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PORTRAIT

DE M. DE LA MOTTE,

Par feue Madame la Marquife

M

DE LAMBERT.

ONSIEUR de la Motte me demande fon Portrait; il me paroît trèsdifficile à faire; ce n'eft pas par la ftérilité de la matiere, c'eft par fon abondance. Je ne fais par où commencer, ni fur quel talent m'arrêter davantage. M. de la Motte eft Poëte, Philofophe, Orateur. Dans fa Poëfie il y a du génie, de l'invention, de l'ordre, de la netteté, de l'unité, de la force, & quoiqu'en ayent dit quelques Critiques, de l'harmonie & des images : toutes les qualités néceffaires y entrent ; mais, fon imagination eft réglée; fi elle pare tout ce qu'il fait, c'eft avec fageffe; fi elle répand des fleurs, c'eft avec une main ménagere, quoiqu'elle en pût être auffi prodigue que toute autre : tout ce qu'elle produit, paffe par l'examen de la raifon.

M. de la Motte elt Philofophe profond, Philofopher, c'eft rendre à la raifon toute fa dignité, & la faire rentrer dans fes droits; Tome I.

c'est rapporter chaque chofe à fes principes propres, & fecouer le joug de l'opinion & de l'autorité. Enfin, la droite raison bien confultée, & la nature bien vûe, bien entendue, font les maîtres de M. de la Motte. Quelle mesure d'efprit ne met-il pas dans tout ce qu'il fait ? Avec quelles graces ne nous préfente-t'il pas le vrai & le nouveau? N'augmente-t'il pas le droit qu'ils ont de nous plaire? Jamais les termes n'ont dégradé fes idées ; les termes propres font toujours prêts & à fes ordres.

Son éloquence eft douce, pleine & toute de chofes. Il régne dans tout ce qu'il écrit, une bienféance, un accord, une harmonie admirables. Je ne lis jamais fes Ouvrages, que je ne penfe qu'Apollon & Minerve les ont dictés de concert. Un Philofophe a dit que quand Dieu forma les ames, il jetta de l'or dans la fonte des unes, & du fer dans celle des autres. Dans la formation de certaines ames privilégiées, telles que celle de M. de la Motte, il a fait entrer les métaux les plus précieux : il y a renfermé toute la magnificence de la nature. Ces ames à Génie, fi l'on peut parler ainsi, n'ont befoin d'aucun fecours étranger; elles tirent tout d'elles-mêmes. Le Génie eft une lumiere & un feu de l'Efprit, qui conduit à la perfection par des moyens faciles,

L'ame de M. de la Motte eft née toute inftruite, toute favante; ce n'est pas un favoir acquis, c'eft un favoir infpiré. On fent dans tous fes Ouvrages cette heureufe facilité qui vient de fon abondance; il commande à toutes les facultés de fon ame, il en est toujours le maître, auffi bien que de fon fujet. Nous n'avons pas vû en lui de commencement; fon Efprit n'a point éu d'enfance; il s'eft montré à nous tout fait & tout formé.

Ses malheurs lui ont tourné à profit. Quand ce monde matériel a difparu à fes yeux par la perte de la vûe, un monde intellectuel s'eft offert à fon ame; fon intelligence lui a tracé une route de lumiere toute nouvelle dans le chemin de l'Efprit. La vûe, plus que tous les autres fens, unit l'ame avec les objets fenfibles. Quand tout commerce a été interrompu avec eux, l'ame de M. de la Motte deftituée de ces appuis extérieurs, s'eft recueillie & repliée fur elle-même ; alors elle a acquis une nouvelle force, & eft entrée en jouiffance de fes propres biens.

Laiffons l'homme à talens & envisageons le grand homme. Souvent les talens fupérieurs fe tournent en malheur & en petiteffe; ils nous exposent à la vanité, qui est l'ennemie du vrai bonheur & de la vraie

grandeur. Ce font les grands fentimens qui font les grands hommes. Nulle élévation fans grandeur d'ame & fans probité. M. de la Motte nous a fait fentir des mœurs & toutes les vertus du cœur dans ce qu'il a écrit; fes qualités les plus eftimables n'ont rien pris fur fa modeftie; cet orgueil lyri que qu'on lui a reproché, n'eft que l'effet de fa fimplicité, un pur langage imité des Poëtes fes prédéceffeurs, & non un fentiment. M. de Fenelon, cet homme fi refpectable, dit de Monfieur de la Motte que. fon rang eft réglé parmi les premiers des modernes ; qu'il faut pourtant l'inftruire de fa fupériorité & de fa propre excellence. C'eft un fpectacle bien digne d'attention, difoient les Stoïciens, qu'un homme feul aux mains avec les privations & la douleur. Quelle privation que la perte de la vûe, pour un homme de Lettres! Ce font les yeux qui font les organes de fa jouiffance; c'eft par les yeux qu'il eft en fociété avec les Muses; elles uniffent deux plaifirs qui ne fe trouvent que chez elles, le defir & la jouiffance. Vous n'effuyez avec elles ni chagrin, ni infidélité; elles font toujours prêtes à fervir tous vos goûts, & nous of frent toujours des graces nouvelles ; mais nous ne jouiffons de la douceur de leur commerce, que quand l'efprit eft tranquille,

&

que le cœur & les moeurs font purs. Non-feulement M. de la Motte foutient de fi grandes privations, mais s'il eft livré à la plus vive douleur, il la fouffre avec patience; il eft doux avec elle, il fait fentir qu'i qu'il n'a point ufé dans les plaifirs, ce fond de gayeté que la nature lui a donné, puis qu'il fait la retrouver dans fes peines. Danз la douleur, il faut que l'ame foit toujours fous les armes, qu'à tout moment elle rappelle fon courage, & qu'elle foit ferme contre elle-même.

Il a paffé par l'épreuve de l'envie. Quand l'ame ne fait pas s'élever par une noble émulation, elle tombe aifément dans la baffeffe de l'envie. Quelle injuftice n'a-t'il pas fouffert quand fes Fables parurent? Je crois que ceux qui les ont improuvées n'avoient pas en eux de quoi en connoître toutes les beautés ; ils ont crû qu'il n'y avoit pour la Fable que le fimple & le naïf de M. de la Fontaine ; le fin, le délicat, 1: penfé de M. de la Motte leur ont échappé, ou ils n'ont pas fu le goûter. A fes Tragédies, on a vû les mêmes perfonnes pleurer & critiquer; leur fentiment, plus fincere, dépofoit contre leur injuftice; ils fe refufoient à fes douces émotions, & mettoient l'improbation à la place du plaifir. Avec quelle dignité & quelle bienféance

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