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ici, que M. de Turenne avoit été attaqué par beaucoup de gens qui trouvoient à redire qu'il n'avoit pas été chercher les ennemis au fond de l'Allemagne pour les combattre, ou tout au moins pour les empêcher de faire un pont fur le Rhin.

&

Je fçai bien que ces fortes de difcours n'auront trouvé chez vous aucun credit, que la raifon qui vous perfuadera davantage pourquoi M. de Turenne n'a pu tenter aucune de ces entreprises, eft qu'il ne l'a pas fait. Quoique vous n'ayez pas eu lieu de l'aimer, vous l'eftimez assez pour en juger ainfi : mais outre cela je serai bien-aife de vous dire ce que j'en fçai, & ce que j'ai vû.

M. de Turenne n'a dû raisonnablement avoir devant les yeux autre objet que de conferver les Alliez du Roi & fes conquê tes, & ruiner les deffeins que les ennemis pourroient avoir au contraire.

Je vous ai ci-devant écrit comme M. de Turenne ayant fçu la contremarche des ennemis auprès de Vezel, & l'inten tion qu'ils avoient de venir à Coblens ou fur le Rhin, avec quelle promptitude il fir un pont fur la Roëre,& fe vint mettre vis à vis de Cologne avançant la tête de fes troupes fur le chemin de Coblens, pour fi

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xer l'efprit vacillant de l'Electeur de Tres ves, & pour être à portée d'empêcher les ennemis de former aucun deffein de ce côté là ; & comme cette diligence obligea M. de Brandebourg de fe porter auprès de Francfort, pour fe couvrir du Mein, en cas que M. de Turenne le voulût fuivre. Il est vrai que nous laifsâmes paifiblement M. de Brandebourg auprès de Francfort plus d'un mois ; & c'eft fur ce repos particuliérement qu'on attaque M. de Turenne; mais ces gens-là n'ont jamais conduit d'armées, ou ignorent tout-à-fait la carte, s'ils ne içavent pas qu'entre Cologne & Francfort il y a trente lieues de montagnes ou de défilez, où il n'eft pas poffible de mener des équipages fans les ruiner les grandes armées ne fubfiftant fans pain ni fans bagage. Comment traîner du canon dans des rochers inacceffibles, & comment faire des magazins de bled dans les lieux dont les habitans, quoique dans une neutralité apparente, ne penfoient pourtant qu'à favorifer des gens de même nation qu'eux, & à incommoder ceux du parti contraire? En verité ces fortes d'objections font de celles qui ne méritent aucune réponse; & je croi qu'il faudroit dire à ces critiqueurs, ce que le Cardinal

Mazarin disoit à un importun qui l'entre tenoit malgré lui: No t afcolto.

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Mais revenons un peu à ce qui eft de fait, & éxaminons le repos de M. de Turenne à Vit ick. Si-tôt qu'il fçut que M. de Brandebourg avoit paffé le Mein &c qu'il faifoit faire un pont fur le Rhin auprès de Mayence, & que les Efpagnols donnoient toutes leurs troupes au Prince d'Orange qui avoit tiré tout ce qu'il avoit pu des armées d'Hollande, & qu'il s'approchoit par le Brabant de la Meufe ; il jugea qu'ils pouvoient avoir deffein de fe joindre vers Treves; & comme il n'eût pas été agréable d'avoir fur les bras après fept mois de campagne une armée de qua rante mille hommes, il réfolut de fe mettre promptement entr'eux pour les com battre féparément, & pour les empêcher de fe joindre. Il eft vrai que fa bonne for tune, jointe à fes foins infatigables, le fervit à propos; car quoiqu'il eût envoyé de toutes parts inutilement pour avoir des bâteaux, heureufement il en paffa quinzé que des Marchands faifoient remonter le Rhin, & il fe détacha d auprès de Coblens une flote de planches, & de poutrelles qui lui donnerent moyen d'achever fon pont en huit jours, qui fans ce fecours eût à pei

ne été fait en quinze. Il fit donc promptement paffer fon armée, ne laiffant que trois mille hommes de pied pour garder le Fort qui couvroit fon pont, qu'il avoit bien garni de canon, & de toutes les provifions néceffaires, & fe vint pofter à Vitlitk, où il apprit par les coureurs que deux mille chevaux du Princed Orange étoient venus le jour précedent à fept heures de là,qui ayant fçu la marche de M.de Turenne, s'étoient contentez d'en porter la nou velle à M. de Brandebourg par deux cent chevaux, & s'étoient retirez & leurs gens auprès de la Meufe ; & certes M. de Brandebourg avoit grande raifon de croire indubitable le projet de fa jonction au Prince d'Orange, puifqu'on ne pouvoit s'imaginer que M. de Turenne n'ayant pas le premier bateau, pût en huit jours faire un pont, en ayant, lui pour faire le fien, employé quinze avec le fecours des villes de Francfort, de Mayence & de Vorms, qui lui avoient abondamment fourni toutes les chofes néceffaires. Monfieur de Brandebourg fut donc obligé de retirer quatre mille chevaux qu'il avoit déja avancez à Cootzenathk & lui & le Prince d'Orange fe virent réduits, comme des gens qui fe Doyent, à fe prendre à toutes chofes, & à former

former mille projets inutiles dont aucun ne leur réuffit.

M. de Brandebourg envoya trois mille Chevaux, & mille Dragons pour brûler nôtre pont du Rhin : mais plufieurs volées de canon du Fort qui leur tuerent affez de gens, & même des Officiers, & deux efcadrons de Cavalerie qu'ils virent fous le Fort, leur firent faire une retraite, qui avoit tout l'air d'une fuite honteufe & précipitée. Le Prince d'Orange paffa inutilement & repaffa deux fois la Meufe tenta le fiege de Tongres, & vint enfin échouer à Charleroy.

M. de Brandebourg voyant qu'il ne pouvoit rien entreprendre contre M. de Turenne, crut trouver mieux fon compte avec M. de Cologne, & avec M. de Mun-fter qu'il ravageroit impunément leur. pays, qu'il y raccommoderoit fes troupes ;. que rien ne l'empêcheroit de donner la. main aux Hollandois par la Frife, & que cette marche rétabliroit l'honneur de leur parti de forte qu'ayant défait fon pont du Rhin, & repaffé le Mein, il reprit à peu. près le même chemin par où il étoit venu, & fe vint mettre au tour de Paderborn &. de Lipftam. M. de Turenne fçachant cet-te marche, vit de quelle conféquence.il és Tome IV..

B.

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