardi vingt-huitiéme de Septembre 1238. veille de la faint Michel. On fut occupé pendant trois jours à nettoyer & purifier les mofquées pour en faire des églises. Aprés avoir diftribué les maifons de la ville & les terres d'alentour, le roi s'appliqua à donner des loix à ce nouveau roïaume, par le confeil des prélats & des feigneurs qui l'avoient fuivi en cette guerre. Les prélats étoient Pierre archevêque de Tarragone, Berenger évêque de Barcelone, Vital d'Huefca, Bernard de Saragoce, Ponce de Tortofe, Garcia de Taraçone & Bernard de Vic: sept en tout. Entre autres loix le roi défendit aux Mores & aux Juifs d'avoir des efclaves, ou d'autres ferviteurs Chrétiens, ni des nourrices Chrétienes pour leurs enfans: de tenir leurs boutiques ouvertes, ni de travailler les dimanches & les fêtes: Mais il permit aux Mores de travailler à leurs terres tous les jours indifferemment, excepté les qua tre plus grandes fêtes de l'année. Pour ne point fcandalifer ces infidelles, il défendit de tailler en public les images de pierre de J. C. & des SS. afin qu'on ne les vît point ébauchées & difformes, ni de les vendre dans les rues, non plus que les images en peinture. Il accorda l'immunité, c'eft-à-dire le droit d'azile à la grande églife de Valence, à celle du martyr S. Vincent patron de la ville, & à toutes les principales églifes du royaume.

Tome XVII.

A a

Si-tôt qu'il eût changé en église la grande mof quée, il s'appliqua à y établir un évêque, des chanoines, des dignitez & un clergé. D'abord on n'y mit que douze chanoines & quatre dignitez, savoir, un grand archidiacre, un facriftain ou treforier, un chantre ou capifcol, un archidiacre de Xativa: vingt ans aprés on y ajoûta un doïen. Par le confeil des prélats le roi propofa pour premier évêque de Valence frere Berenger de Caftel Bifbal de l'ordre de S. Dominique, qui avoit été à la conquête de Majorque : mais fon élection fut differée à caufe de la conteftation qui furvint entre les deux archevêques de Tolede & de Tarragone, pour favoir lequel feroit métropolitain du nouveau fiege de Valence. Cependant celui de Gironne venant à vaquer frere Berenger en fut élû évêque par le chapitre: mais avant que de quitter Valence il y avoit déja reglé le service divin.

Le roi d'Arragon écrivit au pape Gregoire en faveur de l'archevêque de Tarragone; & le fuplia de declarer l'evêque de Valence fuffragant de ce prélat, nonobftant qu'il l'eût été de Tolede avant l'invafion des Mores, & il y avoit une nouvelle raison: car Tolęde étoit du roiaume de Caftille & Tarragone de celui d'Arragon, dont dépendoit Valence par la nouvelle conquête. Auffi le pape accorda-t-il au roi fa demande: il érigea l'église de Valence en cathedrale fuffragante de Tarragone, & lui affigna un diocése, par fa bulle du neuviéme d'Octobre de l'année fuivante 1239. Alors on proceda à l'élection d'un évêque du confentement de l'archevêque & des grands, & avec l'approbation du pape, on élût Ferrier de faint Martin prévôt de l'églife de Tarragone. Pour doter

AN. 1238.

n. 8.

celle de Valence, le roi lui donna toutes les dîmes du diocefe, qui lui appartenoient, en vertu de la conceffion faite par Gregoire VII. & Urbain II. aux rois d'Arragon ses prédeceffeurs, de toutes les dîmes des terres qu'ils conquerroient fur les Mores. Le roi Jacques donna à Vincent de Belvis autrefois le roi Zeït un revenu honnête avec un palais dans Valen- Vad ng. 12:8. ce, que le roi même du confentement de ce prince donna trois mois aprés aux freres Mineurs pour y établir un convent.

2

n. 5.1239. n.

16.

XVIII.

Au mois d'Octobre de l'année 1238. Henri autrement Hents fils naturel de l'empereur Frideric paffa Hents roi de en Sardagne, & époufa Adelafie veuve d'Ubalde & Sardagne. dame des deux provinces de Galluri, & de Torres, qui faifoient la moitié feptentrionale de l'isle. Ubalde & fa femme avoient tenu cette principauté en fief ap. Rain. de l'église Romaine, & en avoient prêté ferment de 1237. 2. 17. fidelité au pape Gregoire: qui prétendoit que toute la Sardagne lui appartenoit, non feulement comme toutes les ifles de la mer: mais par les donations de Conftantin, de Louis le Debonaire & des autres empereurs. La partie meridionale contenoit auffi deux provinces d'Arborée & de Caillari, & les feigneurs de ces quatre provinces prenoient le titre de juges. Sardin. Or en 1237. le douziéme de Mai Pierre juge d'Arborée avoit reconnu devant Alexandre chapellain du pape & fon legat en Sardagne, qu'en vertu de fon ferment de fidelité il étoit tenu d'obéir à tous les ordres du pape : de ne contracter aucune alliance fans fa permiffion, & de païer tous les ans à la S. Pierre un cens d'onze cens befans d'or à l'Eglise Romaine. Au contraire l'empereur Frideric foûtenoit que l'ifle

Baudrand.

Rain. n. 22.

Sup.liv.LXXX.

n. 64.

AN. 1238.

Matth. Parif.

XIX.

Le pape excommunie

Pet. Vin. I.

epift. 6.

P. 416.

que

de Sardagne appartenoit anciennement à l'empire, & fes prédeceffeurs ne l'avoient perduë, que parce qu'ils avoient été occupez ailleurs à des affaires plus importantes. Or, ajoûtoit-il, j'ai juré comme tout le monde fait, de retirer tout ce qui a été démembré de l'empire, & je ne ferai point negligent à l'executer. Il envoïa donc fon fils Hents, qui s'empara de la plus grande partie de l'ifle, & l'empereur l'en declara roi.

Le pape en fut extrêmement irrité; & cette entreprife excita de nouveau le reffentiment qu'il avoit l'empereur. contre l'empereur, pour les autres fujets dont il avoit déja fait des plaintes. Il lui fit plusieurs monitions Matth. Parif. dans les formes, enforte que l'empereur vit bien qu'il vouloit le pouffer à bout. Pour le prévenir, il écrivit aux cardinaux une lettre du dixiéme de Mars où il difoit en fubftance: Puifque vous êtes les fucceffeurs des Apôtres & les lumieres de l'église qui participez à tous les confeils du pape : il eft étonant qu'il s'emporte jufques au point de vouloir tirer le glaive fpirituel contre l'empereur Romain & le protecteur de l'églife en faveur des Lombards rebelles, quoique les torts qu'il pretend avoir été faits aux églifes foient déja reparez, ou le doivent être inceffamment par nos ordres. Nous ne pourrions fouffrir une telle injure fans emploïer la vengeance dont les empereurs ont accoûtumé d'ufer. C'est pourquoi nous vous prions affectueusement de retenir ces mouvemens du pape, qui viennent plus de paffion que de justice, comme tout le monde le reconnoît: pour prévenir les scandales qui en feroient les fuites.

Le pape ne laiffa pas de paffer outre, & il publia folemnellement à Rome l'excommunication contre