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reté que lui, defcendoient dans le foffé pour chercher un chemin commode pour le monter.

Tandis qu'ils étoient occupez à le trouver, le liévre les regardoit toûjours en fe repofant fans branler de fa place; & lorfqu'ils étoient montez & qu'ils couroient à lui, il reffautoit de l'autre côté du foffé. Après avoir fait quatre ou cinq fois ce manege, voyant que les chiens ne fe re

butoient pas, il les laiffoit un pen approcher de lui, & enfuite il reprenoit fa courfe, en les menant par les endroits les plus fâcheux, & en leur jettant des foirades & des crottes au nez, il faifoit des bonds furprenans.

Cette chaffe dura plus de deux heures;en forte que les piqueurs, les chevaux & les chiens n'en pouvoient plus, lorfque le liévre ayant gagné un petit tertre se.

mit fur le cul. Dans ce teins on entendit une voix qui dit d'un ton fort haut & très-diftinctement, ne voilà-t-il pas bien courir pour un petit bon homme? Les Chaffeurs ne fçachant d'où venoit cette voix, crurent que c'étoit quelque efprit aërien ou quelque forcier qui avoit pris la figure d'un liévre pour se mocquer d'eux; ils ne jugerent pas à propos de continuer leur chaffe, & s'en allerent chez eux très-mortifiez d'avoir pris tant de peine inutilement. Voilà de quelle maniere on prétend que cette chaffe fe paffa: fi elle est veritable, elle est bien finguliere, & je ne doute pas que bien des gens ne la traitent de fiction; mais qu'ils la croyent, ou qu'ils ne la croyent pas, cela m'eft indifferent. Pourvû qu'elle divertiffe Votre Majefté,c'est

des

tout ce que je fouhaite; cependant, SIRE, je puis Vous affurer que je l'ai apprise par perfonnes de probité & dignes de foi. Vous en croirez ce qu'il vous plaira.

Comme nous venons de par ler de la chaffe d'un liévre & de fes rufes, je croi qu'il ne fera pas hors de propos de rapporter ici ce qui s'eft paffé depuis quelque, tems en une chaffe celebre dont l'évenement a été très-extraordi naire.

Un Seigneur de confideration qui avoit un grand équipage de chaffe à laquelle il étoit fort adonné, avoit affemblé plufieurs Gentilshommes de fon voisinage pour courir un liévre qui s'étoit rendu fameux par fon agilité furprenante, & qui par fes rufes avoit depuis long-tems donné le change aux plus habiles & aux

plus infatigables chaffeurs. Ce Seigneur avoit dans fa meute fix levriers des plus alertes & des mieux dreffez, conduits par un vieux routier qu'on fuivoit avec une entiere confiance, parce qu'il étoit connu pour un homme für de fon fait, & qui n'avoit jamais manqué fa proye.

Ce Seigneur étant donc à la chaffe avec les Gentilshommes qu'il avoit conviez, trouva le liévre dont eft queftion, qui se fit relancer deux ou trois fois par les lévriers, puis fe voyant trop preffé, il quitta fa taniere, & du premier faut qu'il fit, s'éloigna des chiens plus de trente pas. Il ne faut pas demander fi les lévriers firent d'abord leur devoir & fi leurs jambes les fervirent à propos; le liévre ayant gagné le devant, foutint fon avantage; & comme naturellement il porte

rout fon courage non au cœur, mais aux pieds, on diroit que la peur lui a donné à chaque talon des aîles; il ne touche prefque pas la terre; il vole, il fe dérobe aux chiens, il les laiffe toûjours derriere lui; & levant les oreilles comme des voiles, la queue pour s'en fervir de timon, battant des pieds comme fi c'étoit des avirons ayant la crainte pour fon pilote, devient comme un navire d'air précipité par le vent, paffe le vent, & arrive d'un bout à l'autre fans quafi toucher le milieu.

Les pauvres chiens se tuent en courant; cent fois ils le tiennent, ils le bourent; cent fois il échape, ils enragent, ils redoublent leurs efforts. La foudre ne va pas plus vîte; ils ont le nez à la queue, les dents-enfoncées dans la peau; le liévre qui ne fçait pas

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