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JII. Colléges.

Pafq. Recher.

temps en temps: mais ce que qu'il y avoit de bon eft que perfonne n'é
toit reçû docteur qu'aprés avoir enfeigné publiquement. Au refte les
leçons ne fe faifoient pas en dictant des écrits, mais le profeffeur aprés
s'être préparé, les prononçoit de fuite comme des fermons ; & les éco-
liers en écrivoient ce qu'ils pouvoient. Or il eft à croire que les freres
Prêcheurs fuivirent l'ordre qu'ils avoient trouvé établi dans l'univerfité.
L'inftitution des colléges qui commencerent vers le milieu du treizié-
me fiécle fut un bon moyen pour maintenir la police de l'univerfité &
contenir dans le devoir les écoliers qui y étoient renfermez. Les reli-
gieux furent les premiers qui fonderent de ces maifons pour loger en-
femble leurs confreres étudians & les féparer du commerce des féculiers.
Ainfi outre les freres Prêcheurs & les freres Mineurs dont les premieres
maisons à Paris font les collèges de tout l'ordre, on y fonda pour les
moines ceux des Bernardins de Clugny & de Marmoutier. Celui de H.L.LXXXIII.
Sorbone fut un des premiers destiné à des clercs féculiers ; & enfuite la ". 47.
plupart des évêques en fonderent pour les pauvres étudians de leurs dio-
céfes. Par-là ils s'acquittoient en quelque maniere de l'obligation d'inf
truire & de former leur clergé, qui eft un de leurs principaux devoirs :
vû qu'ils ne pouvoient efperer de leur donner chez eux d'auffi bons
maîtres que dans les écoles publiques.

Or la difcipline des colléges tendoit non-feulement à l'inftruction
des écoliers qu'on y entretenoir & que nous appellons Bourfiers, mais
à régler leurs mœurs & les former à la vie clericale, Ils vivoient en com-
mun, célébroient l'office divin, avoient leurs heures réglées d'étude &
de divertiffement, & plufieurs pedagogues ou regens veilloient fur eux
pour les conduire & les contenir dans leur devoir: c'étoit comme de
petits feminaires. Enfin cette inftitution & tout le refte de la police des
univerfitez fut fi geniralement approuvée, que tous les païs du rit Latin
fuivirent l'exemple de la France & de l'Italie & depuis le treizième siècle
on vit paroître de jour en jour de nouvelles univerfitez.

Liv. IX. c. 15.

IV.

Hift. Liv. XLV.

2.19.

3. Difc. n 2.

Voyons maintenant quelles étoient ces études que l'on embrasfoit avec tant d'ardeur, & fi on les avoit perfectionnées en augmentant le Cours d'études. nombre des étudians & des maîtres. C'étoit fans doute l'intention mais le malheur du temps ne le permit pas. Le goût des bonnes études étoit perdu, & on n'étoit pas encore revenu de l'erreur des favans du neuvième siècle, qui voulant embraffer toutes les études n'étudioient rien exactement. On fuppofoit toûjours que pour être admis aux leçons de theologie, il falloit avoir apris les arts liberaux, c'est à-dire, au moins la grammaire, la rhetorique, la logique & les autres parties de la philofophie ; & de là nous eft venu ce cours réglé d'études qui fubfifte encore. Le plan étoit beau fi l'éxecution eût été poffible: mais la vie de l'homme eft trop courte, pour aprofondir chacun de ces arts comme on prétendoit faire, & s'appliquer enfuite aux fciences fuperieures. Supofé même que quelque heureux genie pût y réüffir, il ne faudroit pas le pro- n. 23. pofer à tout le monde;& d'ailleurs la vraye fcience ecclefiaftique n'a pas besoin de tous ces préliminaires. L'antiquité ne les demandoit pas aux évê- al. 168. ques même;&S. Auguftin en nomme un de fon voifinage qui n'avoit point

Hift. Liv. XX.

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Aug. ep. 34.

A

V.

Grammaire.

étudié les lettres humaines, & qu'il eftimoit toutefois fi bon theologien, qu'il lui renvoye le Donatifte Proculeien pour être confondu. C'est que ce bon évêque ne laiffoit pas de s'être fuffifamment inftruit par la méditation continuelle de l'écriture fainte & la lecture des auteurs ecclefiaf tiques, qui avoient écrit en Latin, fa langue naturelle. Les études fuperficielles font croire qu'on fçait ce qu'on ne fçait pas, qui eft un degré au-deffous de l'ignorance.

La grammaire felon l'idée des Grecs & des Romains, de qui nous l'avons reçûë & felon le bon fens, devoit être l'étude de nôtre langue maternelle pour la parler. & l'écrire correctement : mais ce n'eft pas ainfi qu'on étudioit la grammaire dans nos écoles. On ne l'appliquoit point aux langues vulgaires, on les méprifoit encore comme indignes d'être écrites & employées dans les difcours ferieux, & l'on s'opiniâtroit à tout écrire en Latin, quoique depuis plufieurs fiécles on ne le parlât plus en aucun pays du monde. On commença toutefois vers le milieu du douziéme fiécle à écrire en Roman, c'est-à-dire, en François du temps: mais ce n'étoit guere que des chanfons traitant d'armes ou d'amours comme on parloit alors pour le divertiffement de la nobleffe; & de là eft venu le nom de Romans aux fables amoureufes. Le premier ouvrage ferieux que je connoiffe en cette langue eft l'hiftoire des ducs de Normandie écrite en l'an 1160. par un clerc de Caën nommé maître Vace. Environ cinquante ans aprés Geoffroy de Villehardouïn écrivoit en profe l'hiftoire de la conquefte de C. P. & depuis on s'enhardit peu à peu તે à écfire en langue vulgaire non-feulement en France, mais en Italie & en Espagne.

Toutefois je ne voi point qu'on y ait appliqué dans ces premiers temps l'étude de la grammaire; il femble que l'on craignoit de la profaner. J'en juge par l'histoire de Villehardouin, où je vois les mêmes mots écrits fi diverfement qu'il eft clair que l'ortografe n'en étoit pas encore fixée & peut-être la prononciation. Je n'y trouve point de distinction du plurier & du fingulier ni de conftruction uniforme: En un mot, aucune régularité. De-là vient qu'ils défiguroient fi fort les noms étrangers, & que nous trouvons Toldres Liafcres dans Villehardouin pour Theodore Lafcaris : dans le Florentin Malespini Pallioloco pour Paleologue & Ghirigoro pour Gregoire : enfin dans d'autres plus modernes Cecile pour Sicile. Il eft encore important de fçavoir qu'en ces temps là les laïques, même les plus grands feigneurs n'avoient pour la plupart la plupart aucune teinture des lettres, jufques à ne fçavoir ni lire ni écrire. Enforte que s'ils vouloient faire une lettre, ils appelloient un clerc, c'eft à-dire un ecclefiaftique auquel ils difoient leur intention & qui l'écrivoit en latin, comme il jugeoit à propos: puis quand on avoit reçû la réponse, il falloit de même la faire expliquer. De-là vient qu'entre les lettres de Pierre de Blois, vous en voyez plufieurs au nom des princes & des princelles qu'il ne fait pas toujours parler de la maniere qui leur étois la plus convenable.

On n'étudioit donc la grammaire que pour le Latin, ou plûtôt on apprenoit l'un & l'autre ensemble comme nous faifons encore. Mais au

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lieu qu'on nous montre à prefent le latin le plus pur qu'il eft poffible, on fe contentoit alors de ce latin groffier dont nous voyons des reftes dans les écoles de philofophie & de theologie. Ce langage du treiziéme fiécle & des deux fuivants eft rempli de mots latins détournez de leur vrai fens ou formez fur les langues vulgaires, & mêlez de mots barbares tirez des langues Germaniques, comme guerra & treuga: enforte que ceux qui ne fçavent que le bon latin n'entendent point celuici, s'ils n'en font une étude particuliere; car on ne s'avife pas d'abord d'entendre par miles un chevalier & par bellum une bataille. Par la raison contraire, les favans de ces temps-là n'entendoient qu'à demi les auteurs de la pure latinité, & non-feulement les profanes, dont ils auroient peut-être pû fe paffer, mais les peres de l'eglife S. Cyprien, S. Hilaire, S. Jerôme, S. Auguftin: enforte que fouvent en les lifant ils ne prenoient pas leur penfée. Et comme on ne lit pas volontiers ce qu'on n'entend pas-, on négligea infenfiblement la lecture des anciens pour s'attacher aux modernes plus intelligibles; & on en vint enfin à méprifer l'étude de l'antiquité comme une curiofité inutile. On réduifit donc la grammaire aux déclinaifons, aux conjugaifons & aux regles les plus communes de la fyntaxe : fuivant au refte la frafe des langues vulgaires, dont on empruntoit tous les jours de nouveaux mots leur donnant feulement la terminaison latine. Il eft vrai que ce bas latin avoit fon utilité: c'étoit une langue commune à tous les gens de lettres chez toutes les nations du rit Latin, comme elle l'eft encore particulierement dans le Nort.

Ceux qui étudioient fi mal le latin dont ils fe fervoient continuellement pour parler & pour écrire, n'avoient garde d'étudier le grec ou l'hebreu ; & toutefois les Latins mêlez avec les Grecs depuis la prife de C. P. avoient néceffairement commercé avec eux, & les Juifs étoient répandus en France comme dans tout le refte de l'Europe: mais les commoditez d'apprendre ne fuffifent pas fans la curiofité. Car depuis les croisades les Franes avoient la même facilité d'apprendre l'Arabe, le Syriaque & les autres langues Orientales; & toutefois parmi ce clergé latin répandu dans l'Orient pendant deux cens ans, je ne vois prefque perfonne qui le foit appliqué à l'étude de ces langues fi néceffaires pour connoître la religion, les loix & l'hiftoire des Mufulmans ; & ne pas donner dans des erreurs groffieres, en difant, comme ont fait quelquesqu'ils adoroient Mahomet & en avoient des idoles.

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L'ignorance du grec réduifoit aux traductions. pour lire les peres Grecs & elles font toûjours defectueufes: auffi les vois-je peu citez dans les temps dont je parle, fi ce n'eft S. Jean Damafcene & le prétendu S. Denis. Je trouve toutefois quelques exemples de Latíns fçavans en Grec & verfez dans la lecture des peres Grecs: comme ces quatre religieux mandiants envoyez par le pape Gregoire IX. pour converfer avec les Grecs, dont ils combattoient fi bien les erreurs au concile de Nymphée en 1234. Ce qui m'étonne, eft qu'ils n'ayent point formé de difciples: que d'autres à leur exemple ne fe foient pas appliquez à cette étude fi utile ; & que dés-lors on n'ait pas établi dans nos écoles des

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profeffeurs pour la langue Grecque & l'explication des auteurs Grecs. Je trouve encore quelque peu de Chrétiens qui fçavoient l'hebreu comme les deux qui furent employez à Paris à la traduction des extraits du Thalmud en 1248. & Robert d'Arondel en Angleterre. Mais je Liv. LXXXIII. ne voi point qu'on profitât de cette étude pour l'intelligence du fens litteral de l'écriture, qui en eft le meilleur ufage, & pour la connoiffance des traditions des Juifs, qui revient à la même fin. Au contraire on vouloit abolir la mémoire de ces traditions, comme il paroît par la la condamnation du Thalmud; & on ne voyoit pas que c'étoit irriter les Juifs fans aucune utilité. Car que prétendoient faire nos docteurs en brûlant ces livres ? Les abolir entierement : & ne voyoient-ils pas qu'ils fe confervoient entre les mains des Juifs répandus en Espagne & en Orient hors la domination des Chrétiens, qui avec un peu de temps & de dépense les communiqueroient aux autres ? C'est ce qui eft arrivé, &. le Thalmud s'eft fi bien confervé, qu'il a efté imprimé tout entier & plufieurs fois. Les Chrétiens curieux en ont profité; & laiffant à part les impietez, les fables & les impertinences des Rabins,ils en ont tiré des connoiffances trés-utiles, tant pour entendre l'écriture, que pour combattre les Juifs par leurs propres armes.

Aprés la grammaire on étudioit dans nos univerfitez la réthorique, mais d'une maniere qui fervoit plûtôt à gâter le ftile qu'à l'enrichir. Leur rhétorique confiftoit à ne parler que par métaphores ou autres figures étudiées, évitant avec foin de s'expliquer fimplement & naturellement : ce qui rend leurs écrits trés-difficiles à entendre. Voyez les lettres du pape Innocent III. & de fes fucceffeurs,ou de Pierre de Blois, & fur tout celles de Pierre des vignes, admirées en fon temps comme des modéles d'éloquence pulcra dictamina. D'où vient que Malefpini dans fon hiftoire de Ricord. Malefp. Florence l'appelle bon dictateur. Ce qu'ils affectoient fur tout c'étoit d'employer les frafes de l'écriture: non pour autorifer leurs penfées & fervir de preuves, qui eft l'ufage legitime des citations, máis pour exprimer les chofes les plus communes. Ainfi dans une hiftoire au lieu de dire fimplement : un tel mourut, ils difent : Il fut joint à fes peres : ou: Il entra dans la voye de toute chair. Or ces frafes gâtent encore leur latin étant traduites mot à mot de l'hebreu; & il eft à oraindre que pour les ajufter au fujet l'auteur n'ait quelquefois forcé fa pensée, & dit un peu plus ou un peu moins qu'il ne vouloit.

C. 131.

Un autre fruit de leur mauvaise rhétorique font les lieux communs dont leurs écrits font remplis. Comme ces ennuyeufes prefaces par où commencent les bulles, les conftitutions & les priviléges des princes; & ces fades moralitez qui fe trouvent à chaque page dans les fermons & les écrits de pieté : qui demeurant dans les thefes generales, dont tout le monde convient fans en faire l'application au détail, ne font d'aucune utilité. C'eft ce qui nous doit confoler de tant d'écrits de ce genre treiziéme & du quatorziéme fiécle qui n'ont pas encore vu le jour : on n'en a que trop imprimé.

du

Quant à la poëtique on l'étudioit fi mal que je ne daigne prefque en faire mention. On fe contentoit d'aprendre la mesure des vers la

la

tins, & la quantité des fyllabes quoi qu'imparfaitement, & on croyoit faire un poëme en racontant de fuite une hiftoire d'un ftile auffi plat & d'un latin aussi barbare que l'on auroit fait en profe: excepté que contrainte des vers faifoit chercher des expreffions forcées & ajoûter des chevilles. Voyez la vie de la comteffe Mathilde écrite par Domnizon. Ileft vray que Gunther dans fon Ligurinus & Guillaume le Breton dans fa Philippide s'élevent un peu davantage & tournent mieux leurs penfées, mais ce n'eft guerefque par des frafes empruntées toutes entieres des anciens. Nous ne laiffons pas d'avoir obligation à ces mauvais poëtes de nous avoir confervé la tradition des fyllabes longues ou breves, & de la conftruction des vers latins. Au refte on ne voit aucun agrément dans les ouvrages ferieux de ces temps là ; & les auteurs n'avoient aucun goût pour l'imitation de la belle nature qui eft l'ame de la poëfie.

Mais ils en avoient beaucoup pour les fictions & les fables, en cela femblables aux enfans qui font plus touchez du merveilleux que du vrai. Delà vient qu'ils étudioient fi mal l'hiftoire, même de leur païs. Ils recevoient tout ce qu'ils trouvoient écrit, fans critique, fans difcernement : fans examiner l'âge & l'autorité des écrivains : tout leur étoit bon. Ainsi la fable de Francus fils d'Hector & des Francs venus des Troyens a été embraffée par tous nos hiftoriens, jusques vers la fin du feiziéme fiécle : ainfi on a fait remonter l'hiftoire d'Espagne jufques à Japhet, celle de la grand- Bretagne jufques à Brutus, celle d'Ecoce à Fergus, & plufieurs autres de même. Chaque hiftorien entreprenoit une hiftoire generale depuis la création du monde jufques à fon temps, & y entaffoit fans choix tout ce qu'il trouvoit dans les livres qu'il avoit en main. Telst étoient encore Vincent de Beauvais & S. Antonin de Florence: dont les hiftoires font utiles pour leur temps, où elles font originales; quant aux temps précedents elles ne fervent guere qu'à nous apprendre les fables qu'on en racontoit ferieusement. Encore ces hiftoires univerfelles ne regardent guere que l'Europe; & on y perd de vûë l'Orient depuis le commencement du huitiéme fiécle où finit la chronique d'Anastase le bibliothecaire.

La geographie n'étoit pas mieux cultivée que l'hiftoire avec laquelle elle a tant de liaison. On ne l'étudioit que dans les livres des anciens, comme fi le monde n'eût point changé depuis le temps de Pline & de Prolomée; & on vouloit trouver en Palestine & dans tout l'Orient les lieux nommez dans les faintes écritures. On y cherchoit encore une Babylone ruïnée depuis tant de fiecles, & on donnoit ce nom tantôt à Bagdad, tantôt au grand Caire villes nouvelles l'une & l'autre. La feule convenance du fon faifoit dire fans raifon Aleph pour Alep, Caïphas pour Hiffa & Corofain pour la Corofane. On ne s'avifoit point de confulter les habitans du païs, pour fçavoir les vrais noms des lieux & leur véritable fituation; & cela dans des païs où l'on faifoit la guerre, pour laquelle on a befoin non-feulement de la geographie mais de la topographie la plus exacte. Auffi avez-vous vû combien de fois les armées des croifez périrent pour s'être engagées fur la foi de mauvais gui des dans des montagnes, des deferts, ou d'autres païs impraticables.

vil. Hiftoire.

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