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VIII.

Logique.

Euthyd. Protag.
Metalog. lib. 11.

On dira que les humanitez étoient négligées à caufe de la rareté des livres, & que les efprits étoient tournez aux fciences de pur raifonnement. Voyons donc comment on étudioit la philofophie & commençons par la logique. Ce n'étoit plus comme elle étoit dans son institution l'art de raifonner jufte & de chercher la verité par les voyes les plus fures: c'étoit un exercice de difputer & de fubtilifer à l'infini. Le but de ceux qui l'enfeignoient étoit moins d'inftruire leurs difciples que de fe faire admirer d'eux & d'embaraffer leurs adverfaires par des questions captieufes à peu prés comme ces anciens Sophiftes dont Platon se joue G agréablement. Jean de Salisbery qui vivoit au douziéme fiécle fe plaint que quelques-uns paffoient leur vie à étudier la logique ; & la C.16.1.III.c.1.2. faifoient entrer toute entiere dans le traité des univerfaux, qui n'en devoit être qu'un petit préliminaire: d'autres confondoient les categories, traitant dés l'entrée à l'occafion de la fubftance toutes les queftions qui regardent les neuf autres. Ils chicanoient fans fin fur les mots & fur la valeur des négations multipliées : ils ne parloient qu'en termes de l'art & ne croyoient pas avoir bien fait un argument s'ils ne l'avoient nommé argument. Ils vouloient traiter toutes les queftions imaginables & toûjours rencherir fur ceux qui les avoient précedez. Tel eft le témoignage de cet auteur.

c. 7.

L. V. c. 3.

II. c. 8, 18.

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Il eft appuyé par les exemples des anciens docteurs dont les écrits font dans toutes les bibliotheques, quoique peu de gens les lifent. Prenez le premier volume d'Albert le grand tout gros qu'il eft, vous verrez qu'il ne contient que la logique d'où fans examiner davantage vous pouvez conclure que l'auteur ya mêlé bien des matieres étrangeres, puis. qu'Ariftote qui a pouffé jusqu'aux dernieres précifions ce qui eft véritablement de cet art, n'en a fait qu'un petit volume. Je vais plus loin. Cette logique fi étendue prouve qu'Albert lui-même n'étoit pas bon logicien & qu'il ne raifonnoit pas jufte. Car il devoit confideret que la logique n'eft que l'introduction à la philofophie & l'inftrument des fciences; & que la vie de l'homme eft courte, principalement êtant réduite au temps utile pour étudier. Or étudier. Or que diriez-vous d'un curieux, qui ayant trois heures pour vifiter un magnifique palais, en pafferoit une dans le vestibule: ou d'un ouvrier qui ayant une feule journée pour travailler, en employeroit le tiers à préparer & orner fes inftrumens ?

Il me femble qu'Albert devoit encore fe dire à lui-même: Convientil à un religieux, à un prêtre, de palfer fa vie à étudier Ariftote & fes commentateurs Arabes Dequoi fert à un theologien cette étude fi érenduë de la phyfique generale & particuliere : du cours des aftres & de leurs influences, de la ftructure de l'univers, des meteores, des mineraux, des pierres & de leurs vertus ? N'est-ce pas autant de temps que je dérobe à l'étude de l'écriture fainte, de l'hiftoire de l'églife & des canons? & aprés tant d'occupations, combien me reftera-t-il de loifir pour la priere & pour la prédication, qui eft l'effentiel de mon inftitur ? Les fidéles qui me font fubfifter de leurs aumônes, ne fuppofent-ils que je fuis occupé à des études trés-utiles, qui ne me laiffent pas de temps pour travailler de mes mains. J'en dirois autant à Alexandre de

pas

Halés :

Halés à Scot & aux autres ; & il me femble que pour des gens qui faifoient profeffion de tendre à la perfection Chrétiene, c'étoit mal raifoner que de doner tant de temps à des études étrangeres à la religion, quand elles euffent été bones & folides en elles-mêmes.

Mais il s'en falloit beaucoup qu'elles le fuffent. La phyfique generale n'étoit prefque qu'un langage dont on étoit convenu, pour exprimer en termes fcientifiques, ce que tout le monde fait; & la phyfique particuliere rouloit pour la plupart fur des fables & de fauffes fuppofitions. Car on ne confultoit point l'experience ni la nature en elle même : on ne la cherchoit que dans les livres d'Ariftotè & des autres anciens. En quoi l'on voit encore le mauvais raifonement de ces docteurs: car pour étudier ainfi il falloit mettre pour principe qu'Ariftote étoit infaillible & qu'il n'y avoit rien que de vrai dans fes écrits ; & par où s'en étoientils affurés étoit-ce par l'évidence de la chofe, ou par un ferieux examen? C'étoit le défaut general de toutes leurs études, de se borner à un certain livre au delà duquel on ne cherchoit rien en chaque matiere. Toute la theologie devoit être dans le Maître des sentences, tout le droit canonique dans Gratien, toute l'intelligence de l'écriture dans la glose ordinaire: il n'étoit question que de bien favoir ces livres & en appliquer la doctrine aux fujets particuliers. On ne s'avifoit point de chercher où Gratien avoit pris toutes ces pieces qui compofent fon receüil & quelle autorité elles avoient par elles-mêmes. Ce que c'étoit que ces decretales des premiers papes, qu'il raporte fi frequemment : fi ce qu'il cite fous le nom de S. Jerôme ou de S. Auguftin, eft effectivement d'eux : ce qui précede & ce qui fuit ces paffages dans les ouvrages dont ils font tirés. Ces difcuffions paroiffoient inutiles ou impoffibles; & c'eft en quoi je dis que le raifonement de nos docteurs étoit court & leur logique défectueufe: car pour raifoner folidement il faut toûjours aprofondir fans fe rebuter,jufques à ce que l'on trouve un principe évident la lumiere naturelle ou fondé fur une autorité infaillible.

par

Ce feroit le moïen de faire des démonftrations & parvenir à la veritable fcience: mais c'eft ce qu'on n'entreprenoit guere felon le temoignage de Jean de Sarisberi. Il releve extrémement l'ufage des Topiques d'Ariftote & la science des verités probables: prétendant qu'il y en a peu de certaines & neceffaires qui nous foient conues. Auffi avoue t-il que la geometrie étoit peu étudiée en Europe. Voilà fi je ne me trompe d'où vient que dans nos anciens docteurs nous trouvons fi peu de démonf trations & tant d'opinions & de doutes. Le Maître des fentences tout le premier eft plein de ces expreffions: il femble: il eft vrai-femblable; on peut dire. Et toutefois il devoit être plus decifif qu'un autre, puisqu'il avoit entrepris de concilier les fentimens des peres opofés en aparence. Je conviens que l'on peut quelquefois propofer modeftement les verités les mieux établies, comme faifoit Socrate : cet adouciffement dans les paroles ne fait que fortifier la démonftration. Je conviens encore qu'il eft de la bone foi de ne pas affirmer ce qu'on ne fait point: mais je foûtiens qu'on n'inftruit pas des écoliers en leur propofant des doutes, & formant en eux des opinions qui ne les rendent point fa

B

Metal, 111. c. 64 c. 11. c. 13.

IV. c. 6.

IX.

Morale.

vants. Ne vaudroit-il pas mieux ne point traiter les questions qu'on ne peut refoudre ; & fi un écolier les propofe, lui aprendre à borner fa curiofité indifcrete, & à dire quand il le faut : Je n'en fai rien. On doit fe taire fur les matieres où l'on ne trouve point de principes pour raifoner. On ne doit point non plus propofer d'objections qui ne foient folides & ferieufes. On ne peut en faire de telles contre les principes, ou les verités demontrées : en propofer fur toutes les queftions, c'eft faire imaginer qu'elles font toutes problematiques. Pour bien faire il ne faudroit mettre en queftion que ce qui peut effectivement être revoqué en doute pour un homme de bon fens.

Car celui qui ne fait que douter ne fait rien, & n'eft rien moins qu'un philofophe. Les opinions font le partage des hommes vulgaires : & c'est ce qui les rend incertains & legers dans leur créance & dans leur conduite, fe laiffant ébloüir par la moindre lueur de verité : ou bien ils demeurent opiniâtres dans une erreur, faute de fentir la force des raifons contraires. La vraïe philofophie nous aprend à faire attention aux principes évidens, en tirer des confequences legitimes, & demeurer inébranlables dans ce que nous avons une fois reconu vrai. L'étude qui accoûtume à douter eft pire que la fimple ignorance: puis qu'elle fait croire ou que l'on fait quelque chofe quoi qu'on ne fache rien; ou que l'on ne peut rien favoir, qui eft le Pyrronisme, c'est-à-dire la pire difpofition de toutes, puifqu'elle éloigne même de chercher la verité. Le plus mauvais effet de la methode topique & du defespoir de trouver des verités certaines, eft d'avoir introduit & autorifé dans la morale les opinions probables. Auffi cette partie de la philofophie n'a t-elle pas été mieux traitée dans nos écoles que les autres. Nos docteurs accoutu més à tout contester & à relever toutes les vrai-femblances, n'ont pas manqué d'en trouver dans la matiere des mœurs ; & l'interêt de flater leurs paffions ou celles des autres les a fouvent écartés du droit chemin. C'est la fource du relâchement fi fenfible dans les cafuiftes plus nouveaux, mais dont je trouve le commencement dés le treiziéme fiècle. Ces docteurs fe contentoient d'un cerrain calcul de propofitions, dont le refultat ne s'accordoit pas toûjours avec le bon fens ou avec l'évangile: mais ils concilioient tout par la fubtilité de leurs diftinctions. Je trouve un grand raport entre ces chicanes & celles des Rabins du même temps. Les principes de morale ne font pas tous auffi évidens que ceux de géometrie, & le jugement y eft fouvent alteré par les paffions: au lieu que perfone ne s'intereffe à courber une ligne droite, ou à diminuer un angle obtus. Mais la morale ne laiffe pas d'avoir fes principes certains autant à proportion que la géometrie ; & ce feroit une erreur pernicieufe de la croire uniquement fondée fur des loix d'inftitution humaine & arbitraires. La raifon dit à tous les hommes qui • veulent l'écouter qu'ils ne fe font pas faits eux-mêmes ni ce monde qui les environe, & qu'il y a un être fouverain à qui ils doivent tout ce qu'ils font. Elle leur dit qu'étant tous égaux naturellement ils doivent s'aimer, fe defirer & fe procurer reciproquement tout le bien qu'ils peuvent : fe dire la verité, tenir leurs promeffes & obferver leurs con

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ventions. Ces grands principes ont été affermis par la revelation dans la loi & dans l'évangile ; & l'on en déduira en raisonant jufte tout le détail de la morale.

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Cette étude doit donc confifter à mettre en évidence ces principes. & en tirer les confequences utiles: non pas à examiner des questions préliminaires, fi la morale eft pratique ou fpeculative, ou à des difputes generales, fur la fin & les moïens, les actes & les habitudes, le libre & le volontaire. Il faut venir le plûtôt qu'il est possible au particulier & aux preceptes de pratique, fans s'arrêter trop aux divifions & aux définitions des vertus ou des vices, qui fervent plus à orner l'efprit & à remplir la memoire, qu'à toucher le cœur & changer la volonté : qui font paroître favant fans rendre meilleur. C'est toutefois l'unique but de la morale. Parlés bien ou mal, parlés ou ne parlés point, fi vous perfuadés à quelqu'un de bien vivre vous êtes un bon maître de morale: au contraire quand vous en parleriés comme un ange, fi vos difciples n'en font pas plus vertueux, vous n'êtes qu'un fophifte & un discoureur. Auffi ne vois-je point dans le treiziéme fiecle de plus excellens maîtres de morale que S. François, S. Dominique & leurs premiers difciples, comme le B. Jourdain & le B. Gilles d'Affife, dont les fentences valent bien les plus beaux apophtegmes des philofophes.

C'est que ces faints perfonages ne cherchoient point la morale dans Ariftote ni dans fes commentaires, mais immediatement dans l'évangile qu'ils méditoient fans ceffe pour le réduire en pratique ; & leur principale étude étoit l'oraison. Et en verité il eft étonant que des Chrétiens aïant entre les mains l'écriture fainte, aïent crû avoir besoin d'Ariftote pour apprendre la morale. Je conviens qu'il a bien conu les mœurs des hommes, qu'il en parle de bon fens & fait des reflexions judicieuses : mais la morale eft trop humaine, comme la qualifie 5. Gregoire de Gr. 33. p. 535.c Nazianze; il fe contente de raifoner fuivant les maximes ordinaires;

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& delà vient par exemple qu'il fait une vertu de l'Eutrapelie, que S. Paul compte entre les vices. Auffi les peres avoient meprifé ce philo- Eph. c. 4. fophe, quoi qu'ils l'entendiffent parfaitement, fur tout les Grecs, qui Euf. prapar. lib. 19: outre la langue qui leur étoit commune avoient encore la tradition de Hift.liv.x.n. fes écoles. Au contraire nos docteurs du douziéme & du treiziéme fiecle qui en faifoient leur oracle & le nommoient le philofophe par excellence, ne le lifoient qu'en latin & fouvent dans une verfion faite fur l'Arabe: ils ne conoiffoient ni les mœurs de l'anciene Grece, niles faits dont Ariftote parle quelquefois par occafion ; & delà vienent tant de bévües d'Albert le grand dans fes commentaires fur les livres de la Politique.

Si quelque philofophe meritoit l'attention des Chrétiens, c'étoit bien plûtôt Platon, dont la morale eft plus noble & plus pure: parce que fans s'arrêter aux prejugés vulgaires il remonte jufques aux premiers principes & cherche toûjours le plus parfait. Auffi aproche t-il plus V. Aug. vill. Ci qu'aucun autre des maximes de l'évangile ; & c'eft pourquoi les res des premiers fiecles en ont fait grand ufage, non pour y aprendre la morale, dont ils étoient mieux inftruits par la tradition de l'églife:

pe.

vit. c. 4 5. 7. 8. Hift. Liv. XXIII. n.9.

dians.

1.8.

X.

mais pour convertir les païens chés lefquels l'autorité de ce philofophe étoit d'un grand poids. Quant à nos vieux docteurs, comme ils ne citent aucun paffage de Platon ni aucun de fes ouvrages en particulier, je croi qu'ils ne le conoiffoient que par Ariftote & par les autres anciens qui en parlent.

Mœurs des étu- Jugeons maintenant de la morale de nos écoles par les effets,je veux dire par les mœurs des maîtres & des difciples. Je trouve dans les maîtres beaucoup de vanité, d'oftentation & d'attachement à leurs fentimens. Car de quelles fources pouvoient venir tant de queftions inutiles, de vaines fubtilités & de diftinctions frivoles ? S. Auguftin ne fouffroit pas 1. cont. Acad. 3. ces défauts même à ses écoliers. Dans un de fes premiers ouvrages raportant une difpute entre deux jeunes hommes qu'il inftruifoit Trigetius & Licentius, il fait ainfi parler le premier : Eft-il permis de revenir à ce que l'on a accordé legerement? S. Auguftin répond: Cela n'est pas permis entre ceux qui difputent, non pour trouver la verité mais pour montrer leur efprit par une oftentation puerile. Pour moi, non-feulement je le permets, mais je l'ordone. Et Licentius ajoûte: Je croi qu'on n'a pas fait peu de progrés dans la philofophie quand on prefere le plaifir de trouver la verité à celui de l'emporter dans la difpute: c'eft pourquoi je me foumets volontiers à cet ordre.

1. de Ord. c. 10. 8. 29.

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En une autre occafion Trigetius aïant avancé une propofition dont il avoit honte, ne vouloit pas qu'on l'écrivît. Car en ces favantes conversations S. Auguftin faifoit écrire tout ce qu'on difoit de part & d'autre. Licentius fe mit à rire de la confufion où il voïoit fon compagnon ; & S. Auguftin leur dit : Eft-ce donc ainfi qu'il faut faire ? ne fentés vous point le poids de nos pechés & les tenebres de nôtre ignorance : C'étoit dans l'intervalle de fa converfion & de fon baptême. Si vous voïés, du moins avec des yeux auffi foibles que les miens, combien ce ris eft infenfé, vous le changeriés bien-tôt en larmes. N'augmentés pas je vous prie ma mifere : j'ai bien affés de mes maux, dont je demande à Dieu la guerifon tous les jours, quoi que je voïe bien que je fuis indigne de l'obtenir fi-tôt. Si vous avés quelque amitié pour moi, fi vous comprenés combien je vous aime, & avec quelle, ardeur je vous defire le même bien qu'à moi-même : accordés moi cette grace. Si c'eft de bon cœur que vous me nommés vôtre maître, païez moi mon falaire, foïés vertueux. Ses larmes l'empêcherent d'en dire davantage. Ce n'étoit toutefois ni à des docteurs qu'il parloit ainfi ni à des clercs : c'étoit à Aug. ep. 118. al.56. de jeunes écoliers qui n'étoient pas même encore baptifés. Voïés fa lettre à Diofcore où il montre fi folidement combien un Chrétien doit peu fe mettre en peine d'être eftimé Lavant, ou de favoir en effet les opinions des anciens philofophes.

Orat. 27. init. 33. p. 530.

Hift. Liv. XV.

Voïés les difpofitions que demande S. Gregoire de Nazianze pour parler de theologie : je ne dis pas pour l'enseigner, ou pour l'étudier dans les formes, mais fimplement pour en parler. Vous pouvés voir la methode que fuivoit Origene pour amener à la religion Chrétiene les gens de lettres & les rendre capables de l'étudier folidement. Enfin le Hift. Liv. y.n.56. Pedagogue de S. Clement Alexandrin montre avec quel foin on difpo

22. 52.

Greg. Thaum, in
Orig. p. 62.

LY. C. 37.

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