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Or, à la date de 1665, existait depuis peu d'années dans la haute ville, sur la place de la Mairie, au coin de la rue Guyale, une librairie qu'avait montée là un étranger, d'origine auvergnate, du nom de PIERRE BATTUT. Son petit commerce prospérait et, s'étant marié avec une fille du pays, Jeanne Druelle, il paraissait appelé à s'y fixer définitivement.

En gens avisés, les membres du Chapitre de l'église Notre-Dame de Boulogne et l'évêque qui dirigeait à la fois l'exercice religieux et l'instruction publique dans tout le diocèse — s'étant vus maintes fois gênés pour les impressions dont ils faisaient usage, crurent trouver en Battut, leur libraire, l'homme qu'il leur fallait pour monter une imprimerie dans la ville. On entreprit de le décider et on offrit même de l'aider pécuniairement pour l'achat du matériel et son instal

lation.

Il y avait d'ailleurs ici, capitale d'une province, des administrations qui pouvaient apporter à l'établissement projeté un sérieux appoint. A côté de l'Evêché, se trouvaient l'Echevinage, la Sénéchaussée, l'Amirauté. De même, le grand Collège de l'Oratoire, des couvents, des corporations. Le commerce de la place, qui se développait chaque jour davantage, y aurait puisé des facilités appréciables. L'affaire fut donc tentée et elle finit par réussir. Aussi vit-on bientôt Pierre Battut prendre tour à tour le titre d'imprimeur de Mgr l'Evêque, de la Sénéchaussée, du Magistrat, etc., selon que les travaux sortant de sa presse intéressaient l'un ou l'autre des corps constitués du pays.

Par prudence, l'établissement fut d'abord assez mesquin, à tel point qu'on dut, en 1681, s'adresser à Paris, chez Claude Audinet, pour la première édition de l'Histoire de Notre-Dame de Boulogne. Il était vraiment fâcheux de ne pouvoir profiter de pareille au

baine et puis c'était humiliant vis-à-vis des confrères étrangers. Cependant Pierre Battut s'était déjà à l'époque, distingué par d'autres travaux, mais de moindre importance; il avait aussi été autorisé (1675), en raison de services rendus, à ouvrir un caveau sous. le marché, au devant de sa maison, avec jour sur la chaussée, dans le but de s'agrandir.

Une fois définitivement outillé et installé, l'imprimeur Boulonnais put satisfaire à toutes les commandes. Les affaires allèrent en s'élargissant et la situation se maintint excellente jusqu'en 1712. Cette date est celle du décès de Pierre Battut, qui s'éteignit le 8 mars, étant veuf et octogénaire, après quarantesept années d'exercice. Il s'était marié deux fois et avait eu onze enfants qui continuèrent sa lignée.

Son fils aîné, du même prénom de Pierre, né à Boulogne le 12 avril 1665, lui succéda. Le brevet d'imprimeur était depuis longtemps un privilège, qu'un arrêt royal du 21 juillet 1704 venait de réglementer, mais il ne restait pas héréditaire dans la famille préférence était seulement laissée aux veuves. Il fallait donc une nouvelle autorisation à chaque transfert, soit par décès, par démission ou retrait. C'est ce qui eut lieu à l'avènement de BATTUT (Pierre IIe). Celui-ci fut titulaire pendant vingt-sept ans, jusqu'en 1739. Il s'était marié le 26 novembre 1709 avec une boulonnaise de la paroisse Saint-Nicolas, Jeanne Leclercq, décédée avant lui. De cette union, il lui restait deux fils et deux filles.

Les choses se modifièrent encore justement en 1739, le 31 mars. Non seulement on limita alors le nombre des imprimeries en France (Calais se trouve parmi les localités où elles furent supprimées), mais on régla à

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nouveau les conditions d'admissibilité, l'exercice de la profession et le contrôle plus sérieux dont elle serait l'objet.

En cette occurrence, Pierre II', déjà vieux et infirme, crut devoir démissionner (17 juin), en recommandant son fils ainé (encore un Pierre), qui dirigeait la maison depuis huit à neuf ans, comme son successeur, lequel présenta en même temps sa demande à la Chancellerie, qui ordonna le 26 juin une enquête confiée à l'Echevinage, le chargeant d'apprécier les titres des divers candidats à l'emploi vacant et de donner son avis sur le choix à faire.

Le futur imprimeur avait joint à sa demande, selon l'usage, son acte baptistaire (19 avril 1911), une attestation du curé de la paroisse comme quoi il avait été élevé et instruit dans la religion catholique, apostolique et romaine, dont il était un zélé pratiquant : aussi des certificats de l'Evêque, du Lieutenant général et du Procureur du Roy à la Sénéchaussée, et encore du Mayeur constatant qu'il était en même temps de bonnes vie et mœurs, et très capable de remplir les devoirs de sa profession: enfin, celui du Préfet des études au collège de l'Oratoire portant qu'il y avait fait toutes ses humanités.

Sa nomination était certaine, quoiqu'il eut un concurrent assez sérieux appelé Buttel (1), qui avait été de métier et exerçait à Boulogne depuis quelque temps l'état de relieur; mais celui-ci ayant reconnu qu'il était juste de donner la préférence au fils Battut, sollicitait seulement, en attendant, la permission du commerce de librairie, ce qu'essaya de combattre son plus heureux confrère, qui du reste lui promettait de lui donner de l'occupation pour la reliure.

(1) BUTTEL (Charles Adrien), était né à Etaples le 31 août 1710 et avait fait toutes ses études à Boulogne.

La commission en faveur de BATTUT (Pierre IIIe du nom) est du 14 septembre 1739 (voir appendice A). Son vieux père expirait dans l'intervalle, le 25 août, en sa soixante-quinzième année. Chose bizarre, ce successeur ne prêta serment que le 24 novembre 1747, soit huit ans plus tard. La formalité avait-elle été omise, ou les pièces non relevées au Registre de réceptions des corps de métiers ? Etant souffrant, l'intéressé aura réclamé pour l'avenir de son frère, toujours est-il que c'est en cette dernière date qu'on régularisa l'acte officiel de serment, en le faisant précéder de l'arrêt du Conseil de l'Etat et de la Commission qui sont de 1739. Cette circonstance aurait pu nous faire perdre la trace de ces documents de premier ordre.

Chez le nouvel imprimeur, qui restait toujours libraire (il y en avait deux), les affaires continuèrent à être prospères; mais ce troisième titulaire dans la famille resta célibataire et mourut jeune, à peine quarante-deux ans, le 4 février 1752, n'ayant dès lors été patron que pendant treize ans. L'établissement était libre de nouveau.

A la mort de Pierre III, son successeur était tout désigné. Un unique frère, Charles BATTUT, de douze ans plus jeune, l'avait déjà suppléé pendant sa maladie, il se présenta et fut agréé, non sans avoir passé par toutes les formalités possibles qui durèrent sept mois l'arrêt du Conseil d'Etat est du 4 septembre 1752, et la Commission royale du 23 suivant (voir appendice B).

Charles Battut n'avait pas alors trente ans (l'acte de baptême est du 11 mai 1723); il ne fournit pourtant pas une aussi longue carrière que son frère et son aïeul, étant décédé dans sa cinquante-septième année, le 14 août 1781.

C'est la période la plus florissante de l'établissement. Le temps avait marché : l'imprimerie était devenue un besoin, la librairie commençait à prendre son essor, les fournitures classiques et de bureau y apportaient un appoint important, avec l'extension du commerce et la marche plus compliquée des institutions. D'ailleurs le Prélat qui siégeait à Boulogne, Mgr de Partz de Pressy, grand écrivain ecclésiastique, ne laissait pas chômer les presses de Battut. La fortune était venue récompenser les efforts constants du dernier titulaire et couronner l'oeuvre commune.

Déjà, en 1763, Charles Battut avait modifié et agrandi, son immeuble, tout en rectifiant l'alignement de la façade et construisant un escalier commode pour conduire aux sous-sols. Les archives communales possédent le projet, avec plan à l'appui, de ces améliorations, qui devaient aussi comporter une fontaine à l'angle et donner à la place une plus grande uniformité architectonique.

En 1781, l'imprimerie Battut prenait donc fin et passait en d'autres mains, car le détenteur du dernier brevet était, comme son aîné, resté célibataire, et de la branche il ne restait que des filles. Cette première imprimerie boulonnaise avait eu ainsi une durée totale de cent seize ans, pendant laquelle s'étaient succédés quatre titulaires de la même famille et du même nom comportant trois générations. C'est là un cycle plus que séculaire vraiment remarquable!

Encore un mot sur l'imprimeur Charles Battut, le dernier en date du nom. Cet industriel était doublé d'un philanthrope. Par son testament du 7 juillet 1781, il laissait, entre autres donations, aux Frères des Ecoles Chrétiennes, - les seuls éducateurs du peuple à l'époque, les rentes d'un capital de 12.000 livres,

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