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aux préjugés, indépendant du caprice de la mode; fource de tout ce qui enchante dans les merveilles de l'art, & dont le caractere propre eft de fixer tous les regards fur les ouvrages où l'on a la fatisfaction de le reconnoître.

Ce beau véritable n'eft pas loin de nous: il fe trouve tous les jours fous nos yeux dans les productions de la Nature. Le mérite de l'Art eft de la bien imiter, non dans fes irrégularités, mais dans ce qu'elle produit de plus parfait. Ainfi le bon goût travaille d'après la Nature, mais en choififfant l'excellent dans le naturel.

Ce Goût* fûr & délicat, fent, comme par inspiration, ce qui fied & ce qui ne fied pas. Il ne s'écarte jamais du vrai de la Nature: mais il fçait réunir les dons qu'elle a dispersés, pour en composer un tout encore plus beau que chacun des Modeles qu'elle lui préfente; & par-là il semble la vaincre en ne faifant que l'imiter. Il plaît par des Graces naïves; & confervant la fimplicité dans l'élévation même, il parvient jufqu'à ce fublime, qui confifte dans l'expreffion fimple d'une grande pensée,

Tome I,

C

* II Difci

page 21.

Pour acquérir & perfectionner ce Goût, ce n'est pas affez de contempler la Nature en ellemême, il faut l'étudier auffi attentivement dans ceux qui en ont été les plus habiles imitateurs: il faut méditer ces Ouvrages, qui ont mérité une admiration durable & univerfelle, fans y mêler des lectures plus propres à diminuer le *III Inftruc- Goût qu'à l'augmenter *, « & l'on ne fçauroit >> choisir des modeles trop purs & trop parfaits, » quand on veut arriver à la perfection ». C'est la route que M. le Chancelier d'Agueffeau indique dans fes Ouvrages; c'étoit celle qu'il avoit fuivie lui-même.

tion.

Né avec le plus grand génie, il étoit bien éloigné de croire le rabaisser, en travaillant d'après les plus grands Maîtres de l'Antiquité; au contraire, on trouvera dans une de fes Mercu*VII Mer- riales* une forte cenfure de cet amour-propre

curiale, de l'Ef

prit & de la

Science. qui se persuade que l'efprit fe fuffit à lui-même ;

que c'est prendre un noble effor que de voler de fes propres aîles, même au rifque de tomber; qu'on n'a pas befoin du fçavoir pour bien penfer, & qu'il vaut mieux pour fe faire un nom,

hafarder d'écrire ce qu'on pense le premier, que de profiter de ce que les hommes les plus célébres ont pensé avant nous.

C'étoit encore une de fes maximes *, que «les *IV* Inftrut; » perfections du style font les mêmes dans tou»tes les Langues; & que fi les mots font diffé»rents, les régles générales, pour les mettre » habilement en œuvre, font femblables ». Il exhortoit à s'approprier les tréfors de toutes les Langues fçavantes pour tranfmettre à la nôtre ce qu'elles ont de plus précieux, & lui donner cette richeffe dont quelques Etrangers lui reprochent de manquer, & dont cependant elle ne manque jamais dans la bouche de celui qui fçait mettre à profit les riches dépouilles de la Grece & de Rome: * « Les anciens Orateurs » lui donnent leur infinuation, leur abondance, » leur fublimité: les Hiftoriens lui communiquent » leur fimplicité, leur ordre, leur variété : les » Poëtes lui inspirent la nobleffe de l'invention, >> la vivacité des images, la hardieffe de l'expref» sion, & fur-tout ce nombre caché, cette secrette » harmonie du Discours, qui, fans avoir la servi

* III Difc page 34.

page 40.

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tude & l'uniformité de la Poéfie, en conserve » fouvent toute la douceur & toutes les graces ».

Nous empruntons ici les paroles de M. le Chancelier d'Agueffeau, qui font elles-mêmes un exemple de ce qu'elles expriment. Il a prouvé, par fes fuccès, que c'eft en marchant fur les traces des grands Hommes que l'on parvient à les égaler.

Sa derniere maxime étoit que la plume n'agit jamais plus utilement que lorfqu'elle efface & * III Difc. qu'elle réforme ses premiers traits *. « L'Ora»teur (disoit-il ), loin de se laiffer éblouir par » l'heureux fuccès d'une éloquence fubite, re» prend toujours avec une nouvelle ardeur le » pénible travail de la compofition. C'est-là qu'il »pefe fcrupuleufement jufqu'aux moindres ex» pressions dans la balance exacte d'une févere » critique. C'est-là qu'il ose retrancher tout ce » qui ne présente pas à l'efprit une image vive & » lumineuse ; qu'il développe tout ce qui peut >> paroître obscur ou équivoque à un Auditeur » médiocrement attentif.... & que prenant en » main une lime fçavante, il ajoute autant de

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force à fon Discours, qu'il en retranche de » paroles inutiles ».

Perfonne n'a porté plus loin ce travail que M. le Chancelier d'Agueffeau, quoique perfonne n'eût eu plus de droit de s'en dispenser. La négligence & la complaifance en foi-même font les défauts ordinaires d'un esprit médiocre. Avec des talents fupérieurs, il éprouvoit *. pour nous fervir de ses expreffions, l'utile déplaifir de ne pouvoir jamais fe contenter luimême. Il avoit pour fes ouvrages les yeux du Cenfeur le plus rigide. Il effaçoit ce qui peutêtre auroit excité des applaudiffemens: il donnoit, à ce qui auroit paru achevé, une nouvelle force de pinceau; & l'idée qu'il avoit conçue de la perfection, étoit fi fublime, qu'il ne croyoit jamais en avoir approché.

Nous avouerons même même que dans quelquesuns de fes Difcours, on pourra s'appercevoir d'un défaut peu ordinaire: c'est d'attacher toujours l'efprit & de le tenir dans un égal degré d'attention, parce que tout y eft également beau, fans qu'il y ait rien de moins élevé, ni de

* II Difc. page 21.

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