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& chaque multiplication eft plus courte que celle qui l'a précédée. Nous expliquerons ces faifons dans le Dictionnaire Mytho-Hermétique, qui forme une fuite néceffaire à cet ouvrage. C'eft dans ce fens-là qu'il faut expliquer la durée des voyages d'Oficis, de Bacchus; il faut auffi faire attention que chaque Fable n'eft pas toujours une allégorie entiere de l'œuvre complet. La plupart des Auteurs n'en ont qu'une partie pour objet, & plus communément les deux œuvres du foufre & de l'élixir, mais particulierement ce dernier, comme étant la fin de l'œuvre avant la multiplication, qu'on peut fe difpenfer de faire, quand on

yeut s'en tenir là.

Avouons-le de bonne foi; quand on a lu les hiftoires d'Athamas, d'Ino, de Néphélé, de Phryxus & d'Hellé, de Léarque & de Mélicerte, qui donnerent lieu à la conquête de la Toifon d'or; quand on a réfléchi fur celles de Pélias, d'Efon de Jafon & du voyage des Argonautes; trouve-on dans la tournure même de M. l'Abbé Banier, & dans les explications que ce Mythologue & les autres Savans en ont données, de quoi farisfaire un efprit exempt de préjugés ? Il femble que les doutes fe multiplient à mesure qu'ils s'efforcent de les lever. Ils fe voient fans ceffe forcés d'avouer que telles & telles circonftances font de pures fictions; & fi l'on ôtoit de ces histoires tout ce qu'ils déclarent fiction, il ne refteroit peut-être pas une feule circonftance qui pût raifonnablement s'expliquer hiftoriquement. En voici la preuve. L'hiftoire de Néphélé eft une fable, dit M. l'Abbé Banier, Tom. III. p. 203. Celle du

transport de la Toifon d'or dans la Colchide l'eft auffi, puifqu'il dit : « Pour expliquer des cir» conftances fi visiblement fauffes, les anciens » Mythologues inventerent une nouvelle fable » & dirent, &c. (ibid.) » On ne peut douter que le voyage de Jafon du Mont-Pélion à Iolcos, la perte de fon foulier, fon paffage du fleuve Anaure ou Enipée, fuivant Homere (a), fur les épaules de Junon, ne foient auffi marqués au même coin. On ne croira certainement pas que la navire Argo ait été conftruite de chênes parlans. Prefque tous les traits qui compofent l'histoire des compagnons de Jafon, chacun en particulier, font reconnus fabuleux, foit dans leur généalogie, puifqu'ils font tous ou fils des Dieux, ou leurs defcendans. Il feroit trop long d'entrer dans le détail à cet égard. Voilà ce qui a précédé le départ; voyons la navigation. L'infection générale des femmes de Lemnos, occafionnée par le courroux de Vénus, n'eft pas vraisemblable, en faifant même difparoître le courroux de la Déeffe; ou ce feroit avoir bien mauvaife idée de la délicatelle des Argonautes, qui valoient bien les Lemniens; & loin de faire dans cette Ifle un féjour de deux ans, comment y auroient-ils paffé deux jours? L'abandonnement d'Hercule dans la Troade, qui va chercher Hylas enlevé par les Nymphes; les Géans de Cyzique qui avoient chacun fix bras & fix jambes; la fontaine que la mere des Dieux y fit fortir de sterre, pour que Jafon pût expier le meurtre involontaire de Cyzicus.

(a) Odyf. 1. 1. v.237.

La vifite rendue à Phinée, molesté fans ceffe par les Harpies, chalfées par le fils de Borée, est une fiction qui cache fans doute quelque vérité (a); Pentrechoc des rochers Cyanées, ou Symplegades, eft une fable. (ibid. p. 23 1.) La fixation de ces rochers, la colombe qui y perd fa queue dans le trajet, ne font pas plus vrais. Les oifeaux de Fifle d'Arécie, qui lançoient de loin des plumes meurtrieres aux Argonautes, n'exifterent jamais.

Enfin les voilà dans la Colchide; & tout ce qui s'y paffa font des fables auffi extraordinaires que difficiles à expliquer. (ibid. p. 233.) L'enchantereffe Médée, le Dragon & les Taureaux aux pieds d'airain, les hommes armés qui fortent de terré, les herbes enchantées, le breuvage préparé, la victoire de Jafon, fon départ avec Médée; on peut dire feulement que toutes ces fables ne font qu'un pur jeu de l'imagination des Poëtes. (ibid. p. 235.)

Venons aut retour des Argonautes. Les Poëtes ont imaginé le meurtre d'Abfÿrthe. (ibid. p. 238. ) Les relations de ceretour font extravagantes. Celle d'Onomacrite n'est pas vraisemblable, & celle d'Apollonius l'eft encore moins. (ibid. p. 240.) C'est une fiction, p. 241. Les peuples cités par ces Auteurs font ou inconnus, ou n'exiftoient pas du temps de ces Poëtes, ou font placés à l'aventure. (p. 242) Ce qui fe paffa au lac Tritonide eft un conte fur lequel l'on doit faire peu de fond. (p. 244.) L'hiftoire de Jafon & celle de Médée font enfin mêlées de tant de fictions, qui

(a) M l'Abbé Ban. loc. cit. p. 229,

fe détruifent même les unes & les autres, qu'il eft bien difficile d'établir quelque chofe de certain à leur fujet. (ibid. p. 253.)

Ne doit-on pas être furpris qu'après de tels aveux, M. l'Abbé Banier ait entrepris de donner ces fables pour des hiftoires réelles, & qu'il ait voulu fe donner la peine de faire les frais des preuves qu'il en apporte ? Je ne me fuis pas propofé de difcuter toutes fes explications; je les abandonne au jugement de ceux qui ne fe laissent point éblouir par la grande érudition.

CHAPITRE

II.

Hiftoire de l'enlèvement des Pommes d'or du Jardin des Hefpérides. APRÈS l'histoire de la conquête de la Toison d'or, il n'en eft gueres qui vienne mieux à notre fujet que celle de l'expédition d'Hercule pour fe mettre en poffeffion de ces fameux fruits connus de fi peu de perfonnes, que les Auteurs qui en ont parlé n'ont pas même été d'accord fur leur vrai nom. Les anciens Poëtes ont donné carriere à leur imagination fur ce fujet; & les Hiftoriens qui n'en ont parlé que d'après ces peres des fables, après avoir cherché en vain le lieu ou étoit ce Jardin, le nom & la nature de ces fruits, font prefque tous contraires les uns aux autres. Et comment auroient-ils pu dire quelque chofe de certain fur un fait qui n'exifta jamais?

Il est inutile de faire des differtations pQur favorifer le fentiment de l'un plutôt que de l'autre, puifqu'ils font tous également dans l'erreur à cet égard. C'est donc avec raifon qu'on peut regarder comme des idées creufes & chimériques les explications de la plupart des Mythologues qui ont voulu tout rapporter à l'hiftoire, quelque ingénieufes & quelque brillantes qu'elles foient, & quoiqu'elles aient d'illuftres garans. Je ne fais ici que rétorquer contre les Mythologues l'argument qu'un d'entr'eux (a) a fait contre Michel Majer; l'on jugera fi je fuis fondé à le faire, par les explications que nous donnerons ci-après.

Il ne faut pas juger des premiers Poëtes Grecs comme de ceux qui n'ont été, pour ainfi dire, que leurs imitateurs, foit pour n'avoir traité que les mêmes fujets, foit pour avoir travaillé fur d'autres, mais dans le goût des premiers. Ceux-ci, inftruits par les Egyptiens, prirent chez ce Peuple les fujets de leurs Poëmes, & les travestirent à la Grecque, fuivant le génie de leur langue & de leur nation. Frappés de la grandeur de l'objet qu'ils avoient en vue, mais qu'ils ne vouloient pas dévoiler aux Peuples, ils s'attacherent à let traiter par des allégories, dont le merveilleux excitât l'admiration & la furprise, souvent fans nul égard pour le vraisemblable, afin que les gens fenfés ne priffent pas pour une hiftoire réelle, ce qui n'étoit qu'une fiction; & qu'ils fentiffent en même temps que ces allégories portoient fus quelque chofe de réel.

(a) M. l'Abbé Maffieu, Mémoires des Belles-Lettres, T. II. p. 49.

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