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pied-là on croira de ce prodige tout ce que l'on voudra.

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Ce qu'il y a de certain, c'eft que Mohamed, qui régnoit en Egypte vers l'an 200. de l'Hegyre, fut le premier des Princes Arabes, qui introduifit le luxe parmi les peuples de fa nation. Ce que les Auteurs racontent du nombre de fes Officiers ou domestiques, de la magnificence de fa table, du grand nombre d'édifices fuperbes qu'il fit élever, égale au moins ce que l'Europe fournit de plus furprenant à cet égard. Au refte il eft à propos d'obferver, que ce Roi Mahométan, qui vivoit dans un fiécle peu éloigné de la naiffance de cette fécte n'avoit ni pour le vin, ni pour les representations humaines, cette religieufe averfion que témoignent aujourd'hui pour ces mêmes objets tous les Musulmans du monde. Au contraire ce Prince avoit fait peindre dans un de ses Palais sous mille figures différentes fa femme la plus chérie, & ses esclaves les plus belles. Il buvoit aussi du vin fans scrupule. Or de là ne pourroiton point conjecturer que ces deux points de la loi Mahometane n'ont pas toujours obligé fes Séctateurs comme ils le font aujourd'hui ? Peut être n'eft ce qu'un rafinement, qui s'est infenfiblement introduit, & que l'ufage a fait paffer en précepte.

Ce que les mêmes hiftoriens Arabes nous racontent du fils de ce Mohamed Ebn Toulon, qui après la mort de fon pere monta sur le trône de l'Egypte, ne tient pas feulement du prodige. Il n'y a perfonne qui en le lifant ne foit tenté de le regarder comme une fable. En héritant des Etats du Roi fon pére, ce Prince avoit hérité, disent-ils, de fa magnificence, & de fa générosité. Outre les quatorze mille perfonnes nourries du fuperflu des tables, qui se servoient chaque jour dans le Palais de Mohamed, fon fils entretenoit encore deux mille Officiers de plus, & huit mille domeftiques destinés à les fervir, dont il avoit augmenté fa maifon depuis fon avenement à la Couronne. Ce Prince ne portoit jamais un habit qu'un feul jour ; il ne montoit jamais deux fois le même cheval, & il n'habitoit un Palais que pendant la première année qu'il avoit été bâti. Un habit qu'il avoit porté, ne fût ce que pendant une heure, un cheval de prix qu'il avoit monté pour fe rendre à la Mofquée, ou pour aller à la promenade, une

* De l'Ere Chrétienne, siz,

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maison où il avoit logé pendant un an, devenoient auffi-tôt le partage de fes Officiers, de fes favoris, des Grands & des Seigneurs de fa Cour, auxquels ce Monarque libéral & magnifique en faifoit préfent. Cependant ces habits, ces maisons n'étoient pas des objets peu confidérables. Dix mille hommes étoient occupés fans ceffe à travailler les étoffes précieuses destinées à habiller le Prince & les femmes de fon férail. On peut juger par là du nombre prodigieux de ceux, qui étoient employés à la conftruction de ces fuperbes & nombreux édifices néceffaires pour loger un fi grand Prince. C'étoient autant de vaftes & fomptueux Palais, où les marbres les plus recherchés, les dorures les plus brillantes, les peintures les plus exquifes, les meubles les plus précieux, les pierreries même étoient mifes en œuvre, pour répondre à la magnificence du maître, qui devoit y habiter. Tant de richeffes ne coutoient rien à donner à ce Prince; & de quelque prix que fût un bijou, il ne le regardoit plus comme étant à lui, dès qu'il en avoit eu la premiére fleur.

Le Sultan d'Egypte ne poffédoit en propre que deux chofes, dont il n'auroit pas cédé la poffeffion pour tous les trônes & pour tous les trésors du monde. La premiére étoit un Lion, par qui, difent ces mêmes Auteurs, il étoit gardé nuit & jour. Il avoit les yeux bleus, & tandis que fon maître reposoit, il ne permettoit à qui que ce fût d'approcher de fa perfonne. Ce gardien vigilant & fidéle étoit, ajoutent ils, un present d'un fameux magicien, qui l'avoit donné à ce Prince, en l'avertiffant qu'il étoit menacé d'être un jour affaffiné, & que le feul moyen qu'il eût d'éviter ce malheur étoit de n'être jamais fans cet animal. La feconde chofe que ce Prince eftimoit plus que la poffeffion de fes vaftes Etats, étoit une épouse qu'il aimoit tendrement, & qui méritoit en effet toute la tendreffe. Outre les agrémens de l'efprit & du corps capables de gagner un coeur & de le captiver, elle avoit pour le Roi fon époux un attachement si parfait, que dans les premiéres années de fon mariage la crainte de n'en être point aimée, ou de lui voir partager ailleurs une tendreffe qu'elle croyoit mériter toute entiére, lui avoit fait perdre la raifon. Ce fut à cette occafion fans doute que fut bâti au Caire ce fameux hôpital des fous, dont je parlerai dans la fuite. Cependant

cette Princeffe étoit fevenue en fon bon sens, & avoit trouvé dans le Prince tout le retour que pouvoit mériter une preuve fi marquée de fa tendreffe. Quoique le Sultan eût un férail nombreux & choifi, aucune des beautés qu'il renfermoit ne fut plus capable de le toucher, ni de partager une inclination fur laquelle la Princesse avoit acquis un droit entier & légitime.

La jalousie est naturelle à toutes les femmes, lorfqu'elles tendent au même but. Cette paffion n'eft point particuliére à une nation, ni à un pays. Chez tous les peuples, dans tous les climats du monde, le féxe eft né jaloux des droits de la beauté; mais on peut dire que dans le Levant furtout il porte cette jaloufie à un point, qu'elle y produit fouvent les effets les plus funeftes. Là comme le cœur obligé de s'attacher à un seul objet ne trouve point à se dédommager d'ailleurs, ni à partager des défirs qui ne peuvent trouver leur repos & leur fatisfaction que dans un tendre retour, la moindre marque de préférence eft capable de caufer dans l'enceinte myftérieuse & impénétrable d'un férail les Scénes les plus tragiques. Le fils de Mohamed ne l'éprouva que trop malheureufement pour lui. Son attachement pour fon époufe, fon infenfibilité pour toute autre que cette Princeffe, révolterent contre lui toutes ses femmes. Ce Prince ne fongeoit pas qu'en faifant le bonheur d'une feule, il réduifoit peut-être au désespoir deux mille autres que la douleur de fe voir négligées pouvoit porter aux plus grands excès; qu'animée par la jaloufie une femme eft capable de ce que dans une fituation plus tranquile elle n'oferoit fans doute imaginer qu'avec effroi ; & que rien n'eft plus redoutable que ce séxe timide & craintif, lorsqu'il a une fois à venger les charmes impuiffans de fa beauté, & les foins inutiles de fes avances. Auffi ce Monarque fut-il la victime de fa tendresse, de fa fidélité, & de fon peu de prévoyance.

Damas obéiffoit encore aux Sultans d'Egypte ; & par fes révoltes fréquentes cette fuperbe ville ne leur faifoit que trop souvent connoître, que ce n'étoit qu'à regret qu'elle se voyoit foumise à leur empire. Elle venoit de le témoigner par un nouveau foulévement, où le déchainement des mutins contre le gouvernement avoit éclaté d'une maniére plus marquée que jamais. L'Officier, qui commandoit dans la place pour

le Sultan, avoit été inhumainement måflacré; on avoit taillé en piéces les troupes qui l'accompagnoient. Le fils de Mohamed fut inftruit de cette révolte; & il jugea fagement que fa presence seule étoit capable de faire rentrer les mutins dans le devoir. Il partit à la tête de fes troupes, & voulut se faire fuivre par tout fon férail, perfuadé que les rebelles n'oferoient foutenir fa vue, & regardant ce voyage plutôt comme une partie de plaifir, que comme une expédition fanglante & périlleufe. En effet à fon arrivée à Damas fes troupes ne fe virent point réduites à la néceffité de tirer l'épée. Tout le foumit d'abord ; tout plia. Au feul bruit de la marche du Sultan les Chefs de la révolte intimidés & déja défaits avoient pris le parti de prévenir fa venue, les uns par la fuite, d'autres en fe puniffant eux-mêmes d'une entreprise coupable & téméraire, dont ils ne pouvoient éviter le châtiment. L'entrée du Prince dans Damas ne reffembla point à celle d'un vainqueur furieux, ou d'un Roi irrité, que la terreur & la mort accompagnent. Il fut reçu dans cette ville comme un fouverain plein de clemence & de bonté pour ses sujets aux cris redoublés d'un peuple coupable, mais repentant, qui fe soumettoit aux châtimens qu'il avoit merités, & imploroit la miféricorde de fon Prince. La vengeance de cet attentat se borna au fupplice de deux ou trois des plus mutins, qui furent punis pour l'exemple; & après cette exécution Damas fut plus foumis & plus tranquile qu'il ne l'étoit avant la révolte.

Cependant pour rétablir parfaitement l'ordre dans cette ville; & prévenir quelque foulevement femblable, le Sultan jugea à propos de prendre avant fon départ certains arrangemens, qui lui parurent néceffaires. Helas, ce Prince fongeoit à fe tranquilifer fur l'avenir, & il ne fçavoit pas combien fon féjour à Damas devoit lui être funefte. Tous les plaifirs avoient suivi ce Prince dans ce voyage. Son férail même, comme je l'ai dit, l'avoit accompagné. On n'avoit rien oublié de tout ce qui, pouvoit hâter fa perte; on n'avoit négligé que ce qui feul auroit pû affeurer fa perfonne. Je parle de ce Lion, qui lui avoit été donné pour veiller fans ceffe à fa garde, & qui étoit resté au Caire. Les femmes du Sultan profiterent de l'absence de ce gardien, fidéle , pour exécuter le coupable deflein qu'elles méditoient contre lui. Elles l'attaquerent au milieu de fon

fommeil, & le maffacrerent dans fon lit. L'hiftoire ne dit point, ni ce que devint le Lion, qui jufqu'à ce moment fatal avoit tenu fi utilement compagnie à fon maître, ni de quelle maniére les femmes du Sultan furent punies de cet attentat. A l'égard de la Princeffe fon épouse, elle fut fi touchée de cette mort, qu'elle retomba dans fes premiéres erreurs. La perte qu'elle fit de ce Prince fut fuivie de la perte de fa raison.

Je finirai, Monfieur,par cette hiftoire ce que j'avois deffein de vous dire de la baffe Egypte, ou du Delta; auffi bien cette contrée ne m'offre t'elle plus d'objets dignes d'amufer vos regards. Il eft vrai que pour vous en donner une idée parfaite il me resteroit à vous entretenir de la fameufe Aléxandrie & de fes antiquités, de la Ville du Caire, & des monumens célébres qu'elle renferme. Ces Pyramides fi vantées, ces Momies, dont tant de relations ont parlé, & dont vous avez pû même voir plufieurs en Europe, vous paroiffent auffi fans doute faire partie de mes engagemens. J'avoue la dette Monfieur, & fur ces différens sujets j'ofe me flatter d'être en état de vous communiquer des recherches affez curieuses & affez neuves. Mais à la fin d'une lettre que pourrois-je faire dans un champ si vafte ? A peine cuelllir quelques fleurs. Permettezmoi donc de remettre la partie à une autre fois. Je crois pouvoir me répondre d'avance que vous me fçaurez gré d'avoir donné à ces différentes matiéres leur jufte étendue. Je fuis, &c. Au Caire ce....

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