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toutes les divinités de l'Olympe assemblées pour décider de ce qu'elles doivent faire d'un nortel de son importance. Il entend Mercure qui expose au conseil des dieux que ce fameux comédien, après avoir eu l'honneur de représenter si souvent sur la scène Jupiter et les autres principaux immortels, ne doit pas être assujetti au sort commun à tous les humains, et qu'il mérite d'être reçu dans la troupe céleste. Momus applaudit au sentiment de Mercure; mais quelques autres dieux et quelques déesses se révoltent contre la proposition d'une apothéose si nouvelle; et Jupiter, pour les mettre tous d'accord, change le vieux comédien en une figure de décoration. Le Diable allait continuer, mais Zambu.lo l'interrompit en lui disant :

Halte là, seigneur Asmodée, vous ne prenez pas garde qu'il est jour; j'ai peur qu'on ne nous aperçoive sur le haut de cette maison. Si la populace vient une fois à remarquer votre seigneurie, nous entendrons des huées qui ne finiront pas si tôt.

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On ne nous verra point, lui répondit le démon; j'ai le même pouvoir que ces divinités fabuleuses dont je viens de parler; et, out ainsi que sur le mont Ida l'amoureux fils de Saturne se couvrit d'un nuage pour cacher à l'univers les caresses qu'il voulait faire à Junon, je vais former autour de nous une épaisse vapeur que la vue des hommes ne

pourra percer, et qui ne vous empêchera pas de voir les choses que je voudrai vous faire observer.

En effet, ils furent tout à coup environnés d'une fumée, qui, bien que des plus opaques, ne dérobait rien aux yeux de l'écolier.

Retournons aux songes, poursuivit le boiteux. Mais je ne fais pas réflexion, ajoutat-il, que la manière dont je vous ai fait passer la nuit doit vous avoir fatigué. Je suis d'avis de vous transporter chez vous, et de vous y laisser reposer quelques heures ; pendant ce temps-là je vais parcourir les quatre parties du monde, et faire quelque tour de mon métier; après cela je vous rejoindrai pour m'égayer avec vous sur de nouveaux frais.

- Je n'ai nulle envie de dormir, et je ne suis point las, répondit don Cléophas; au lieu de me quitter, faites-moi le plaisir de m'apprendre les divers desseins qu'ont ces personnes que je vois déjà levées, et qui se disposent, ce me semble, à sortir. Que vontelles faire de si grand matin?

Ce que vous souhaitez de savoir, reprit le démon, est une chose digne d'être obvervée. Vous allez voir un tableau des soins, des mouvements, des peines que les pauvres mortels se donnent pendant cette vie pour remplir le plus agréablement qu'il leur est possible ce petit espace qui est entre leur naissance et leur mort.

XVII.

Où l'on verra plusieurs originaux qui ne
sont pas sans copie.

Observons d'abord cette troupe de gueux que vous voyez déjà dans la rue. Ce sont des libertins, la plupart de bonne famille, qui vivent en communauté comme des moines, et passent presque toutes les nuits à faire la débauche dans leur maison, où il y a toujours une ample provision de pain, de viande et de vin. Les voilà qui vont se séparer pour aller jouer leurs rôles dans les églises; et ce soir ils se rassembleront pour boire à la santé des personnes charitables qui contribuent pieusement à leur dépense. Admirez, je vous prie, comme ces fripons savent se mettre et se travestir pour inspirer de la pitié : les coquettes ne savent pas mieux s'ajuster pour donner de l'amour... Regardez attentivement les trois qui vont ensemble du même côté. Celui qui s'appuie sur ses béquilles, qui fait trembler tout son corps, et semble marcher avec tant de peine qu'à chaque pas vous diriez qu'il va tomber sur le nez, quoiqu'il ait une longue barbe blanche et un air décrépit, est un jeune homme si alerte et si léger, qu'il passerait un daim à la course. L'autre, qui fait le teigneux, est un bel adolescent dont la tête est couverte d'une peau qui cache une chevelure de page de cour. Et l'autre, qui paraît un cul-de-jatte, est un drôle qui a l'art

de tirer de sa poitrine des sons si lamentables, qu'à ses tristes accents il n'y a point de vieille qui ne descende d'un quatrième étage pour lui apporter un maravédis. Tandis que çes fainéants vont, souș le masque de la pauvreté, attraper l'argent du public, je remarque bien des artisans laborienx, quoique Espagnols, qui s'apprêtent à gagner leur vie à la sueur de leur corps. J'aperçois de toutes parts des hommes qui se lèvent et s'habillent pour aller remplir leurs différents emplois. Combien de projets formés cette nuit vont s'exécuter ou s'évanouir en ce jour! Que de démarches l'intérêt, l'amour et l'ambition vont faire faire!

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Que vois-je dans la rue? interrompit don Cléophas. Qui est cette femme chargée de médailles, qui conduit un laquais, et qui marche avec précipitation? elle a sans doute quelque affaire fort pressante.

Oui certainement, répondit le Diable: c'est une vénérable matrone qui court à une maison où l'on a besoin de son ministère. Elle y va trouver une comédienne qui pousse des cris et auprès d'elle il y a deux cavaliers bien embarrassés. L'un est le mari, et l'autre un homme de condition qui s'intéresse à ce qui va se passer; car les couches des femmes de théâtre ressemblent à celles d'Alcmène : il y a toujours un Jupiter et un Amphitryon qui sont auteurs du parti... Ne dirait-on pas, à

voir ce cavalier à cheval avec sa carabine, que c'est un chasseur qui va faire la guerre aux lièvres et aux perdreaux des environs de Madrid? Cependant il n'a aucune envie de prendre le divertissement de la chasse : il est occupé d'un autre dessein; il va gagner un village où il se déguisera en paysan pour s'introduire, sous cet habit, dans une ferme où est sa maîtresse sous la conduite d'une mère sévère et vigilante... Ce jeune bachelier, qui passe et marche à pas précipités, a coutume d'aller tous les matins faire sa cour à un vieux chanoine qui est son oncle, et dont il couche en joue la prébende. Regardez, dans cette maison vis-à-vis de nous, un homme qui prend son manteau et se dispose à sortir; c'est un honnête et riche bourgeois qu'une affaire assez sérieuse inquiète. Il a une fille unique à marier; il ne sait s'il doit la donner à un jeune procureur qui la recherche, ou bien à un fier hidalgo qui la demande. Il va consulter ses amis là-dessus; et, dans le fond, rien n'est plus embarrassant. Il craint, en choisissant le gentilhomme, d'avoir un gendre qui le méprise; et il a peur, s'il s'en tient au procureur, de mettre dans sa maison un ver qui en ronge tous les meubles... Considérez un voisin de ce père embarrassé, et démêlez dans ce corps de logis, où il y a de superbes ameublements, un homme en robe de chambre de brocard rou

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