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On conçoit fans peine que dans le cours de tant de fiécles cette jonction, par laquelle le lac Sirbon communiquoit avec la mer, a pû être comblée par les fables. Cette fuppofition n'est pas fans fondement, & expliqueroit fort naturellement la caufe du déperiffement de ce lac.

A l'égard de cet autre petit lac qu'on rencontre dans le voifinage de celui-ci, quoiqu'il fe décharge dans la mer, il n'a point felon moi les mêmes caractéres de reffemblance avec le lac Sirbon. En effet je ne fcache point que ce marais porte ni bitume, ni aucune autre matiére semblable. D'ailleurs il reçoit les eaux du Nil, & elles y font conduites par un canal qui de nos jours porte encore le nom de Tanis ; ce qui prouve que ce marais n'eft autre chofe que l'ancienne bouche du Nil appellée Tanitique de la ville de Tanis bâtie sur ses bords. Enfin on pêche dans ce lac une fi prodigieufe quantité de poiffon, que toute la baffe Egypte en fubfifte pendant les grandes chaleurs. On y trouve jufqu'à du harang fort gros & très bon, qui commence à paroître en Janvier, & dure tout le mois de Février fuivant, quoi qu'on n'en rencontre en nul autre endroit de la Méditerranée. Ce font là felon moi des particularités, que les anciens n'auroient eu garde de paffer sous filence, en parlant du lac Sirbon, dont ils ont tant vanté l'utilité & les avantages. Ainfi puifqu'ils n'en difent mot, je crois être en droit de conclure, ou que ce lac ne subsiste plus de nos jours, ou qu'on ne doit point le chercher ailleurs que dans ce premier marais voisin de Damiette, qui a avec lui tant de reffemblance.

En s'éloignant de la côte, & remontant le Nil, la premiére ville que l'on rencontre après Damiette & Rosette eft Foua, connue anciennement fous le nom, de Nici. Cette ville bâtie fur les bords du Nil à quelques lieues au deffus de Rosette a été autrefois très floriffante. C'étoit l'abord de tous les vaifleaux d'Europe; c'étoit en ce lieu que fe payoient les douanes & les entrées de prefque toutes les marchandifes, qui abordoient en Egypte de ce côté-là. Mais depuis que le lit du Nil s'en eft éloigné, & que les gros vaiffeaux n'ont pû remonter jufqu'à cette ville, Foua eft beaucoup déchue de fa premiére grandeur. Rofette, comme je l'ai dit, s'eft accrue & enrichie de fes dépouilles. Cette ville eft cependant encore aujourd'hui

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De Foua.

De la Maffoure.

affez peuplée. Du refte ses rues font fort étroites, comme dans
toutes les villes bâties dans les pays chauds. Ce que celle-ci
a de fingulier eft un grand fauxbourg, qui eft la retraite de
toutes les jolies femmes. Ces belles y ont le privilége de fortir
le jour comme il leur plaît, & de rentrer la nuit quand bon
leur femble, fans que leurs maris y trouvent à redire. Je ne
fçai fi le commerce avec les Européens n'auroit pas beaucoup
contribué à y introduire une coutume fi contraire à l'usage
établi dans tout le Levant. Ce qu'il y a de certain, c'eft que les
Dames fçavent admirablement profiter de ce droit, fans que
dans ce lieu il arrive cependant à cet égard autant de défordres,
que dans plufieurs autres villes de l'Egypte, où les femmes
font gardées beaucoup plus étroitement. Tant il eft vrai, quoi
qu'en difent les Orientaux, quoique penfent au contraire
quelques nations de notre Europe, que les grilles & les verroux
ne font ni les uniques, ni les plus feurs gardiens de la vertu.
La Maffoure eft après Foua une des principales villes de
la baffe Egypte; peut être même eft-ce la feule place du Delta,
qui mérite véritablement ce nom. Au moins est-ce, comme
je l'ai dit ailleurs, le feul endroit muré qu'on y rencontre. Du
refte ce lieu n'eft remarquable que par fa fituation, qui eft une
des plus belles de toute l'Egypte. Le peuple même y est très
different de celui, qui habite les villes & les campagnes cir-
convoisines, plus doux, plus affable, plus poli. Tant il est vrai,
que le Ciel & nos habitations font infiniment à nos mœurs ! Le
nom de Maffoure,ou de Manfoura, eft Arabe, & fignifie victoire.
On prétend qu'il a été donné à cette ville, parceque ce fut
en cet endroit, que vaincu par la difette & la néceffité plutôt
que par les armes de fes ennemis le plus faint, & fans
contredit le plus grand de nos Rois, tomba entre les mains des
Sarrafins avec tous les Grands & tous les Seigneurs de fa fuite.
Le Ciel qui dans ce Héros Chrétien vouloit donner aux Princes
de la terre un exemple fublime de toutes les vertus, ne lui
avoit ménagé cette difgrace, que pour faire éclater d'autant
mieux fa résignation aux ordres de l'Eternel, & la grandeur de
fon courage. Captif, chargé de fers, ce Prince parut au milieu
de ces barbares auffi grand, auffi ferme, auffi intrepide, qu'un
Roi triomphant a coutume de fe montrer à des fujets foumis

** S. Louis.

*

& fidéles. L'Egypte admira dans fon prifonnier une grandeur d'ame qu'elle n'étoit point accoutumée à reconnoître dans fes Monarques ; & fes fiers Mamelucs envierent au premier trône du monde la poffeffion d'un Prince, dont les vertus fçavoient le rendre respéctable à fes propres ennemis, & lui faire autant d'efclaves de fes vainqueurs.

De la Maffoure on va à Foftat, ou Fuftato. C'est une petite ville fituée fur les bords du Nil, & bâtie, dit-on, par un des généraux d'Omar, qui fit la conquête de l'Egypte. Cet Officier s'étoit déja rendu maître de toute la côte, & il fe disposoit à pouffer plus loin fes fuccès. Cependant fon armée campoit dans l'endroit même, où Foftat eft placé aujourd'hui, pour y prendre quelque repos, & fe préparer à foumettre le reste de ce floriffant Royaume. Le général Arabe résolut de s'y fortifier à tout événement, afin d'avoir une retraite fure en cas de difgrace. Dans cette vue il fit élever un mur autour de cet espace que toutes les troupes occupoient ; & par ce qu'elles y avoient habité fous des tentes, il donna à ce lieu le nom de Foftat, qui en Arabe fignifie Pavillon.

De là en remontant toujours le Nil, on trouve à deux cens ́cinquante pas, ou environ, de la Matarée les traces de l'an. cienne Héliopolis, ou ville du Soleil, à qui ce lieu étoit particuliéremant confacré. C'eft pour cette raison qu'on l'appelloit encore l'oeil, ou la fontaine du Soleil. Aujourd'hui cette ville eft abfolument ruinée ; & au travers des triftes débris qu'elle offre à la curiofité des voyageurs, à peine eft-il poffible de reconnoître les moindres veftiges de tant de monumens célébres, de tant d'édifices fameux qu'elle contenoit. Ainfi envain y chercheroit-on prefentement des traces de ces vastes & fuperbes bâtimens, deftinés à loger les Prêtres nombreux que cette ville entretenoit, & où fans ceffe occu. pés à l'étude ces fages de l'Egypte employoient utilement leur loifir à pénétrer les fecrets les plus cachés de la Philofophie & de l'Aftronomie. Les nouvelles découvertes qu'ils avoient faites dans l'une ou l'autre de ces deux Sciences étoient inférées dans les régiftres publics, pour fervir dans la fuite à l'instruction & à l'avantage de leurs compatriotes. A l'égard des étrangers au contraire ces fçavans gardoient un profond secret surtout ce que l'étude & l'application leur avoient pû apprendre de

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nouveau. Bien loin de chercher à faire parade à leurs yeux de leur doctrine, & à leur communiquer les connoiffances qu'ils avoient acquifes, ils regardoient comme un point de religion de leur en faire mystére. Ce ne fut qu'après un long séjour parmi ces Prêtres, & par beaucoup de complaifance & d'affiduité, que dans fon voyage en Egypte Platon mérita qu'ils lui fiffent quelque part de leurs lumiéres. Hors de l'enceinte des murs on avoit élevé pour ces hommes fçavans un Obfervatoire fameux fourni de tout ce qui leur étoit nécessaire. C'étoit là qu'occupés nuit & jour à découvrir les diverses révolutions, qui pouvoient arriver dans le Ciel, ils obfervoient le cours des Aftres, l'extinction de certaines étoilles, l'apparition de quelques autres, l'immersion ou l'émerfion des planétes, & que fur leurs découvertes ils régloient les tems & les faifons calculoient l'arrivée & la durée des Eclipfes, & enrichiffoient le public des fruits de leurs veilles & de leurs recherches. Ce feroit inutilement, comme je l'ai dit, qu'on croiroit rencontrer aujourd'hui quelques veftiges de ces fuperbes édifices. Ce que les fiécles avoient épargné a été detruit par l'effort des barbares, & dans tout l'efpace que cette ancienne ville occupoit on ne trouve prefentement que cendre & pouffiere.

Au milieu de ces ruines informes j'ai découvert cependant une figure de Sphinx affez femblable à celle qui fe voit à l'Orient de la feconde des Pyramides, dont je parlerai dans la fuite. Elle eft placée au pied d'une haute aiguille, qui feule de tous ces Anciens monumens fubfifte encore aujourd'hui en fon entier. Cette idole eft d'une feule pierre & d'une groffeur extraordinaire. Comme c'eft ici affez la coutume de croire qu'il y a partout des tréfors cachés, on s'eft imaginé fans doute qu'on en trouveroit fous cette figure, & on l'a renversée avec des machines. Ce Sphynx eft donc à prefent fur le côté prefque entiérement enféveli fous le fable. Une partie de la tête est tombée, ou a été caffée avec violence. On en voit encore les débris fur la place. Comme le Nil baigne toute cette pierre dans fa hauteur, ce qui n'arrivoit point lorfqu'elle étoit encore de bout, elle a été minée infenfiblement par les eaux. Auffi a-t-on befoin d'application pour la reconnoître. Elle ne paroît d'abord qu'une maffe informe; mais pour peu qu'on s'attache à l'examiner, on fe convainc d'abord de ce qu'elle eft vérita

blement. Elle est placée au Nord de l'aiguille, & chargée de caractéres hieroglyphiques, qui font encore fort entiers. Aux environs de ce Sphinx on trouve plufieurs autres pierres d'une fi prodigieufe grandeur, qu'on les prendroit pour des rochers fortant de la terre. Cette circonstance jointe à la figure du Sphinx, qu'on rencontre au même endroit, me porteroit volontiers à croire, que c'étoit en ce lieu qu'étoit bati le temple confacré au Soleil. La description que les historiens nous ont laiffée de cet ancien édifice femble devoir me confirmer dans cette opinion. On en jugera par cette defcription, même. Comme tous les autres temples de l'Egypte étoient à peu près bâtis fur le plan de celui-ci, on ne fera pas faché fans doute de fçavoir ce que les Auteurs anciens nous en apprennent.

A l'entrée de ce temple on rencontroit d'abord un grand. quarré long de la largeur d'environ deux cens pieds, fur une longueur de fept à huit cens. Certe efpéce de cour étoit accompagnée de part & d'autre de deux rangs de Sphinx d'une grandeur proportionnée éloignés entre eux d'environ vingt pieds de distance. Ces Sphinx régnoient dans toute la longueur du quarré long, qui dans les autres édifices de cette nature étoit plus ou moins grand felon la grandeur du temple même auquel ils fervoient d'avantcour. L'efpace vuide que ces figures de Sphinx laiffoient entre elles étoit rempli par des Obélifques & des colomnes, qui fe fuccédoient réciproquement; en forte que cette entrée ne pouvoit manquer de donner d'abord une grande idée du temple qu'elle précédoit. De là on paffoit dans un grand vestibule élevé de dix pieds au deffus du quarré long, & foûtenu par des colomnes de marbre de différente efpéce. Ce vestibule étoit fuivi d'un autre, & même d'un troifiéme ; car le nombre n'en étoit point fixé. Il y avoit tel de ces édifices, où l'on en comptoit jusqu'à quatre. Enfin on arrivoit au temple élevé lui même de quelques pieds au deffus des veftibules. Ce bâtiment confiftoit d'abord en une nef fort longue & fort vaste, ornée de colomnes de marbre & de porphyre d'une hauteur prodigieufe. Ces colomnes étoient deftinées à foutenir une voute fort exhauffée, où l'or, l'afur, & les peintures brilloient également de toutes parts. Les Auteurs anciens vantent beaucoup la beauté & la magnificence de ces nefs, dont ils font mille éloges ; & il eft certain que les débris, qui dans

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