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XVII.

qui font nées, pour ainsi dire, avec nous, & qui ont coulé MERCURIALE. dans nos veines avec notre fang? Faut-il que le Plaideur attentif à étudier le caractere de fes Juges, puiffe quelquefois y lire par avance la deftinée des Jugements; & qu'il y life au moins avec vraisemblance, fi ce n'eft pas toujours avec vérité ? Une dureté naturelle arme le cœur de ce Magiftrat;. il se déclarera fans effort, & peut-être fans mérite pour la rigueur de la loi. Un efprit plus humain & plus facile fe retracera lui-même dans fes avis, & il fera céder fans peine la juftice à l'équité. Celui qui eft févere dans fes mœurs, fera fans miféricorde pour des foibleffes qu'il n'a jamais éprouvées; mais le Magiftrat qui les a fenties plus d'une fois, aura auffi plus d'indulgence pour les foibles. Il excufera & peut-être il aimera en eux fes propres défauts; & pourroit-il fe réfoudre à punir dans les autres, ce qu'il se pardonne tous les jours à lui

même ?

A la vue de ces différents caracteres de ceux qui tiennent fon fort entre leurs mains, le Plaideur inquiet conçoit des craintes & des espérances, mais comment pourroit-il observer le cours irrégulier de ces préventions foudaines qui naiffent en nous de la fituation même où chaque moment nous trouve?

Du fond de notre tempérament il s'éléve quelquefois, dirons-nous un nuage, ou pour parler plus clairement, une humeur tantôt douce & légere, tantôt farouche & pefante, qui change en un moment toute la face de notre ame. Les divers événements de la vie y répandent encore une nouvelle variété. Un mouvement de joye nous dispose à accorder tout, un mouvement de trifteffe nous porte à tout refufer. Il est des jours clairs & fereins dont la lumiere favorable embellit tous les objets à notre vue. 11 en eft de fombres & d'orageux où une horreur générale semble succéder à cette douce férénité. Parlons fans figure, il eft, fi nous n'y prenons garde, des jours de grace & de miféricorde, où notre coeur n'aime qu'à pardonner; il eft des jours de colere & d'indignation où il femble ne fe plaire qu'à punir; & l'inégale révolution des

le

mouvements de notre humeur, eft fi impénétrable, que Magiftrat étonné de la diverfité de ses Jugemens, fe cherche quelquefois, & ne fe trouve pas lui-même.

L'éducation qui devroit effacer les préventions du tempérament, & nous préferver de celles de l'humeur, y en ajoute quelquefois de nouvelles.

Ceux qu'on a laiffés croître prefque fans culture, à l'ombre de la Fortune de leurs peres, font ordinairement prévenus en faveur des lumieres naturelles, & dédaignent le fecours des lumieres acquifes. Ne pouvant s'élever jufqu'au rang des Sçavants, ils veulent les faire descendre jufqu'à leur degré, & pour mettre tous les hommes au niveau de leur ignorance, ils réduisent la Justice à ne prononcer que fur des faits, & renvoyent toutes les queftions de Droit à l'oifiveté de l'école.

Des efprits mieux cultivés fe flattent d'être plus heureux dans la recherche de la Vérité: mais la science a fes préventions, & quelquefois plus que l'ignorance même. Moins occupé de ce qui eft que de ce qui a été, le Magiftrat fçavant s'accoutume à décider par mémoire plutôt que par jugement, & plus attentif au droit qu'il croit fçavoir, qu'au fait qu'il devroit apprendre, il travaille bien moins à trouver la décision naturelle, qu'à juftifier une application étrangere.

Nos préventions ne feroient pas néanmoins fans remede, fi nous pouvions toujours les appercevoir; mais leur trahifon la plus ordinaire eft de fe cacher elles-mêmes. Il n'en eft presque point qui n'ait au moins une face favorable, & c'est toujours la feule qu'elle nous préfente. Notre amour propre s'applaudit d'avoir entrevu la Vérité, & il fe contente de l'entrevoir; il fçait même nous intéreffer au fuccès de nos préjugés, & pour les rendre fans remede, il les met fous la protection de notre Vanité. Ce n'eft plus la Cause du Plaideur, c'eft celle de notre efprit qui nous occupe; le Magiftrat oublie qu'il eft Juge, il plaide pour lui-même, & il devient le défenfeur, & pour ainfi dire, l'Avocat de fa prévention.

C'est alors que fa raison n'a point de plus grand ennemi que fon efprit. D'autant plus dangereux qu'il y a plus de lumieres,

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XVII.

MERCURIALE.

il s'éblouit le premier, & bientôt il éblouit auffi les autres. Son mérite, fa réputation, fon autorité ne fervent fouvent qu'à donner du poids à fes préventions. Elles deviennent, pour ainfi dire, contagieufes; & la Juftice est réduire à redouter des talents qui auroient dû faire fa force & fon appui.

Le dirons nous enfin ? C'est peu d'abufer de l'efprit du Magiftrat. Habile à changer toutes nos vertus en défauts, le der

nier effort de la Prévention eft de faire combattre la Probité même contre la Juftice.

Ennemi déclaré du Vice, l'homme de bien le cherche quelquefois où il n'eft pas. Aveuglé par une prévention vertueufe, il croit que fa confcience eft engagée à attaquer tous les fentiments des Magiftrats dont la probité lui eft devenue suspecte, & l'on diroit qu'il fe forme entr'eux & lui une espece de guerre de Religion. Il les a furpris quelquefois dans l'injuftice, & ç'en eft affez pour les croire toujours livrés à l'Iniquité. Il femble qu'ils portent malheur au bon droit, quand ils le foutiennent, & que la vérité devienne menfonge dans leur bouche, prévention dont les yeux les plus droits ont été fouvent éblouis. Ariftides même ceffe d'être jufte, lorsque Thémistocles fe déclare pour la Juftice, & l'ami de la Vérité paffe dans le parti de l'Erreur; parce que le partifan ordinaire de l'Erreur a paffé par hazard ou par intérêt, dans celui de la Vérité.

Heureux donc le Magiftrat, qui fagement effrayé des dangers de la Prévention, trouve dans fa frayeur même fa plus grande fûreté, & rend fon ennemi moins redoutable, parce qu'il le craint.

Il n'attend pas que l'illufion des objets extérieurs ait pénétré jufques dans la partie la plus intime de fon ame; & pour en prévenir la surprise, il les arrête, pour ainfi dire, fur la premiere furface. C'eft-là qu'il les dépouille de toutes ces apparences trompeufes, que la Fortune, que nos paffions, que nos fens y attachent: & que leur ôtant ce fard ajouté qui les déguise, il les oblige à fe montrer à lui dans la premiere fimplicité de la Nature,

Plus timide & plus défiant encore à l'égard des ennemis domeftiques, il fonde tous les fentiments de fon cœur, & il pefe toutes les penfées de fon efprit. Eans le calme des Paffions & dans le filence de l'Imagination même, il parvient à cette tranquillité parfaite, où loin des nuages de la prévention, une raifon épurée découvre enfin la pure vérité; il se défie même de cette ardeur impatiente de la connoître, qui devient quelquefois la prévention de ceux qui n'en ont point d'autre. Il fçait que le vrai qui fe dérobe prefque toujours à l'impétuofité de nos jugements, ne fe refuse jamais à l'utile pefanteur d'une raison modeste qui s'avance lentement, & qui paffe fucceffivement par tous les degrés de lumiere dont le progrès infenfible nous conduit enfin jusqu'à l'évidence de la Vérité.

Docile à toutes fes impreffions, il n'aura pas moins de plaifir à les recevoir qu'à les donner. La main la plus vile lui deviendra précieuse, lorsqu'elle lui montrera la Vérité; & content du bonheur de l'avoir connue, il renoncera fans peine à l'honneur de l'avoir connu le premier.

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XVII. MERCURIALE.

* M. le Pré

C'est ce goût & cette docilité pour le vrai qui a fait le caractere de ce vertueux Magiftrat*, que fa droiture naturelle, candeur, fa noble fimplicité dans la feconde place de cette fident de BailCompagnie, feront toujours regretter aux gens de bien, Les leul. fouhaits qu'il avoit faits en mourant, & qu'il avoit confiés à des mains auffi généreufes que fideles, ont été exaucés. L'héritier de fon nom eft devenu par la bonté du Roi, le fucceffeur de fa Dignité. Heureux, s'il peut y faire revivre un jour les vertus de fes Peres, & y mériter comme eux, la confiance, nous pouvons dire même la tendreffe d'une Compagnie qui ne chérit que la vertu !

XVIII. MERCURIALE.

XVIII. MERCURIALE.

NOU

DE LA DISCIPLINE.

Prononcée à Pâques, 1715.

VOUS ne craindrons point de faire dégénérer la Censure en un éloge trop flatteur, fi nous appliquons à ce Sénat augufte ce qu'un Hiftorien vraiment digne de la Majesté Romaine, a dit autrefois de fa République*, qu'il n'y en a jamais eu qui ait confervé plus long-temps fa grandeur & fon innocence; où la pudeur, la frugalité, la modeftie, compagnes d'une généreufe & refpectable pauvreté, ayent été plus longtemps en honneur ; & où la contagion du luxe, de l'avarice & des autres paffions qui accompagnent les richeffes, ait pénétré plus tard, & fe foit répandue plus lentement.

La févérité de la Discipline avoit élevé cette Grandeur vertueufe, qui s'eft foutenue pendant tant de fiecles. L'affoibliffement de la Discipline a commencé à l'ébranler. Les mœurs se font relachées infenfiblement; & par les mêmes degrés la Dignité s'eft avilie, jufqu'à ce que la décadence entiere de la Difcipline ait fait voir enfin ces temps malheureux où les hommes ne peuvent plus fouffrir ni les maux, ni les remedes.

Ainfi parloit des Romains un dés plus grands Admirateurs de leur République. Ainfi ofons-nous parler au Sénat par le zèle même que nous avons pour fa gloire. Heureux fi nos paroles pouvoient faire fentir toute l'ardeur de ce zèle dans un difcours où nous fouhaitons de parler au cœur beaucoup plus qu'à l'efprit! En vain nous regrettons fouvent l'ancienne dignité du Sénat; en vain nous aspirons à la rétablir, fi le renouvellement

* Nulla unquam Refpublica nec major, nec fanétior, nec bonis exemplis ditior fuit,nec in quam tàm ferò avaritia luxuriaque immigraverint, nec ubi tantus ac tandiù paupertati ac parfumonia honor fuerit, Tit. Liv. Hiftor. Lib. I.

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