LXXIV.

Conféquences de ces principes.

Uivant ces principes nous pouvons avancer fans témérité.

SU

I. Que les Anges & les Démons ont fouvent apparu aux hommes; que les ames féparées du corps font fouvent revenuës, & que les uns & les autres peuvent encore faire la même chose.

II. Que la maniere de ces apparitions & de ces retours, eft une chofe inconnue & que Dieu abandonne à la difpute! & aux recherches des hommes.

III. Qu'il y a quelqu'apparence que ces fortes d'apparitions ne font point abfolument miraculeufes de la part des bons & des mauvais Anges, mais que Dieu les permet quelquefois pour des raifons dont il s'eft réfervé la connoiffance.

IV. Que l'on ne peut donner fur cela aucune regle certaine ni former aucun raifonnement démonftratif, faute de connoître parfaitement la nature & l'étendue du pouvoir des Etres fpirituels, dont il s'agit.

V. Qu'il faut raisonner des apparitions en fonge autrement que de celles qui fe

font dans la veille; autrement des apparitions en corps folide, parlant, marchant, bûvant & mangeant, & autrement des apparitions en ombre, ou en corps nébuleux & aërien; enfin que les corps qui reviennent en Grèce, en Hongrie, en Moravie en Silefie, demandent encore une maniere de raifonner différente.

VI. Ainfi il feroit téméraire de pofer des principes, & de former des raifonnemens uniformes fur toutes ces chofes en commun. Chaque efpece d'apparitions demandent fon application particuliere.

L X X V.

Maniere d'expliquer les Apparitions.

LR

Es apparitions en fonge; par exemple, celle de l'Ange qui dit à faint Jofeph de tranfporter l'Enfant Jefus en Egypte, parceque le Roi Hérodes vouloit le faire mourir. Cette apparition renferme deux chofes; la premiere, l'impreffion qui fe fit dans l'idée de faint Jofeph d'un Ange qui apparoiffoit, & la feconde, la prédiction, ou la révélation de la mauvaise volonté d'Hérodes. L'une & l'autre eft au-deffus des forces ordinaires de notre nature, mais nous ne favons pas

fi elie eft au-dessus du pouvoir d'un Ange. Mail il eft certain, qu'elle ne s'eft pû faire que par la volonté, & par l'ordre de Dieu.

Les apparitions d'une ame, d'un Ange, ou d'un Démon, qui fe font voir revêtus d'un corps apparent, & feulement en ombre, & en phantôme, comme celle de l'Ange, qui fe fit voir à Manüé pere de Samfon, & qui s'évanoüit avec la fumée du facrifice, & de celui qui tira faint Pierre de prifon, & difparut de même, après l'avoir conduit le long d'une ruë; ces corps que ces Anges prenoient, & que nous fuppofons avoir été feulement apparens & aëriens, fouffrent de grandes difficultés; car ou ces corps leurs étoient propres, ou ils leurs étoient étrangers & empruntés.

S'ils leurs étoient propres, & que l'on fuppofe avec plufieurs anciens & quelques nouveaux, que les Anges, les Démons & même les ames des hommes, ont une efpece de corps fubtil, tranfparent & aërien, la difficulté confiftera à favoir, comment ils peuvent condenfer le corps tranfparent, & le rendre visible, d'invisible qu'il étoit. Car s'il étoit toujours & de fa nature fenfible & visible, il y auroit une autre efpece de miracle continuel à le rendre in

vifible, & à le dérober à nos fens. Et de fa nature il eft invifible, qu'elle puiffance le peut rendre vifible? De quelque maniere qu'on envifage cet objet, il paroît également miraculeux ou de rendre fenfible ce qui eft purement fpirituel, ou de rendre invifible ce qui eft palpable & corporel.

L X X V I.

Sentiment qui donne aux ames des corps fubtils.

L

Es anciens Peres de l'Eglife, qui donnoient aux Anges des corps fubtils & de la nature de l'air, expliquoient felon leurs principes, plus facilement les prédictions faites par les Démons, & les opérations merveilleufes qu'ils caufent dans l'air, dans les Elémens, dans nos corps, & qui font beaucoup au-deffus de ce que les hommes les plus fubtils ou les plus favans peuvent connoître, prédire, & opérer; que les mauvais Anges caufent des maladies, qu'ils rendent l'air corrompu & contagieux, qu'ils infpirent aux méchans de mauvaifes penfées & des defirs

(a) Aug. lib. de divinatio- | 2. Retrait. c. 3. ne demonmm. c. 3. 4. 5. lib. 1

injuftes, qu'ils pénétrent nos pensées & nos defirs, qu'ils prévoyent des tempêtes & des changemens dans l'air, & des dérangemens dans les faifons. Tout cela s'explique beaucoup plus aifément dans l'hypothefe que les Démons ont des corps compofés d'un air très fin & très-fubtil.

S. Auguftin avoit écrit qu'ils pouvoient auffi découvrir ce qui fe paffe dans notre efprit & dans le fond de nos cœurs, nonfeulement par nos paroles, mais auffi par certains fignes & certains mouvemens extérieurs, qui échappent aux plus circonfpects; mais réfléchiffant fur ce qu'il avoit avancé dans cet endroit, il fe rétracta & avoüa qu'il avoit parlé trop affirmativement fur une matiere fi peu connuë, & que la maniere dont les mauvais Anges pénétrent nos penfées, eft une chofe trèscachée, & qu'il eft très difficile aux hommes de découvrir & d'expliquer. Ainfi il aime mieux fufpendre fon jugement fur cela & demeurer dans le doute.

La maniere dont l'un & l'autre de ces deux effets font produits nous eft également inconnuë. Nous ne comprenons pas comment un Efprit revêtu d'un corps matériel, mais fubtil & aërien, peut condenfer ce corps, l'épaiffir, & le rendre