Imágenes de páginas
PDF
EPUB

Il entassait adage sur adage;
Il compilait, compilait, compilait;
On le voyait sans cesse écrire, écrire
Ce qu'il avait jadis entendu dire,
Et nous lassait sans jamais se lasser.
Il me choisit pour l'aider à penser :
Trois mois entiers ensemble nous pensâmes,
Lumes beaucoup, et rien n'imaginâmes.
L'abbé Trublet m'avait pétrifié;

Mais un bâtard du sieur de la Chaussée
Vint ranimer ma cervelle épuisée,

Et tous les deux nous fìmes par moitié
Un drame court et non versifié,

Dans le grand goût du larmoyant comique,
Roman moral, roman métaphysique.

Eh bien, mon fils, je ne te blâme pas.
Il est bien vrai que je fais peu de cas

De ce faux genre, et j'aime assez qu'on rie;
Souvent je bâille au tragique bourgeois,
Aux vains efforts d'un auteur amphibie,
Qui défigure et qui brave à la fois,
Dans son jargon, Melpomène et Thalie.
Mais, après tout, dans une comédie
On peut parfois se rendre intéressant,
En empruntant l'art de la tragédie,

Quand par malheur on n'est pas né plaisant.
Fus-tu joué? ton drame hétéroclite
Eut-il l'honneur d'un peu de réussite?
Je cabalai, je fis tant qu'à la fin
Je comparus au tripot d'Arlequin.
Je fus hué ce dernier coup de grâce
M'allait sans vie étendre sur la place;
On me porta dans un logis voisin,
Près d'expirer de douleur et de faim,

Les yeux tournés, et plus froid que ma pièce.

Las! où courir dans mon destin maudit? N'ayant ni pain, ni gîte, ni crédit,

Je résolus de finir ma carrière,

Ainsi qu'ont fait, au fond de la rivière,
Des gens de bien, lesquels n'en ont rien dit.

O changement! ô fortune bizarre !

J'apprends soudain qu'un oncle trépassé,
Vieux janséniste et docteur de Navarre,
Des vieux docteurs certes le plus avare,
Ab intestat malgré lui m'a laissé
D'argent complant un immense héritage.
Bientôt changeant de mœurs et de langage,
Je me décrasse, et m'étant dérobé

A cette fange où j'étais embourbé,
Je prends mon vol; je m'élève, je plane;
Je veux tåter des plus brillants emplois ;
Être officier, signaler mes exploits;
Puis de Thémis endosser la soutane,
Et, moyennant vingt mille écus tournois,
Être appelé le tuteur de nos rois.

J'ai des amis, je leur fais grande chère;
J'ai de l'esprit alors, et tous mes vers
Ont comme moi l'heureux talent de plaire.

Je voulus vivre en fermier général :
Que voulez-vous, hélas! que je vous dise?
Je payai cher ma brillante sottise:
En quatre mois je fus à l'hôpital.
Voilà mon sort, il faut que je l'avoue.
Conseillez-moi.

[ocr errors]

Mon ami, je te loue

D'avoir enfin déduit sans vanité
Ton cas honteux, et dit la vérité.
Prête l'oreille à mes avis fidèles.
Jadis l'Égypte eut moins de sauterelles
Que l'on ne voit aujourd'hui dans Paris
De malotrus, soi-disant beaux esprits,
Qui, dissertant sur les pièces nouvelles,
En font encor de plus sifflables qu'elles :
Tous l'un de l'autre ennemis obstinés,
Mordus, mordants, chansonneurs, chansonnés,
Nourris de vent au temple de mémoire,
Peuple crotté qui dispense la gloire.
J'estime plus ces honnêtes enfants
Qui de Savoie arrivent tous les ans,
Et dont la main légèrement essuie
Ces longs canaux engorgés par la suie;
J'estime plus celle qui dans un coin

Tricote en paix les bas dont j'ai besoin,
Le cordonnier qui vient de ma chaussure
Prendre à genoux la forme et la mesure,
Que le métier de tes obscurs Frérons.

Écoute, il faut avoir un poste honnête :
Les beaux projets dont tu fus tourmenté
Ne troublent plus ta ridicule tête;
Tu ne veux plus devenir officier,

Ni courtisan, ni conseiller, ni prêtre.
Dans mon logis il me manque un portier;
Prends ton parti, réponds-moi, veux-tu l'être?
— Oui-da, monsieur. — Quatre fois dix écus
Seront par an ton salaire; et de plus,
D'assez bon vin chaque jour une pinte
Rajuslera ton cerveau qui te linte.

Va dans ta loge; et surtout, garde-toi

Qu'aucun Fréron n'entre jamais chez moi.

Celui que Voltaire, dans le début de son poëme de Fontenoy, appelle le fameux satirique du siècle passé, et qui se flattait lui-même d'avoir su dans ses écrits, docte, enjoué, sublime, renfermer en soi Perse, Horace et Juvénal, est bien loin d'avoir conservé, comme poëte satirique, le rang qu'il aimait à s'attribuer, et que l'opinion lui confirmait par une sorte de déférence. Il ne soutient la comparaison ni avec son prédécesseur Régnier, dont il a su apprécier le mérite, ni avec son successeur Voltaire, qui ne l'a pas traité lui-même avec moins de courtoisie. Régnier connaît mieux le cœur humain, est plus original, plus mordant, plus pittoresque, et perd moins de temps à bander son arc. Voltaire, trop âcre, plus intéressé dans son rôle, ou plus subjectif que ne le comporte la poésie, qui doit conserver une certaine sérénité jusque dans l'indignation, est plus varié, soit dans les idées, soit dans les tours, a une verve plus facile, et des inventions plus heureuses. Chez lui la satire coule de source; c'est là qu'il est parfaitement luimême, Voltaire au vrai; et s'il n'aiguise pas, comme Régnier, le trait satirique, s'il est moins artiste, moins poëte, l'abondance de la veine y supplée. Les satires de Régnier sont bien des satires, celles de Voltaire sont des pamphlets; il n'y a guère, entre elles et certaines de ses lettres, que la rime de plus. Gilbert était fait, s'il cût vécu, pour prendre une place à part, et la prendre très-haut. Le vers d'Horace : Ne scutica dignum horribili sectere flagello, n'était pas fait pour lui : la scutica ne convenait ni à l'opinion qu'il représentait, ni au siècle

qu'il eut mission de châtier : il n'y avait de bienséant, dans la main d'un satirique de son bord, que l'horribile flagellum. Quelque esprit de parti se mêla sans doute à son indignation; mais tout porte à croire qu'elle fut sincère. Dans la satire des mœurs, il ne pouvait guère exagérer et s'il exagéra dans la satire littéraire, on ne peut nier qu'il n'ait bien reconnu les côtés faibles de la littérature en faveur. Du reste la satire des mauvais écrits se rattachait étroitement, dans sa pensée, à celle des mauvaises mœurs : les deux dégénérations n'en étaient qu'une à ses yeux. Ce ton de la satire était nouveau en France; il lui fallait, pour le rencontrer, qu'elle trouvât un homme capable d'embrasser avec enthousiasme une cause vaincue ; car dans cette cause seule se trouvait l'inspiration toute nouvelle qui caractérise la satire chez Gilbert. Il n'y a pas si loin qu'on le croirait de l'auteur de la satire du Dix-huitième Siècle à l'auteur de ces vers lyriques :

"Ainsi parlait hier un peuple de faux sages.

Si ce roi des soleils, sensible à leurs outrages,

« Eût dit dans sa pensée : Ingrats, vous périrez !
Le tonnerre, attentif à son ordre suprême,
a Se fût éveillé de lui-même,

« Et les eût, parmi nous, choisis et dévorés; •

ou de ceux-ci, encore plus beaux :

" L'Éternel a brisé son tonnerre inutile;

« Et, d'ailes et de faux dépouillé désormais,

« Sur les mondes détruits le Temps dort immobile. »>

Gilbert mourut avant que son talent eût atteint toute sa maturité. Mais comment douter que son style n'eût gagné autant de coloris, de précision et de souplesse qu'il avait déjà de vigueur, quand on rencontre dans ses satires des passages comme ceux-ci :

"

Parlerai-je d'Iris? Chacun la prône et l'aime ;

"C'est un cœur, mais un cœur... C'est l'humanité même.

« Si d'un pied étourdi quelque jeune éventé

« Frappe, en courant, son chien qui jappe épouvanté,

« La voilà qui se meurt de tendresse et d'alarmes.

« Un papillon souffrant lui fait verser des larmes.

Il est vrai; mais aussi qu'à la mort condamné,
"Lally soit en spectacle à l'échafaud traîné,
« Elle ira la première à cette horrible fête
" Acheter le plaisir de voir tomber sa tète. »

(Le Dix-huitième Siècle.)

Vous nommez les auteurs, et c'est là votre crime.

GILBERT.

Ah! si d'un doux encens je les cusse fêtés,

Vous me pardonneriez de les avoir cités.

Quol donc ! un écrivain veut que son nom parlage
Le tribut de louange offert à son ouvrage,

Et m'impute à forfait, s'il blesse la raison,

De la venger d'un vers égayé de son nom?
Comptable de l'ennui dont sa muse m'assomme,
Pourquoi s'est-il nommé, s'il ne veut qu'on le nomme?
Je prétends soulever les lecteurs détrompés
Contre un auteur bouffi de succès usurpés.
Sous une périphrase étouffant ma franchise,
Au lieu de d'Alembert, faut-il donc que je dise:

C'est ce joli pédant, géomètre orateur,

De l'Encyclopédie ange conservateur,

Dans l'histoire chargé d'inhumer ses confrères,
Grand homme, car il fait leurs extraits mortuaires?
Si j'évoque jamais, du fond de son journal,
Des sophistes du temps l'adulateur banal;
Lorsque son nom suffit pour exciter le rire,
Dois-je, au lieu de La Harpe, obscurément écrire :
C'est ce petit rimeur, de tant de prix enflé,
Qul, sifflé pour ses vers, pour sa prose sifflé,
Tout meurtri des faux pas de sa muse tragique,
Tomba de chute en chute au tròne académique?
Ces détours sont d'un lâche et malin détracteur,
Je ne veux point offrir d'énigmes au lecteur.

(Mon Apologie.)

L'AVEUGLE.

«Dieu dont l'arc est d'argent, Dieu de Claros, écoute,
« O Sminthée-Apollon, je périrai sans doute,
« Si tu ne sers de guide à cet aveugle errant. »>

C'est ainsi qu'achevait l'aveugle en soupirant,
Et près des bois marchait, faible, et sur une pierre
S'asseyait. Trois pasteurs, enfants de cette terre,
Le suivaient, accourus aux abois turbulents
Des molosses, gardiens de leurs troupeaux bêlants;
Ils avaient, retenant leur fureur indiscrète,
Protégé du vieillard la faiblesse inquiète;

Ils l'écoutaient de loin; et s'approchant de lui:
« Quel est ce vieillard blanc, aveugle et sans appui?

« Serait-ce un habitant de l'empire céleste?

« Ses traits sont grands et fiers; de sa ceinture agreste

« AnteriorContinuar »