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de dix-huit ans : elle avoit les cheveux noirs comme geay, & un teint de lys & de rofe. Le Chevalier étoit âgé de vingt-cinq ans, fait au tour: fes cheveux étoient d'un blond cendré, bouclé naturellement, qui defcendoit jufqu'à fa ceinture. Enfin on peut dire que jamais couple d'Amans ne fut mieux afforti que celuy-cy.

Avec tout ces avantages de part & d'autre, on peut croire que l'amour ne demeura pas en chemin, & qu'il fit de grands progrès dans leurs cœurs. Ils étoient fi épris l'un de l'autre, qu'ils ne pouvoient ceffer de fe voir ni de s'aimer. Quand ils étoient ensemble les jours ne leur fembloient que des momens; & lorsqu'ils étoient un moment fans fe voir, c'étoient pour eux des fiecles pleins d'ennuis & de tourmens.

Voilà l'état où ils étoient, lors qu'un jour Mademoiselle de Silvacane étant affife avec une de. fes parentes fur un banc aux Tuilleries, un Prince s'y vint mettre auffi. Il n'eut pas plûtôt envifagé cette aimable personne que la trouvant fort à fon gré, il voulut luy faire connoître par fes regards & par fes foupirs qu'elle avoit fait la conquête de fon cœur. Ce Prince voyant le peu d'effet que ce langage faifoit auprès d'elle, employa les paroles, & luy dit les chofes du monde les plus tendres & les plus flateufes. La Demoiselle n'étant pas d'humeur à les écouter, ni même à lier aucune converfation avec luy, étoit fur le point de fe lever & de s'en aller; mais jugeant qu'il n'auroit pas été de la bienséance d'en ufer ainfi avec un fi grand Seigneur, elle répondit

d'une maniere fi honnête & fi fpirituelle à tout ce qu'il luy dit, que ce Prince en devint encore plus amoureux.

Dans ce moment un Prince du fang entra dans l'allée, & voyant le Prince dont nous parlons, l'aborda en le traitant de coufin; ce qui fit connoître à la Demoifelle qu'elle ne s'étoit pas trompée fur l'opinion qu'elle avoit eue de la grande qualité de cet illuftre Amant. Comme elle le vit en compagnie, & qu'elle crut que l'honnêteté n'éxigeoit pas de fa complaifance qu'elle reftât plus long-tems dans cet endroit, elle prit congé de la compagnie en luy faifant une profonde reverence, & fortit du jardin avec fa parente. Le Prince qui vouloit cultiver une fi belle connoiffance la fit fuivre pour fçavoir fa demeure & fon nom. Ayant appris

fun & l'autre, & même qu'elle alloit tous les jours à la Meffe à faint Roch fur les onze heures, il l'y alla attendre. Il fe posta près du benitier, jugeant bien qu'en entrant dans l'Eglife, elle ne manqueroit pas de venir prendre de l'eau benite. Il ne fe trompa point dans fa conjecture, car un moment après elle arriva avec un air modefte, ayant fes çoeffes abaiffées, fuivie d'un Laquais, & accompagnée de la même perfonne qui étoit avec elle lorfque ce Prince la vit aux Tuilleries; ce qui la fit reconnoitre. Il luy presenta de l'eau benite, elle l'accepta. Il voulut luy donner la main, mais elle le refufa, en le priant de la difpenfer de cet honneur, parce qu'étant connue dans la Paroiffe, cela pourroit faire parler les gens. Cette excuse ne déplut pas à

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ce Prince, & ne fervit qu'à redoubler l'estime qu'il avoit pour elle. Il entendit la même Meffe qu'elle entendoit, fans vouloir se mettre auprès d'elle ni luy parler. Quand la Meffe fut achevée, la Demoiselle fortit, & ce Prince la falua d'un air tendre & refpectueux fans luy rien dire. Il fe contenta feulement de la fuivre des yeux des manieres

nobles & fi bien menagées devoient faire de fortes impreffions dans le cœur de la Belle; mais elle étoit trop prevenue en faveur du Chevalier de Bachimont pour y donner entrée à tout autre qu'à luy. Elle ne voulut pas d'abord luy parler de l'amour de cet illuftre Rival, de crainte de luy donner quelque inquiétude, qu'il n'auroit pas manqué d'avoir, parce qu'il étoit trop amoureux d'elle. L'après-dînée elle alla avec fa

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