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l'existence d'une agglomération de personnes vivant en communauté distincte, c'est-à-dire d'une maison de ladres.

Naguère en terrassant à la Ferme des pauvres, l'un des derniers locataires exhuma plusieurs squelettes. Regrettons que le fait n'ait pas été signalé aux hommes de l'art qui eussent donné une confirmation lumineuse à notre hypothèse.

Un argument toutefois peut être invoqué par ceux qui à la suite de Dom Du Crocq prétendent que la Ferme des pauvres a été primitivement un asile de nuit pour les ardents et non un pavillon d'isolement pour les lépreux. Cet argument est celui-ci : « Au rôle des rentes du xive siècle, au procès de 1399, au Pouillé du chapitre de Thérouanne de 1425, au compte de 1419 cette institution est appellée « hostellerie » n'est-ce pas là une indication formelle et précise? Non. On aurait tort d'en exagérer la portée.

En effet, en ces mêmes documents, l'asile s'appelle indifféremment maison Saint-Ladre ou hostellerie. Le mot « hostellerie » est donc pris alors dans un sens large. C'est postérieurement l'interprétation littérale et étroite de l'expression qui a donné naissance au préjugé transmis par Dom Du Crocq.

Rien n'empêche après tout que l'établissement ait été les deux à la fois. A ce moment où les voies de communications étaient rares, mauvaises, dangereuses et où la charité chrétienne

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hébergeait « les pauvres trez passans » la Maladrerie a pu contenir une pièce donnant refuge aux lépreux en pèlerinage. En effet, les ladres, plutôt séparés que reclus, sous réserve de certaines précautions pouvaient circuler; et d'ordinaire les maladreries avaient une chambre spéciale ainsi réservée à l'hôte, à l'étranger.

A supposer que la Maison-Dieu ait été une hôtellerie, tout nous démontre qu'elle ne fut point une hôtellerie exclusivement affectée à abriter les ardents. En ce cas en effet l'établissement eut été édifié à proximité de l'église centre du pèlerinage, ou au moins aux abords de la ville. Le comte de Boulogne n'avait à Desvres que l'embarras du choix: Pour des hôtes de passage, point n'eut été non plus besoin de service religieux grandement organisé, d'église particulière. Or sur l'emplacement de l'actuelle Ferme des pauvres, il y eut une église, église assez vaste, église qui subsista jusqu'au XVIIe siècle. Inutile dans une hôtellerie, cette organisation du culte était par contre absolument indispensable en une léproserie. Les pauvres mézeaux ayant défense d'entrer ès églises paroissiales en raison du danger prétendu qu'il eussent fait courir aux autres n'étaient pas privés de secours spirituels. « Partout, avait dit le concile de Latran, partout où il y aura communauté de ladres, il y aura chapelle, chapelain, et cimetière. » Il eut été cruel et impie d'ailleurs de faire autrement. Aussi pour les lépreux des

vrois (1) non seulement la charité privée ou publique avait assuré à chacun sa maisonnette, son mobilier sommaire, son manteau gris, son grand chapeau, des cliquettes et au besoin une besace, mais elle avait construit chez lui, à sa portée et pour son seul usage, une chapelle desservie par un chapelain spécial (2), où il trouvait le secret de ne point trop maudire son sort affreux et de préparer son éternité. C'était là à l'ombre du monument sacré qu'il consumait ses tristes jours, c'était là à sa mort que l'on inhumait le pauvre lépreux, isolé des autres hommes jusque dans la tombe (3).

III

LE PATRIMOINE AU XV SIÈCLE. SON ADMINISTRATION

Faute de pouvoir déterminer dans leurs détails les circonstances d'origine de la Ferme des

(1) La cour de la Ferme des pauvres n'a pas non plus la forme des autres cours de fermes du Boulonnais. L'hypothèse de l'origine à l'usage de léproserie peut trouver là encore un argument.

(2) Le compte de 1419 en témoigne. Me du Wicquet curé de Longfossé était le titulaire.

(3) N'y aurait-il pas un rapprochement à faire entre le mal des ardents et la lépre?

Le jour de la mairie à Desvres était le jour de la Chandeleur. Entre le culte de N.-D. des Ardents et les franchises locales n'y aurait-il pas aussi quelques rapports? Eustache III n'aurait-il pas donné aux Desvrois leur charte.

Ce sont questions que je pose mais que je ne saurais traiter en cette étude. Ma documentation actuelle ne me permettrait point au reste de les solutionner de façon péremptoire.

pauvres, on ne saurait définir de façon précise les rôles respectifs, lors de l'institution de la Maladrerie, des deux seigneurs de la ville, l'un le comte de Boulogne, l'autre l'Echevinage de Desvres. Par contre au XIVe siècle la municipalité desvroise avait sans partage le gouvernement de cette Maison-Dieu.

L'avait-elle à titre de co-fondatrice? L'avaitelle en vertu de sa Charte en conséquence de la part de souveraineté que lui avaient concédée les comtes de Boulogne ? Qui le dira? Toujours est-il qu'en fait l'Echevinage, l'universel Echevinage qui à Desvres réunissait en ses mains tous les pouvoirs seigneuriaux, qui était maître souverain à la fabrique, au tribunal, à l'école, à la mairie; l'universel Echevinage, dis-je, avait toute entière la direction de la Maison-Dieu. L'influence ecclésiastique n'intervenait en rien dans cette gestion. Seul l'élément communal remplissait tous les rôles.

En certaines circonstances exceptionnelles les édiles desvrois trouvaient-ils la responsabilité lourde? s'agissait il de mesures sérieuses à prendre, de gros procès à engager, qui était consulté ? Le comte de Boulogne? Nenni. L'évêque de Thérouanne ? Point encore. Le Bailli de Desvres, représentant de l'autorité supérieure? Pas même. Le « comun » c'est-à-dire le corps ou la masse des bourgeois de la cité, voilà l'arbitre, l'unique arbitre invoqué, à l'auto

rité exclusive duquel était remise la solution des difficultés.

Jacques de Parenty, argentier de la ville, ayant eu en 1419 à couvrir des frais considérables, qui mandata la dépense? le compte de l'année le dit : << sur l'ordonnance de MM. maïeur, et eschevins, et comun de la ville ». L'assentiment du corps électoral avait force de loi.

Gouverneur en droit de la Maladrerie, l'Echevinage l'administrait-il directement? Non. Il se déchargeait de la gestion sur un <<<< maistre » nommé par lui et choisi parmi ses membres à qui « on bailloit à compagnon » un autre collègue. La municipalité gardait contrôle sur eux et au bout de l'an apurait leurs comptes. Toutes garanties étaient ainsi assurées pour que les finances de l'hôpital fussent confiées à des mandataires au-dessus de tous reproches.

Ces fonctions de gouverneurs et de maîtres de la Maladrerie les titulaires les remplissaient-ils à titre gracieux ? Oui. Outre l'honneur de leurs fonctions le seul avantage appréciable (1) qu'ils aient paru en tirer furent les régalades en vins ou repas, que les magistrats municipaux s'octroyaient assez volontiers, en indemnité du temps qu'ils consacraient au soin de la chose publique. Comme nos parlements d'aujourd'hui le petit parlement desvrois avait sa buvette. En 1419

(1) L'indemnité allouée au compte 1419 pour la rédaction des comptes est en effet bien peu élevée.

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