Il entassait adage sur adage; Mais un bâtard du sieur de la Chaussée Et tous les deux nous fìmes par moitié Dans le grand goût du larmoyant comique, Eh bien, mon fils, je ne te blâme pas. De ce faux genre, et j'aime assez qu'on rie; Quand par malheur on n'est pas né plaisant. Les yeux tournés, et plus froid que ma pièce. Las! où courir dans mon destin maudit? N'ayant ni pain, ni gîte, ni crédit, Je résolus de finir ma carrière, Ainsi qu'ont fait, au fond de la rivière, O changement! ô fortune bizarre ! J'apprends soudain qu'un oncle trépassé, A cette fange où j'étais embourbé, J'ai des amis, je leur fais grande chère; Je voulus vivre en fermier général : Mon ami, je te loue D'avoir enfin déduit sans vanité Tricote en paix les bas dont j'ai besoin, Écoute, il faut avoir un poste honnête : Ni courtisan, ni conseiller, ni prêtre. Va dans ta loge; et surtout, garde-toi Qu'aucun Fréron n'entre jamais chez moi. Celui que Voltaire, dans le début de son poëme de Fontenoy, appelle le fameux satirique du siècle passé, et qui se flattait lui-même d'avoir su dans ses écrits, docte, enjoué, sublime, renfermer en soi Perse, Horace et Juvénal, est bien loin d'avoir conservé, comme poëte satirique, le rang qu'il aimait à s'attribuer, et que l'opinion lui confirmait par une sorte de déférence. Il ne soutient la comparaison ni avec son prédécesseur Régnier, dont il a su apprécier le mérite, ni avec son successeur Voltaire, qui ne l'a pas traité lui-même avec moins de courtoisie. Régnier connaît mieux le cœur humain, est plus original, plus mordant, plus pittoresque, et perd moins de temps à bander son arc. Voltaire, trop âcre, plus intéressé dans son rôle, ou plus subjectif que ne le comporte la poésie, qui doit conserver une certaine sérénité jusque dans l'indignation, est plus varié, soit dans les idées, soit dans les tours, a une verve plus facile, et des inventions plus heureuses. Chez lui la satire coule de source; c'est là qu'il est parfaitement luimême, Voltaire au vrai; et s'il n'aiguise pas, comme Régnier, le trait satirique, s'il est moins artiste, moins poëte, l'abondance de la veine y supplée. Les satires de Régnier sont bien des satires, celles de Voltaire sont des pamphlets; il n'y a guère, entre elles et certaines de ses lettres, que la rime de plus. Gilbert était fait, s'il cût vécu, pour prendre une place à part, et la prendre très-haut. Le vers d'Horace : Ne scutica dignum horribili sectere flagello, n'était pas fait pour lui : la scutica ne convenait ni à l'opinion qu'il représentait, ni au siècle qu'il eut mission de châtier : il n'y avait de bienséant, dans la main d'un satirique de son bord, que l'horribile flagellum. Quelque esprit de parti se mêla sans doute à son indignation; mais tout porte à croire qu'elle fut sincère. Dans la satire des mœurs, il ne pouvait guère exagérer et s'il exagéra dans la satire littéraire, on ne peut nier qu'il n'ait bien reconnu les côtés faibles de la littérature en faveur. Du reste la satire des mauvais écrits se rattachait étroitement, dans sa pensée, à celle des mauvaises mœurs : les deux dégénérations n'en étaient qu'une à ses yeux. Ce ton de la satire était nouveau en France; il lui fallait, pour le rencontrer, qu'elle trouvât un homme capable d'embrasser avec enthousiasme une cause vaincue ; car dans cette cause seule se trouvait l'inspiration toute nouvelle qui caractérise la satire chez Gilbert. Il n'y a pas si loin qu'on le croirait de l'auteur de la satire du Dix-huitième Siècle à l'auteur de ces vers lyriques : "Ainsi parlait hier un peuple de faux sages. Si ce roi des soleils, sensible à leurs outrages, « Eût dit dans sa pensée : Ingrats, vous périrez ! « Et les eût, parmi nous, choisis et dévorés; • ou de ceux-ci, encore plus beaux : " L'Éternel a brisé son tonnerre inutile; « Et, d'ailes et de faux dépouillé désormais, « Sur les mondes détruits le Temps dort immobile. »> Gilbert mourut avant que son talent eût atteint toute sa maturité. Mais comment douter que son style n'eût gagné autant de coloris, de précision et de souplesse qu'il avait déjà de vigueur, quand on rencontre dans ses satires des passages comme ceux-ci : " Parlerai-je d'Iris? Chacun la prône et l'aime ; "C'est un cœur, mais un cœur... C'est l'humanité même. « Si d'un pied étourdi quelque jeune éventé « Frappe, en courant, son chien qui jappe épouvanté, « La voilà qui se meurt de tendresse et d'alarmes. « Un papillon souffrant lui fait verser des larmes. Il est vrai; mais aussi qu'à la mort condamné, (Le Dix-huitième Siècle.) Vous nommez les auteurs, et c'est là votre crime. GILBERT. Ah! si d'un doux encens je les cusse fêtés, Vous me pardonneriez de les avoir cités. Quol donc ! un écrivain veut que son nom parlage Et m'impute à forfait, s'il blesse la raison, De la venger d'un vers égayé de son nom? C'est ce joli pédant, géomètre orateur, De l'Encyclopédie ange conservateur, Dans l'histoire chargé d'inhumer ses confrères, (Mon Apologie.) L'AVEUGLE. «Dieu dont l'arc est d'argent, Dieu de Claros, écoute, C'est ainsi qu'achevait l'aveugle en soupirant, Ils l'écoutaient de loin; et s'approchant de lui: « Serait-ce un habitant de l'empire céleste? « Ses traits sont grands et fiers; de sa ceinture agreste |