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Par cet art autrefois l'ingénieux Catulle

Sur César, en jouant, lança le ridicule.

De ce railleur exquis retenons bien ce mot :
Gardez-vous d'un sot rire; il n'est rien de plus sot.

Fuyez l'aigre dispute; une morgue insensée
Affecte en vain le droit d'asservir la pensée.
N'ambitionnez point ce triomphe impruden;
C'est un art de savoir triompher en cédant.
Amant de la raison, défenseur du génie,
De contester sans cesse évitez la manie:
Une aimable indulgence est souvent de saison;
C'est avoir déjà tort que d'avoir trop raison.

Railleur novice encor, si tu veux qu'il me frappe,
Ne m'avertis jamais du bon mot qui t'échappe :
Sur ma lèvre à l'instant le sourire est glacé;
Et le plaisir languit dès qu'il est annoncé.

Tel lance un trait plaisant qui n'eût pas su l'écrire;
Tel écrit un bon mot qu'il n'eût jamais su dire.
L'auteur vif et brillant qui fit parler Usbeck
Dès qu'il parlait lui-même était pesant et sec.
Ce Boileau, si funeste à l'auteur de Pyrame,
Si fin dans la satire, est froid dans l'épigramme.
Rousseau, qui de ce genre eût mérité le prix,
Souvent d'un sel trop âcre a semé ses écrits.
Nul n'a tous les talents; tout homme a ses limites;
Même aux dieux d'Hélicon des bornes sont prescrites :
Voltaire, qui, du Pinde avide conquérant,

Voulut tout embrasser, fut plus vaste que grand.
Je vois, parmi ses fleurs, plus d'une ronce éclose.
J'aime son Pompignan qui se croit quelque chose 3;
Mais je ne puis aimer son malheureux Fréron
Qu'il appelle un faussaire, un escroc, un fripon :
C'est noyer le bon mot dans un torrent de bile.
N'était-ce pas assez que Fréron fût Zoïle?

1 Montesquicu, dans les Lettres persanes. 2 J. B. Rousseau.

☎ a César n'a point d'asile où son ombre repose,

« Et l'ami Pompignan pense être quelque chose! »

La Vanité. Salire.

Ou que Stupidité, qui fait tout de travers,
Lui mît si plaisamment des ailes à l'envers ?

Le dépit raille mal, ses jeux sont des querelles ;
Se fâcher d'un bon mot c'est lui prêter des ailes.
D'une vaine colère adoucissez l'éclat,

Et que des jeux d'esprit ne soient point un combat.

De La Harpe, a-t-on dit, l'impertinent visage
Appelle le soufflet: ce mot n'est qu'un outrage.
Je veux qu'un trait plus doux, léger, inattendu,
Frappe l'orgueil d'un fat plaisamment confondu.
Dites: Ce froid rimeur se caresse lui-même ;
Au défaut du public il est juste qu'il s'aime ;
Il s'est signé grand homme, et se dit immortel
Au Mercure! Ces mots n'ont rien qui soit cruel.
Jadis il me louait dans sa prose enfantine :
Mais, dix fois repoussé du trône de Racine,
Il boude, et son dépit m'a, dit-on, harcelé.
L'ingrat! j'étais le seul qui ne l'eût pas sifflé.

Un jour certain prélat, d'ignorante mémoire,
Fier d'un beau mandement dont il payait la gloire,
Aborda ce railleur si connu parmi nous :

L'avez-vous lu, Piron? Oui, monseigneur; et vous
Ainsi d'un trait plaisant la saillie étincelle.
Dans cet art périlleux plus d'un Français excelle.

Quelquefois dans ses vers le héros de Berlin
Se permit d'aiguiser le sarcasme malin,
Et, « des rois empesés raillant la confrérie, »
Soumit le trône même à sa plaisanterie.
Mais la Prusse sanglante expia ses bons mots,
Le poëte railleur coûta cher au héros :
Il siffla de Bernis « la stérile abondance; »
Et Bernis sut armer Pompadour et la France.
Dans la bouche des rois le rire est trop amer:
Le rôle de Momus sied mal à Jupiter.

Le plus grand des Louis, toujours discret et sage,
Jamais d'un trait moqueur ne se permit l'usage.

D'un bon mot toutefois l'heureuse liberté

Peut même aux souverains offrir la vérité.

1 Allusion à un trait de la Dunciade, poëme satirique de Palissot

Entouré d'ennemis que fuyait sa faiblesse,
Vaincu par les Anglais moins que par sa mollesse,
Charle en ses derniers murs, dans l'ivresse des jeux,
Sur les débris du trône ouvrait un bal pompeux :
Que le semble? dit-il au généreux Lahire.

Qu'on ne perdit jamais plus gaîment un empire.
Ce mot sauva la France. Ainsi, mieux que nos lois,
Souvent le ridicule a corrigé les rois.

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La parole est la voix de l'âme,
Elle vit par le sentiment;

Elle est comme une pure flamme
Que la nuit du néant réclame 1
Quand elle manque d'aliment.

Elle part prompte et fugitive,
Comme la flèche qui fend l'air,
Et son trait vif, rapide et clair,
Va frapper la foule attentive

D'un jour plus brillant que l'éclair.

Si quelque gêne l'emprisonne,
Défiez-vous de son lien.

Tout effort est contraire au bien,
Et la parole en vain frissonne,
Sitôt que le cœur ne dit rien 2.

Le simple c'est le beau que j'aime,
Qui sans frais, sans tours éclatants,
Fait le charme de tous les temps.
Je donnerais un long poëme
Pour un cri du cœur que j'entends.

En vain une muse fardée
S'enlumine d'or et d'azur.
Le naturel est bien plus sûr;

Le mot doit mûrir sur l'idée,

Et puis tomber comme un fruit mûr.

M. CH. NODIER.

1 Je n'aime pas cette nuit du néant qui réclame une flamme; c'est la rime qui a donné cela. Sainte-Beuve. - 2 Cette coulante doctrine de la facilité naturelle, cet épicurisme de la diction, si bon à opposer en temps et lieu au stoïcisme guindé de l'art, a pourtant ses limites, et quand l'auteur dit qu'en style tout effort est contraire au bien, il n'entend parler que de l'effort qui se trahit, il oublie celui qui se dérobe, Sainte-Beuve.

QU'EST-CE UE VIVRE?

(VIIIC CONSOLATION DE M. SAINTE-BEUVE.)

Naître, vivre et mourir dans la même maison;
N'avoir jamais changé de toit ni d'horizon;
S'être lié tout jeune aux vœux du sanctuaire ;
Vierge, voiler son front comme d'un blanc suaire,
Et confiner ses jours silencieux, obscurs,

A l'enclos d'un jardin fermé de tristes murs;

Ou dans un sort plus doux, mais non moins monotone,
Vieillir sans rien trouver dont notre àme s'étonne;

Ne pas quitter sa mère, et passer à l'époux
Qui vous avait tenue, enfant, sur ses genoux;
Aux yeux des grands parents élever sa famille;
Voir les fils de ses fils sous la même charmille
Où jadis on avait joué devant l'aïcul!
Homme, vivre ignoré, modeste, pauvre et seul,
Sans voyager, sentir, ni respirer à l'aise,
Ni donner plein essor à ce cœur qui vous pèse;
Dans son quartier natal compter bien des saisons,
Sans voir jaunir les bois ou verdir les gazons;
Avec les mêmes goûts avoir sa même chambre,
Ses livres du collège et son poêle en décembre,
Sa fenêtre entr'ouverte en mai, se croire heureux
De regarder un lierre en un jardin pierreux;
Tout cela, puis mourir plus humblement encore,
Pleuré de quelques yeux, mais sans écho sonore,
Sans flambeau qui longtemps chasse l'oubli vaincu,
O mon cœur, toi qui sens, dis est-ce avoir vécu?
Pourquoi non? Et pour nous qu'est-ce donc que la vie?
Quand aux jeux du foyer votre enfance ravie
Aurait franchi déjà bien des monts et des flots,

Et vu passer le monde en magiques tableaux;

Quand, plus tard, vous auriez égaré vos voyages 1,
Mêlé vos pleurs, vos cris au murmure des plages;
Semé de vous les mers, les cités, les chemins;

1 On peut égarer ses pas; mais l'idée de voyage semble exclure celle d'égarer.

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