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mère, mais ils rencontrèrent un pirate d'Ak ger qui les prit et les amena dans cette ville. Ils furent vendus, sa mère à un Maure, et lui à un Turc qui le maltraita si fort, qu'il embrassa le mahométisme pour finir son cruel esclavage, comme aussi pour procurer la liberté à sa mère, qu'il voyait traitée avec beaucoup de rigueur chez le Maure son patron. En effet, s'étant mis à la solde du bacha, il alla plusieurs fois en course et amassa quatre cents patagons: il en empleya une partie au rachat de sa mère, et, pour faire valoir le reste, il se mit en tête d'écumer la mer pour son compte. Il se fit capitaine, il acheta un petit vaisseau sans pont, et, avec quelques soldats turcs qui voulurent bien se joindre à lui, il alla croiser entre Alicante et Carthagène; il revint chargé de butin. Il retourna encore et ses courses lui réussirent si bien, qu'il se vit enfin en état d'armer un gros vaisseau, avec lequel il fit des prises considérables; mais il cessa d'être heureux. Un jour, il attaqua une frégate française, qui maltraita tellement son vaisseau, qu'il eut de la peine à regagner le port d'Alger. Comme on juge en ce pays-ci du mérite des pirates par le succès de leurs entreprises, le renégat tomba, par ses disgrâces, dans le mépris des Turcs. Il en eut du dépit et du chagrin : i vendit son vaisseau et se retira dans une maison hors de la ville, où, depuis ce temps-là, LE SAGE, II.

il vit du bien qui lui reste, avec sa mère et plusieurs esclaves qui les servent. Je le vais voir souvent nous avons demeuré ensemble chez le même patron, nous sommes fort amis, il me découvre ses plus secrètes pensées, et il n'y a pas trois jours qu'il me disait, les larmes aux yeux, qu'il ne pouvait être tranquille depuis qu'il avait eu le malheur de renier sa foi; que, pour apaiser les remords qui le déchiraient sans relâche, il était quelquefois tenté de fouler aux pieds le turban, et, au hasard d'être brûlé tout vif, de réparer, par un aveu public de son repentir, le scandale qu'il avait causé aux chrétiens... Tel est le renégat à qui je veux m'adresser, continua Francisque; un homme de cette sorte ne vous doit pas être suspect. Je vais sortir, sous prétexte d'aller au bagne je me rendrai chez lui; je lui représenterai qu'au lieu de se laisser consumer de regret de s'être éloigné du sein de l'Église, il doit songer au moyen d'y rentrer; qu'il n'a, pour cet effet, qu'à équiper un vaisseau, comme si, ennuyé de sa vie oisive, il voulait retourner en course, et qu'avec ce bâtiment nous gagnerons la côte de Valence, où doña Theodora lui donnera de quoi passer agréablement le reste de ses jours à Barcelone.

-

Oui, mon cher Francisque, s'écria don Juan transporté de l'espérance que l'esclave navarrais lui donnait, vous pouvez tout promettre à ce renégat; vous et lui soyez sûr

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d'être bien récompensés. Mais croyez-vous que ce projet s'exécute de la manière que vous le concevez?

- Il peut y avoir des difficultés qui ne s'offrent point à mon esprit, repartit Francisque; mais nous les lèverons, le renégat et moi. Alvaro, ajouta-t-il en le quittant, j'augure bien de notre entreprise, et j'espère qu'à mon retour j'aurai de bonnes nouvelles à vous annon

cer.

Ce ne fut pas sans inquiétude que le Tolédan attendit Francisque, qui revint trois ou quatre heures après, et qui lui dit :

J'ai parlé au renégat, je lui ai proposé notre dessein; et, après une longue délibération, nous sommes convenus qu'il achètera un petit vaisseau tout équipé; que, comme il est permis de prendre pour matelots des esclaves, il se servira de tous les siens; que, de peur de se rendre suspect, il engagera douze soldats turcs, de même que s'il avait effectivement envie d'aller en course; mais que, deux jours avant celui qu'il leur assignera pour le départ, il s'embarquera la nuit avec ses esclaves, lèvera l'ancre sans bruit, et viendra nous prendre avec son esquif à une petite porte de ce jardin, qui n'est pas éloignée de la mer. Voilà le plan de notre entreprise: vous pouvez en instruire la dame esclave, et l'assurer que dans quinze jours, au plus tard, elle sera hors de sa captivité.

Quelle Joie, pour Zarate d'avoir une si agreable assurance à donner à doña Theodora ! Pour obtenir la permission de la voir, il chercha le jour suivant Mezzomorto, et l'ayant rencontré :

si

- Pardonnez-moi, seigneur, lui dit-il, j'ose vous demander comment vous avez trouvé la belle esclave: êtes-vous plus satisfait?... - J'en suis charmé, interrompit le dey: ses yeux n'ont point évité hier mes plus tendres regards; ses discours, qui n'étaient auparavant que des réflexions éternelles sur son état, n'ont été mêlés d'aucune plainte, et même elle a paru prêter aux miens une attention obligeante. C'est à tes soins, Alvaro, que je dois ce changement, je vois que tu connais bien les femmes de ton pays. Je veux que tu l'entretiennes encore, pour achever ce que tu as si heureusement commencé. Epuise ton esprit et ton adresse pour hâter mon bonneur, je romprai aussitôt tes chaînes, et je jure, par l'âme de notre grand prophète, que je te renverrai dans ta patrie, chargé de tant de bienfaits, que les chrétiens, en te revoyant, ne pourront croire que tu reviennes de l'esclavage.

Le Tolédan ne manqua pas de flatter l'erreur de Mezzomorto; il feignit d'être sensible à ses promesses; et, sous prétexte d'en vouloir avancer l'accomplissement, il s'empressa d'aller voir la belle esclave. Il la trouva seule

dans son appartement; les vieilles qui la servaient étaient occupées ailleurs. Il lui apprit ce que le Navarrais et le renégat avaient comploté ensemble, sur la foi des promesses qui leur avaient été faites. Ce fut une grande consolation pour la dame d'entendre qu'on avait pris de si bonnes mesures pour sa déli

vrance.

Est-il possible, s'écria-t-elle dans l'excès de sa joie, qu'il me soit permis d'espérer de revoir encore Valence, ma chère patrie! Quel bonheur, après tant de périls et d'alarmes, d'y vivre en repos avec vous! Ah! don Juan, que cette pensée m'est agréable! En partagez-vous le plaisir avec moi? songez-vous qu'en m'arrachant au dey, c'est votre femme que vous lui enlevez?

Hélas! répondit Zarate en poussant un profond soupir, que ces paroles flatteuses auraient de charmes pour moi si le souvenir d'un amant malheureux n'y venait point mêler une amertume qui en corrompt toute la douceur ! Pardonnez-moi, madame, cette délicatesse; avouez même que Mendoce est digne de votre pitié. C'est pour vous qu'il est sorti de Valence, qu'il a perdu la liberté; et je ne doute pas qu'à Tunis il ne soit moins accablé du poids de ses chaînes que du désespoir de ne vous avoir pas vengée.

Il méritait sans doute un meilleur sort, dit doña Theodora : je prends le ciel à témoin

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