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De la Matarée.

certains endroits, furtout dans quelques villes de la haute Egypte, fubfiftent encore aujourd'hui de ces anciens monumens, fuffifent pour prouver que les louanges de ces historiens ne font point outrées. Enfin de cette nef on entroit dans l'intérieur du temple, compofé d'un fuperbe Dôme élevé fur plufieurs colonnades. C'étoit précisément fous ce Dôme qu'étoit placé l'Autel, fur lequel préfidoit la divinité que l'on adoroit en ce lieu. Elle confiftoit ordinairement difent les Auteurs, dans la representation de quelque animal ; car rarement, ou plutôt jamais on n'y voyoit paroître de figure humaine. Il y avoit même quelques uns de ces temples, où l'on ne rencontroit aucune idole, & dont les murs étoient feulement chargés de ces caractéres hieroglyphiques, par le moyen defquels les Egyptiens s'imaginoient pouvoir éternifer la mémoire des évenemens confidérables arrivés dans leur

pays. Ce que celui d'Heliopolis avoit de particulier, c'étoit un miroir placé de telle façon, qu'il réflechiffoit les rayons du Soleil, & illuminoit tout le temple. Le vulgaire ignorant regardoit cet évenement purement naturel, comme un effet de la préfence fenfible de la divinité qu'il adoroit en ce lieu ; & les Prêtres feuls dépofitaires du fecret profitoient habilement de la crédulité du peuple.

Nous approchons du Caire, Monfieur, puisque nous sommes enfin arrivés à la Matarée. Ce lieu, que quelques uns croyent être l'Hermopolis des anciens, eft un gros bourg éloigné de cette capitale de l'Egypte d'environ deux lieues. Le nom de Matarée fignifie Eau fraiche, Eau nouvelle. La fontaine, qui le porte, l'a communiqué au jardin dans lequel elle se trouve, & enfuite à tout le bourg. C'est peut être la feule source de cette espéce, c'est-à-dire d'eau courante, qui fe rencontre dans toute l'étendue de l'Egypte. Il est vraisemblable qu'elle vient d'un lac affez voifin, qui tous les ans eft inondé par les eaux du canal, dont le Caire eft traverfé. Quoiqu'il en foit, la tradition conftante du pays eft que ce lieu fervit de demeure au Sauveur, lorfque pour éviter la fureur d'Hérode il vint fe réfugier en Egypte. On voit encore dans ce jardin un mur & une petite fenêtre, qui, dit-on, faifoient partie du bâtiment, où logeoit la fainte famille. Les Chrétiens du pays ont bâti fur ce mur une Eglife, où les Prêtres Coptes difent la Meffe,

& à côté les Turcs auffi remplis de vénération pour ce lieu que les Chrétiens mêmes, ont élevé une Mosquée, où ils vont faire leurs prieres. On ajoute, que c'étoit à cette fontaine dont j'ai parlé, que la Sainte Vierge alloit laver les langes de l'enfant Jefus pendant le féjour qu'elle fit en Egypte. Cette tradition rend cette petite fource également recommandable aux Chrétiens & aux Mahométans.

L'envie d'entaffer merveilles fur merveilles n'a peut-être pas peu contribué à rendre célébre un Sycomore, qui fe trouve de même dans ce jardin, & que les habitans croyent avoir fervi d'afile à la Sainte famille à fon arrivée dans ce pays. Pourfuivis, difent-ils, par leurs ennemis, & parvenus en ce lieu, Jefus, Marie, & Joseph, accablés de fatigue & de laffitude, ne trouvant aucun endroit où ils puffent fe cacher, alloient devenir la victime de leurs perfécuteurs, lorfque le Sycomore s'entrouvrit, & leur offrit dans fon fein une retraite affeurée & inconnue. A peine y furent-ils entrés, que l'arbre fe referma, pour les dérober aux recherches de ceux, qui les poursuivoient dans le deffein de les faire mourir ; & il ne s'ouvrit que lorfqu'après beaucoup de perquifitions inutiles les Miniftres de la cruauté d'Hérode eurent pris le parti de s'éloigner. C'eft fur ce principe que ce Sycomore eft également en vénération aux Turcs comme aux Chrétiens. Il eft renfermé dans une enceinte de gazon pour la commodité des dévots. Sa cime est encore verte & couverte de feuilles; mais fon tronc eft fort dégradé, furtout par le bas, d'où on a enlevé toute l'écorce pour en faire des Reliques. Ce qu'il y a de fort fingulier, & ce que je n'oferois affurer fans bonne preuve, c'est qu'un bâtard, dit-on, ne peut paffer fous cet arbre.

C'étoit dans le jardin de la Matarée que croiffoit le fameux beaume, qui entroit dans la compofition du Chréme, dont l'Eglife Copte fe fervoit dans le baptême des enfans, & dont l'efpece eft aujourd'hui abfolument perdue. Il n'y a cependant pas deux cens ans, qu'on en voyoit encore quelques tiges dans un petit enclos de ce jardin, où un Bacha d'Egypte les avoit fait renfermer, perfuadé que ce précieux arbriffeau méritoit une attention particuliére. Ces tiges n'avoient pas alors plus d'un pied de hauteur, & étoient à peu près de la groffeur du pouce. Auffi dit-on que par tout ailleurs les beaumes ne font

jamais plus gros, & que leur hauteur ne paffe point deux ou trois coudées. De ce foible tronc fortoient plusieurs petits rameaux fort gréles, garnis de feuilles d'un très beau verd, à peu près femblables à celles de la rue, & qui fur chaque branche croiffent toujours en nombre impair. A l'égard du tronc il étoit revêtu d'une double écorce. La premiére étoit d'une couleur rougeâtre, & en couvroit une feconde beaucoup plus mince, & parfaitement verte. Ces deux écorces fembloient au goût tenir beaucoup de l'encens & de la Térébinthe; broyées entre les doigts, elles avoient une odeur prefque femblable à celle du Cardamome. Le bois caché fous ces deux écorces étoit blanc, & n'avoit non plus de goût, ni d'odeur, que celui d'un arbre ordinaire. Ce que cet arbrisseau avoit de particulier, c'eft que tous les ans il falloit le tailler comme la vigne. Peut être étoit-ce dans cette faifon qu'on en recueilloit ce fuc précieux, qui autrefois a été fi célébre

On voit encore aujourd'hui à la Matarée un ancien Obélisque planté fur fon pied d'eftal. Cette aiguille n'étoit pas la feule qu'on rencontrât autrefois dans le même endroit. Elle étoit accompagnée d'une feconde, qui fubfiftoit encore dans le tems que les Arabes firent la conquête de l'Egypte. Ces deux aiguilles étoient de celles, dont on se servoit pour connoître d'avance la hauteur future de l'accroiffement du Nil, & qui, comme je l'ai dit, étoient furmontées d'une espéce de chapiteau d'airain, d'où on avoit le fecret de faire couler autant de goutes d'eau qu'il étoit néceflaire, pour entretenir la fuperftition du peuple. Elles étoient placées dans une enceinte qui formoit un quarré long orné d'un grand nombre de ftatues. Peut être étoit ce l'entrée de quelque ancien temple, qui avoit autrefois fubfifté dans cet endroit. Quoiqu'il en foit les historiens Arabes rapportent, que Mohamed Ebn Toulon, c'est-àdire fils de Toulon, fit abatre une de ces ftatues après l'avoir regardée, afin de fe mocquer d'une tradition, qui étoit alors en vogue parmi les Egyptiens. Elle portoit que jamais Roi d'Egypte n'avoit vû cette figure, fans perdre enfuite la Couronne. Auffi, ajoutent ils, Mohamed eut à peine exécuté fon deffein qu'il tomba dans une maladie de langueur, qui le conduifit au tombeau. Je n'ai garde de me rendre le garand de ce fait. On fçait jufqu'où l'on doit ajouter foi aux Auteurs Arabes ; & fur ce

pied

Beaume de la Mataree.

Aiguille de la Matarée).

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