Imágenes de páginas
PDF
EPUB

que nous avions amené de Kiovie n'étoit pas capable de les expliquer, & nous n'en trouvions point d'autre affez habile.

[ocr errors]

De-là on nous donna des chevaux & trois Tartares, pour nous conduire promptement à Batou-can, qui eft le plus puiffant entre-eux aprés l'empereur & campe fur le Volga. Nous nous mîmes en chemin le lundi d'aprés le premier dimanche de Carême, c'est à dire le vingt-fixiéme de Fevrier 1246. & quoique nous fiffions grande diligence, nous ne pûmes arriver que le mercredi de la femaine fainte, c'est-à-dire, le quatriéme d'Avril. Etant au quartier de Batou, nous fû- B. 6. 11. mes logez environ à une lieuë de lui; & quand on dut nous mener en fa presence, on nous dit qu'il falloit paffer entre deux feux. Nous ne le voulions point faire, mais ils nous dirent, que ce n'étoit qu'une précaution, afin que fi nous avions quelque mauvais deffein, ou fi nous portions quelque poison, le feu en empêchât l'effet.Nous répondîmes que nous le ferions pour purger ces fortes de soupçons. Nous eûmes audiance avec les mêmes ceremonies que chez Corenza: nous demandâmes des interpretes pour traduire les lettres du pape, & on nous en donna le vendredi faint. Nous les traduisîmes avec eux en Ruffien, en Arabe & en Tartare; & cette derniere traduction fut presentée à Batou, qui la lût attentivement.

Le famedi faint il nous fit dire, que nous irions trouver l'empereur Couïne autrement Caïouc; mais il retint quelques-uns des nôtres, fous prétexte de les renvoïer au pape; & nous leur donnâmes des lettres contenant la relation de tout ce que nous avions fait. Mais quand ils furent arrivez au Nieper, on les y

Ccc iij

C. 226

8.23.

e. 25.

B. c. 14.

LXIII. Caïouc Can

c. 30.

C. c. 15.
Sup. liv.

LXXIX. n. 2.

retint jufques à nôtre retour. Le jour de Pâques huitiéme d'Avril aprés l'office nous nous feparâmes de nos freres avec beaucoup de larmes, ne fachant fi nous allions à la vie, ou à la mort. Deux Tartares nous conduifoient, & nous étions fi foibles qu'à peine pouvions-nous aller à cheval, car pendant ce Carême nous n'avions eu autre nourriture que du millet avec de l'eau & du fel. Il en étoit de même les autres jours de jeûne, & nous ne buvions que de la neige fonduë. Nous ne laifsâmes pas de marcher en grande diligence, changeant de chevaux fouvent quatre ou cinq fois par jour, depuis l'octave de Pâques quinziéme d'Avril 1246. jufques au jour de la Magdelaine vingtdeuxième de Juillet. Pendant ce long voïage nous vîmes des campagnes femées de têtes & d'os d'hommes morts, & une infinité de villes & de châteaux ruïnées, tristes monumens du paffage des Tartares.

A la Magdelaine nous arrivâmes auprés de Coüides Tartares. ne, mais il ne nous donna pas alors audiance, parce qu'il n'étoit pas élû empereur, & ne se mêloit pas encore du gouvernement. Pour entendre cet endroit Aboulfar. p. de la relation il faut favoir qu'Octaï fils de GinguizBibl. Orient. can & fecond empereur des Mogols ou Tartares mouHaiton. c. 19. rut l'an 643. de l'Hegire 1245. de J. C. aprés avoir déAbslf.p. 821. figné pour fon fucceffeur Caïouc-can fon fils aîné,

320.

7.358.

qui eft ici nommé Couïne, & ailleurs Gino-can. Sa mere gouverna pendant l'interregne, c'est-à-dire jufques à l'affemblée generale de la nation nommée Couriltai, où Caïouc fut élû pour fon merite, en 1246. Il avoit deux principaux miniftres ou Atabecs, l'un nommé Cadac, l'autre Gincaï; Cadac étoit Chrétien & baptifé. Ginçaï fans l'être ne laiffoit pas

d'être favorable aux Chrétiens; & tous deux leur attirerent la bien veillance de Caiouc-can & de fa mere, en forte qu'ils traitoient bien les évêques & les moines, & eftimoient les peuples Chrétiens, comme les Francs, les Ruffes, les Syriens & les Armeniens. Mais p. 322. Caïouc-can ne regna gueres que deux ans & mourut en 647.1249. Reprenons la relation.

・c. 31.

B. c. 16, 1

Aprés que nous eûmes été cinq ou fix jours auprés vine. Berg, de Couïne, il nous envoïa à fa mere au lieu où se te- “.30. noit l'affemblée generale. Nous y fûmes environ quatre semaines: on y fit l'élection, & Couïne devoit être mis fur le trône le jour de l'Affomption de N. Dame, mais la grêle qui furvint obligea de differer. Nous demeurâmes là jufques au jour de S. Barthelemi vingtquatrième d'Août 1.46. auquel Couïne fut intronile; & tous, tant les grands, que le peuple vinrent flechir les genoux devant lui, excepté nous qui n'étions pas fes fujets. Il paroiffoit avoir quarante ou quarantecinq ans : il étoit de taille mediocre, prudent, rusé & fort ferieux. Les Chrétiens qui étoient de sa maifon nous affuroient qu'il devoit fe faire Chrétien. Ce v. c. 35. qui le faifoit croire, c'est qu'il tenoit auprés de lui des ecclefiaftiques qu'il entretenoit à ses dépens, & avoit une chapelle devant fa grande tente, où ils chantoient publiquement & donnoient le fignal pour les heures à la maniere des Grecs; les autres chefs des Tartares ne donnent point cette liberté aux Chrétiens. Toutefois pendant que nous étions là à cette même affemblée, il leva l'étendart contre l'église & l'empire Romain, & contre tous les roïaumes Chrétiens & les peuples d'Occident menaçant de leur faire la guerre, s'ils ne faifoient ce qu'il mandoit au pape

B. c. 19.

v.c.35.
B. c. 20.

w.c.37.

c.

& à tous les Chrétiens, favoir de fe foûmettre à lui; car il ne craint aucun païs dans le monde que la chrétienté. Or leur intention eft de fe foûmettre toute la terre, suivant l'ordre que Ginguiz-can leur en a donné.

Nous fûmes donc appellez devant lui au lieu même où il avoit été intronisé. Gingaï fon premier secretaire écrivit nos noms & de ceux qui nous avoient envoïez, & les recita à haute voix devant l'empereur. Nous fûmes du petit nombre de ceux qui furent adB.22. mis en fa presence. Il nous renvoïa prés de sa mere, pendant qu'il fit la ceremonie de lever l'étendart contre l'Occident, ne voulant pas que nous en euffions conoiffance, puis nous revînmes & fûmes bien un mois auprés de lui, fouffrant beaucoup de faim & de foif; car ce qu'on nous donnoit pour quatre jours fuffifoit à peine pour un. Ensuite l'empereur nous envoya querir, & nous fit dire par Gingaï fon fecretaire d'écrire nos propofitions & les lui prefenter. Puis on nous demanda s'il y avoit auprés du pape des gens qui feuffent lire le Ruffien, l'Arabe, ou le Tartare. Nous dîmes que nous n'avions point d'usage de ces écritures; mais que des Arabes pourroient écrire en Tartare ce qu'on leur diroit & nous l'expliquer, que nous l'écririons en nôtre langue, & porterions au pape l'original & la traduction. On nous appella le jour de S. Martin. Alors Cadac premier ministre, Gingaï, Bala & plufieurs écrivains vinrent à nous, nous expliquerent mot à mot la lettre de l'empereur que nous écrivîmes en Latin, & nous en donnerent la traduction en Arabe, pour nous fervir quand nous trouverions quelqu'un qui l'entendît.

L'empereur

AN.1247

c. 38. B. c. 23

L'empereur fe propofoit d'envoïer avec nous des gens de fa part & un des Tartares qui nous accompagnoient nous exhorta à le demander. Nous répondîmes, que fi l'empereur les envoïoit de lui-même nous les conduirions volontiers. Mais il ne nous paroiffoit pas expedient que ces envoïés vinffent pour plufieurs raifons. Nous craignions que voïant nos divifions & nos guerres ils ne fuffent plus encouragés à marcher contre nous; nous craignions que ces envoïés ne fuffent des efpions, qu'ils ne fuffent tués par nos gens, dont nous connoiffions l'infolence, qu'on ne nous les oftaft de force. Enfin nous ne voïions aucune utilité à leur voïage, puifqu'ils n'auroient autre charge que de porter les lettres de leur empereur au pape & aux princes, & nous avions ces lettres. Nous fûmes congediés le troifiéme jour aprés, favoir le jour de faint Brice treiziéme de Novembre; & pendant nôtre retour nous pafsâmes tout l'hiver dans des deferts, où fouvent nous étions réduits à coucher fur la neige. Nous marchâmes ainsi B.c. 243 jufques à l'Afcenfion, c'eft-à-dire au neuviéme de Mai 1247. Alors nous arrivâmes prés de Batou-can; & le famedi d'aprés la Pentecofte nous vînmes an quartier de Mofij, où on avoit arrefté nos compagnons & nos ferviteurs. Nous nous les filmes ramener; puis nous arrivâmes à Corenza, qui nous donna deux Comains pour nous conduire en Ruf fie.

Nous arrivâmes à Kiovie quinze jours avant la S. Jean; & les habitans vinrent au-devant de nous pleins de joie, nous felicitant comme fi nous étions reffufcités.: on nous en fit autant par toute la RufTome XVII. Ddd

« AnteriorContinuar »