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heureux dont il étoit la reffource & l'appui, à tant d'affligés dont il étoit la confolation, à tant de pauvres dont il étoit le pere, à tant de Sçavants dont il étoit la lumiere, à tant de Magiftrats dont il étoit le confeil & le modéle, à tant de Tribunaux dont il étoit l'oracle & le reftaurateur.

Sa perte fera une fource éternelle de larmes, comme sa vie a été une fource inépuisable de bienfaits & d'instructions. Les grands Hommes, qui, comme lui, honorent l'Humanité, font des dons précieux du Ciel, mais qu'il fait fi rarement à la terre, qu'on ne peut trop en déplorer la perte; fes actions du moins ne périront jamais, & fes rares qualités feront immortelles; fon nom eft écrit au Livre de vie, & les monuments de fon vaste génie, & de fon cœur vraiment jufte & pieux, feront toujours gravés dans l'efprit des François. Oui, MESSIEURS, il vit encore & il vivra toujours dans ce Royaume, par le fouvenir de tant de vertus, par les heureux fruits de fon érudition & de fes talents, par les Ordonnances & les Réglements qu'il nous a laiffés, & par ce tiffu d'actions toujours confacrées à la félicité publique. Il vit dans fes enfants qui courent fi rapidement fur fes traces, & dans ces Magiftrats qu'il a formés pendant le cours d'une filongue vie. Il vit dans le cœur de ce grand Prince, fi jufte appréciateur du mérite du cœur & de l'efprit. Il vit enfin dans fa propre mémoire, & fon nom feul imprime toujours le même amour, la même confiance, la même crainte & le même refpect. Oui, MESSIEURS, ce feul nom fait encore l'office de la voix; à fon nom, les Juges apperçoivent le flambeau qui doit les éclairer, les Magiftrats fe rappellent leurs devoirs, le Confeil fe détermine; à ce nom frémiffent la chicane, l'injustice, la licence, l'impiété, & tous ces monftres qu'il a combattus & terraffés pendant fa vie; cher à la Vertu, à la Religion, à la Juftice, aux Sciences & aux Arts, ce nom fera à jamais une leçon continuelle de piété, d'équité & d'attachement à tous les devoirs.

Que tous les Magiftrats faffent donc leur étude la plus chere de ses exemples; qu'ils confultent fes ouvrages, qu'ils Tome I.

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pénètrent l'efprit de fes Loix, qu'ils lifent l'hiftoire de fa vie, ils apprendront à bien vivre, à aimer la Justice, à fervir l'Etat, à payer à leur Souverain ce tribut d'amour & de respect fi légitimement dû à un Roi bien aimé, à remplir enfin avec dignité & utilité toutes les fonctions de la Magiftrature. Qu'ils fe rendent en foule à fon tombeau, ils n'y verront ni ces maufolées fuperbes, ni ces titres faftueux de la vanité humaine; ils y verront fes cendres dépofées au milieu de celles des pauvres, à côté de celles de fa vertueuse épouse; & ils y trouveront pour tout ornement le fouvenir de toutes ces vertus éminentes qui avoient ombragé fon berceau, & qui croiffant avec fes années, ont décoré d'une maniere fi éclatante tout le cours de fa vie. Qu'à la vue de ces cendres fi dignes de vénération & de respect, ils réuniffent leurs vœux pour obtenir du Ciel que fes grands projets pour le rétabliffement de l'empire de la Justice & de l'éclat de la Magistrature, foient continués, & qu'une longue paix mette ceux qui ont le bonheur d'en être dépofitaires, comme de fes penfées, en état d'employer le précieux tréfor de tant d'excellents matériaux qu'il leur a laiffés; que femblables à leur pere, ils comptent leurs jours par de tels bienfaits; que, comme lui, ils établiffent leur gloire fur le bonheur des Peuples, & que mettant à profit la jufte confiance qu'ils méritent, ils achevent ce qu'il avoit commencé, & faffent toujours admirer le regne d'Aftrée, fous celui de LOUIS le Bien-aimé.

ÉLOGE

DE M. LE CHANCELIER

D'A GUESSEAU,

Qui a remporté le Prix de l'Académie Françoise en 1760, par M. THOMAS, Profeffeur en l'Univerfité de Paris, au Collège de Beauvais.

L fut un temps parmi nous, où la plus belle fonction de l'Humanité, celle de rendre la Juftice, étoit avilie par le mépris. Les Seigneurs François, auffi fiers qu'ignorants, tyrans fubalternes d'un peuple esclave, du sein de leur oifiveté superbe, ou du milieu de leurs tournois, ofoient infulter aux travaux qui font la gloire de la Magiftrature (a). La raison qui s'avance lentement fur les pas des Arts & des Sciences, commence enfin à diffiper ce préjugé barbare. Ceux qui fervent également la Patrie, ont un droit égal à fes éloges. Depuis que les hommes font méchants & corrompus, il leur faut des armes & des Loix. Les armes, ces inftruments de la deftruction & de la vengeance, fervent de barriere à l'Etat, & font fleurir la liberté fous l'abri de la victoire. Les Loix, image de l'éternelle Sageffe, font fervir toutes les paffions & tous les talents au bien public, protegent les foibles, répriment les Grands uniffent les Peuples aux Rois, & les Rois aux Peuples. Sans les armes, l'Etat deviendroit la proie de l'Etranger: fans les Loix, il s'écrouleroit fur lui-même.

Auffi la Gréce répétoit avec admiration les noms des

(4) Les Seigneurs François qui avoient une autor ité prefque abfolue dans leurs Seigneuries, méprifoient l'étude des Loix, quoiqu'ils exerçaffent eux-mêmes la fonction de rendre des Jugements, & qu'il y en eût plufieurs qui étoient appellés pour affister à ceux qui étoient rendus par nos Rois.

Solons & des Licurgues, avec ceux des Miltiades & des Léonidas. Rome fe glorifioit autant de la cenfure de Caton, que des victoires de Pompée : & les Chinois, ce peuple antique, fi fameux dans l'Afie par la fageffe de fes Loix, élevent des Arcs de triomphe aux Magiftrats comme aux Guer

riers.

Les mêmes fentiments animent parmi nous ce Corps illuftre d'hommes vertueux & éclairés, qui réuniffant aux titres d'Orateurs & de Philofophes, les noms plus glorieux de Citoyens & de Patriotes, penfent que les talents ne font rien s'ils ne font employés pour le bonheur de l'Etat. L'honneur immortel d'un Eloge public qu'ils ont accordé à Maurice, Comte de Saxe, ils l'accordent aujourd'hui à HenriFrançois d'Agueffeau, Chancelier de France.

Heureux celui qui eft digne de fervir d'interprête à la voix de la Patrie! J'ofe tenter un fi noble effort. Je n'efpere point embellir la Vertu; elle eft trop au-deffus des ornements frivoles de l'efprit. Mais je lui rendrai hommage; je la préfenterai dans fa majeftuenfe fimplicité. Je peindrai dans d'Agueffeau le grand Magiftrat, le Sçavant profond, l'Homme jufte. O mes concitoyens, daignez m'entendre : l'éloge des grands Hommes eft la leçon du Monde ! Mais fi parmi vous il se trouvoit quelqu'un qui fût infenfible au charme des vertus pacifiques, & qui n'aimât que le récit des fiéges & des batailles, il n'eft pas digne d'être né dans ces climats, & parmi des hommes qui penfent. Il y a dans le Nord des pays en-core barbares, où l'industrie & la vertu fe bornent à l'art de se détruire; qu'il aille vivre parmi les fauvages de ces déferts: je parle à des citoyens & à des hommes.

Si la diftinction de la naiffance n'eft point une chimere, fi elle a quelque chofe de réel, c'est lorique les ancêtres ont été vertueux : car la fucceffion des Dignités n'eft rien, fi on la compare à celle du mérite. D'Agueffeau recueillit en naiffant ce double héritage de gloire & de vertu. Né d'une famille diftinguée dans la Robe, fes Ayeux, toujours utiles à l'Etat, lui avoient préparé un Nom illuftre. Mais, ne craignons

pas de le dire, un homme tel que lui honore bien plus fa famille, qu'il n'en eft honoré. Le Ciel qui veilloit fur fa deftinée, l'avoit fait naître d'un pere capable de lui donner toutes les lumieres avec tous les exemples (a)

Ne croyez pas qu'il confie à des mains étrangeres une fi importante éducation. L'honneur de former un citoyen à l'Etat, eft un honneur trop grand, pour qu'il le cede à d'autres. On vit alors fe renouveller l'ancienne difcipline des Spartiates & des premiers Perfes, qui enfeignoient les vertus à leurs enfants, comme ailleurs on enfeigne les Sciences.

C'étoit le temps où le Calvinisme expirant, cherchoit à ébranler par fes dernieres fecouffes les Provinces méridionales de la France. Chargé, dans ces Provinces, du dépôt facré de l'Autorité Royale, le pere du jeune d'Agueffeau rempliffoit ce dangereux honneur, avec la fidélité d'un fujet & l'humanité d'un citoyen. Au milieu de ces fonctions orageufes il inftruifoit fon fils. Il lui donnoit des leçons d'une courageufe fermeté en réprimant un peuple rebelle, de générofité en prodiguant fes biens pour les malheureux, d'humanité en épargnant le fang des hommes. Ainfi parmi les fureurs du fanatifme & de la révolte, fe formoit cette ame noble & vertueufe, femblable à ces plantes falutaires, qui nourries de fucs heureux, croiffent & s'élevent parmi les poifons qui les

environnent.

Ileft de grands Hommes qui ne le font que par les vertus : d'Agueffeau étoit deftiné à l'être encore par les talents. La France fe hâte de jouir des bienfaits du Ciel, & confacre d'Agueffeau à la défense de la Justice.

L'entrée du Sénat lui eft ouverte (b). Il y devient l'organe des Loix, & l'Orateur de la Patrie.

Dès ce moment il fe regarde comme une victime honorable, dévouée au bien public. » O Patrie, dit-il, je n'ai à

(4) Henri d'Aguesseau, fucceffivement Intendant de Limoges, de Bordeaux & du Languedoc, Confeiller d'Etat & au Confeil Royal, Confeiller au Confeil de Régence pour les Finances.

(6) Il fut reçu à l'âge de vingt-deux ans dans la Charge d'Avocat Général au Parlement,

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