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annoncer un dénouement différent de celui auquel on s'attendoit.

Enfin la catastrophe: c'est le moment où tous les obstacles étant vaincus, l'intrigue reprend sa première marche, & termine naturellement la pièce.

Voilà en abrégé le plan qu'Aristote nous indique, & qui n'a, comme on le voit rien de commun avec la division en cinq actes. Néanmoins cette dernière règle étoit déjà si bien établie du temps d'Horace, qu'il la recommande comme indispensable, même pour la Comédie.

Nous ne nous étendrons point ici sur tous les autres principes d'un Art aussi difficile qu'illimité: il nous suffit d'avoir montré que ces principes n'ont jamais été regardés par les anciens, comme absolument nécessaires à la composition théatrale, & que leurs Auteurs n'ont pas craint de s'en écarter, lorsque cette contrainte pouvoit arrêter l'essor de leur génie.

Que les détracteurs de la scène Angloise cessent donc de reprocher aux Auteurs de

cette

cette Nation, d'avoir sacrifié trop souvent dans leurs compositions dramatiques, l'ordre & la régularité du plan, à la beauté des situations, à l'énergie des caractères : on leur répondra que cette erreur, si ç'en est une, leur est commune avec les plus grands hommes de l'antiquité. Soit qu'imitateur trop scrupuleux des anciens, ·les Auteurs Anglois aient voulu copier jusqu'à leurs défauts; soit que par une suite de cet esprit d'indépendance qui leur est particulier, ils aient négligé des préceptes qui semblent asservir l'imagination, ils se sont créé des règles analogues au goût de leurs spectateurs.

Le grand Corneille lui-même, le réformateur & le père de la scène Françoise, semble avoir voulu excuser les licences théatrales des Anglois, lorsqu'il s'exprime en ces termes : « Il est facile aux spécu» latifs d'être sévères, dit-il; mais s'ils >> avoient donné, comme moi, une dou» zaine de pièces au Public, l'expérience » leur auroit appris combien toutes ces

e

» règles contraignent le génie & limitent » son essor, & de combien de beautés » elles privent notre scène ». En effet si malgré cette contrainte, Corneille enfanta des chefs-d'œuvre, de quoi n'eût-il pas été capable, s'il avoit osé s'affranchir entièrement des loix qui lui étoient imposées? Et il ne faut pas douter que cet illustre Poëte n'eût secoué plus d'une fois le joug des règles théatrales, s'il avoit cru servir en cela le goût des spectateurs François. Car le premier, l'unique but d'un Auteur dramatique doit être de plaire à la Nation pour laquelle il écrit ; & voilà sans doute le motif qui a empêché jusqu'à présent les Poëtes Anglois de corriger leur Théatre du défaut qu'on lui reproche. Ils n'ignorent pas les règles d'Aristote: ils ont réformé leur scène sur plusieurs points, ils en ont banni les absurdités; mais ils n'ont pas encore adopté les trois unités comme une règle indispensable. Ils s'y soumettent lorsqu'elle convient au plan de leur ouvrage; mais ils s'en écartent

sans scrupule, lorsqu'ils ne peuvent l'appliquer sans inconvénient.

Ce qui prouve que les Auteurs Anglois n'ignorent pas les règles théatrales & les avantages qui en résultent lorsqu'elles peuvent être adaptées au goût de leur Nation, c'est que, malgré leur admiration pour le génie brillant de Shakespear; ils ont été les premiers à blâmer les écarts qui dégradent en quelque sorte les ouvrages de ce célèbre Ecrivain. Dryden ne craint pas de dire en parlant de cet Auteur,` « que le sublime est étouffé chez lui par >> le trivial, & que ses drames historiques » sont un assemblage monstrueux d'évé»> nemens arrivés dans l'espace de trente » ou quarante années d'un même règne, » entassés sans ordre & sans goût dans » un sujet de trois ou quatre heures de » représentation; que ce n'est plus peindre » la nature avec ces traits hardis qui la » distinguent, mais que c'est en faire une » foible miniature; que cependant, malgré » ces défauts, les ouvrages de cet illustre

>> Auteur renferment assez de beautés pour >> l'immortaliser ».

Nous remarquerons en passant, que c'est une erreur assez généralement répandue en France, de croire que Shakespear a été le législateur & le père de la scène Angloise. Il est certain néanmoins qu'il partagea ce titre avec d'autres Auteurs ses contemporains, tels que Ben-Johnson, &c. Aussi pendant le règne de Charles II, soit qu'on préférât les productions licentieuses de ce temps-là, soit soit que les Directeurs des Théatres n'eussent pas assez de connoissance pour apprécier le mérite de Shakespear, les pièces de cet Auteur. furent très-négligées; elles continuèrent même à rester dans une espèce d'oubli, jusqu'à l'époque où les talens de M. Garrick leur donnèrent, pour ainsi dire, une nouvelle existence.

Ce célèbre Acteur les corrigea, & les fit représenter dépouillées d'une grande partie de leurs défauts. D'un autre côté, les Dames Angloises, animées par un zèle

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