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elle lui répondit favorablement. Quand l'Opera fut fini, Morton la conduifit chez elle; comme il étoit tard, elle le retint à fouper, & lui fit affez bonne chere. Le lendemain il l'alla voir dans le deffein de la régaler à fon tour, mais elle ne le voulut pas, & le traita encore mieux que le jour précedent. Le cœur de Morton qui étoit plein d'amour & de reconnoiffance, cherchoit à tous momens les occafions de lui en donner des marques. Leonice qui avoit fon deffein, les éludoit adroitement, & ne lui accordoit que ce que l'honnê teté pouvoit permettre : cette conduite ne fervoit qu'à redou bler la paffion de Morton. Il é toit dans une langueur extrême, & auroit donné toute chofe au

monde pour poffeder cette bel le. Tandis qu'il étoit ainsi pene

tré, ou pour mieux dire accablé de fa paffion, Leonice fe fit ar. rêter prifonniere par un Huiffier de fes amis, pour deux cens piftoles qu'elle feignit devoir à un Marchand de la rue S. Honoré. Elle le fit auffi-tôt fçavoir à Morton, qui vint à l'heure même & lui donna les deux cens pistolės: elle voulut lui en faire fon billet, mais il le refusa, & lui dit qu'il voudroit en avoir fait davantage. pour fon fervice. Leonide charmée de cette generofité, eut foin de ne la pas négliger; elle lui accorda quelques faveurs pour augmenter fes liberalités: & enfin elle a fi bien fait, qu'il lui envoya ces jours paffez un fort beau lit de damas de Gefnes, a vec une belle tapifferie de hauteliffe qu'il avoit eu de la fucceffion de fon pere. On dit même qu'il lui a donné un contrat de

cinq cens livres de rente. S'il continue de la forte, je crois qu'il n'ira pas loin, & que nous. le verrons bien-tôt au bout de fes finances. Je fouhaite pour. tant que cela n'arrive pas, & qu'il reconnoiffe bientôt fon aveuglement.

J'en doute, interrompit un des Chaffeurs; quand l'amour s'eft. emparé d'un cœur, ce cœur n'a pas de plus grand plaifir que fon. amour. Cette paffion eft la Reine. de toutes les autres: pour elle. le premier des Philofophes donna de l'encens à la beauté qui l'avoit charmé, & en fit fa divinité pour elle Hercule changea fa maffue en quenouille: Achille fervit à genoux Polixene, adoration qui lui couta la vie ; & je. ne fçai par quel destin fatal à la gloire des Conquerans Maffinif fe & Antoine ne furent haïs de.

leurs foldats, que lorfqu'ils turent amoureux, l'un de Sophronifbe, & l'autre de Cleopatre, Je ne finirois de long-temps, fi je voulois vous faire voir la puiffance de cette paffion, & les malheurs qu'elle a produits. Mais c'en eft affez pour vous montrer que le pauvre Morton ne guérira jamais de la fienne, & qu'il confommera tout fon bien auprès de fa belle.

J'en fuis très-perfuadé, dit un de la compagnie, il vaudroit mieux qu'il l'employât à jouer. On ne perd pas toujours ; & lors qu'on eft prudent, l'on gagne quelquefois des fommes confi. derables: mais de dépenfer fon bien auprès d'une maîtreffe, l'on perd continuellement ; & fi l'on y gagne quelques douceurs, elles font fi accompagnées d'amertumes, qu'elles en font perdre le

plaifir. J'en fçai quelques-uns qui ont fait fortune au jeu, & quantité d'autres qui ont été rui-: nez par les femmes.

Si Meronte n'avoit jamais eu d'amour dereglé pour les femmes, il auroit plus de vingt mille livres de rente, & ne feroit pas à la charge de fes parens & de fes amis.

Si Forceville avoit eu autant de jugement qu'il avoit d'efprit, il n'auroit pas mangé le fond de quatre-vingt mille livres de rente avec des femmes de débauches, & ne feroit pas mort comme un miserable dans un gre

nier.

Termofile étoit de grande maifon; il avoit eu une des plus belles charges de l'armée, & auroit fait fortune, fi fa conduite eût répondu à fon bonheur : mais le défordre de fes paffions

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