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DISCOURS

POUR LA PRÉSENTATION DES LETTRES

DE M. LE CHANCELIER D'AGUESSEAU.

DISCOURS

Prononcé AU PARLEMENT, par M TARTARIN, Avocat au Parlement de Paris.

Le 27 Avril 1717.

MESSIEURS,

CHAR

HARGÉ de vous parler de l'honneur que le Roi a fait à Meffire Henry-François d'Agueffeau, en l'élevant à la dignité de Chancelier de France, j'ai l'avantage que c'est à vos yeux, que c'eft dans cet auguste Tribunal que M. le Chancelier a exercé pendant tant d'années les Charges d'Avocat & de Procureur Général.

Par-là tous fes fervices vous font connus, toutes fes qualités vous font préfentes.

L'opinion que vous avez conçue de fon mérite, les témoignages que vous en avez fi fouvent rendus, lui ont fervi comme de dégrés pour arriver à ce comble d'honneur: votre estime a déja formé en fa faveur le plus sûr & le plus parfait l'homme vertueux puiffe recevoir.

éloge que

Avec quelle confiance ne devrois-je pas vous parler d'une vie toute dévouée à la justice, de ces talens de l'efprit & du cœur que vos exemples & vos confeils ont perfectionnés, de ces vertus toujours utiles, toujours vraies, toujours uniforTome I.

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mes, toujours appliquées à leur ufage naturel, c'est-à-dire, à conspirer avec vous au bien public.

Sûr de ne rien dire dont vous ne foyez parfaitement inftruits, on ne m'accuferoit point d'avoir, par complaifance ou par prévention, mefuré les éloges par la Dignité, & égalé la Vertu à la récompense.

Cependant j'éprouve d'un côté, la difficulté qu'il y a de répondre à ce que vous pensez d'un fi grand Magiftrat, & de l'autre celle de remplir l'attente de tous ceux fur lesquels un mérite fi accompli a déja fait de fi fortes impreffions.

La modeftie de M. le Chancelier femble me prefcrire en même temps des Loix très-rigoureufes.

Il fouhaiteroit qu'on rejettât tous les éloges fur la mémoire d'un Ayeul & d'un Pere qui ont fait tant d'honneur à la Magiftrature; qu'on ne parlât des différentes fonctions qu'il a exercées dans ce Tribunal, que pour marquer les qualités qui lui auroient été néceffaires pour les remplir, & qu'on ne fît attention à cette premiere Dignité à laquelle il eft parvenu, que pour en expliquer les devoirs & les dangers.

Comment donc accorder cette auftere modeftie avec les defirs du Public? Comment trouver ces tempéraments fi difficiles, qui fans bleffer cette premiere vertu de M. le Chancelier ne faffent rien perdre aux autres ? C'eft à vous, Meffieurs, à remplacer par vos fentiments ce qui manquera à ce Difcours, foit par la foibleffe de mes expreffions, foit par la déférence que je dois aux intentions de M. le Chancelier.

Le riche patrimoine de science & de justice que l'Ayeul & le Pere de M. le Chancelier lui ont tranfmis, doit être regardé comme une jufte poffeffion de fa Famille.

Meffire Antoine d'Agueffeau, premier Président de Bordeaux, Ayeul de M. le Chancelier, parut dans cette place comme un prodige d'érudition & de science, réuniffant dans fa perfonne toutes les lumieres que le Ciel partage ordinairement à plusieurs, poffédant éminemment & fans réserve toutes ces précieuses qualités que Dieu ne communique que par mefure & par dégré aux perfonnes les plus excellentes. C'est

le témoignage qu'en rend un Hiftorien fidele * de la Province de Guyenne, qui a écrit plusieurs années après la mort de ce Magiftrat.

Mais que de Vertus à imiter dans la perfonne de M. Henry d'Agueffeau, Confeiller d'Etat au Confeil Royal, & au Confeil de Régence, Pere de M. le Chancelier.

S'il parvient aux plus grands emplois, fon mérite eft fa feule protection; s'il acquiert l'eftime d'un grand Miniftre, c'est en combattant avec courage fon sentiment dans une affaire importante dont il étoit Rapporteur au Confeil. Mais telle fut l'impreffion que forma la vertu noble & généreuse sur ce Miniftre fi appliqué au bonheur de la France, fi fameux par fa capacité dans l'administration des Finances, qu'il accorda à M. d'Agueffeau toute fa confiance, qu'il le confultoit en tout ce qui regardoit le bien Public, & qu'il le propofoit pour modele à tous ceux qui defiroient de fervir l'Etat.

Si M. d'Agueffeau eft fucceffivement employé dans les Intendances du Limofin, de Guyenne & de Languedoc, il devient l'amour & les délices des Peuples par fon équité, par les fages & heureux ménagements qu'il mit en œuvre pour concilier les intérêts du Roi avec ceux des Peuples, & pour rendre le poids des impôts plus léger & moins onéreux. Ses vertus font encore fi fortement gravées dans leur cœur, & fa mémoire leur a été fi précieuse après un fi grand nombre d'années, qu'au premier bruit de fa mort (ce qui n'eft peutêtre jamais arrivé) les Habitans de ces trois Provinces lui ont décerné des Honneurs funebres, & fait des Prieres publiques pour lui.

La Province de Languedoc qui éprouva fi long-temps les effets de fa prudence, fe fouvient encore des éloges qu'elle donna dans l'Affemblée des Etats à fes graves & folides Difcours, dignes des plus beaux jours de l'éloquence. Elle reconnoît qu'elle doit à la perfévérance de fes foins & de fon application, & à cette haute intelligence qui s'étendoit à tout, Hiftoire de Xaintonge, par Maichin, Liv. I. Chap. IV. n, 16.

la perfection du Canal des deux Mers, ouvrage qui par fa grandeur, par fon utilité, & par les obftacles de la Nature qu'il a fallu vaincre, furpaffe les plus illuftres Monuments de l'Antiquité. Mais elle n'oubliera point le défintéreffement avec lequel il refufa les augmentations de Penfions & les Préfents que la jufte reconnoiffance des trois Etats de cette Province lui offrit.

Elle parlera toujours avec admiration de la grandeur d'ame qu'il fit paroître dans les troubles des Cévennes furvenus en 1683, lorfque fans autre escorte que fa vertu, & fans autre sûreté que l'amour des Peuples, de ceux même qu'un faux zèle avoit aveuglés, il alla fe placer dans le centre de la rébellion pour la calmer, & qu'il traverfa plufieurs fois un Pays où régnoit la fureur & le fanatifme. Sa fageffe fit rentrer tant de armés dans le devoir; fes follicitations d'abord rejettées, mais à la fin écoutées, obtinrent de la clémence du Roi le pardon & la grace de tant de coupables.

gens

Cette fimplicité fi rare, cette modestie fi fincere, qui lui cachoit à lui-même & qui lui fervoit comme de voile pour dérober aux autres la connoiffance de tant de talents & de tant de vertus, contribuoit à lui concilier tous les cœurs & toutes les affections.

Elle lui fervit, lorfqu'il fut placé dans le Confeil, à calmer l'inquiétude de ceux qui redoutoient la fupériorité de son génie; & leur persuada qu'ils avoient tort de s'allarmer de la réputation d'un homme qui étoit fi véritablement fans defir & fans ambition.

Il ne ceffe pas néanmoins d'être utile. Forme-t-on des projets de réformation fur la maniere de lever les droits du Roi? M. d'Agueffeau eft de nouveau renvoyé dans les Provinces, il visite la plus grande partie du Royaume en deux années de temps, il approfondit tous les abus, il indique tous les remédes ; & fi le malheur des guerres qui fe font fuccédées, fit perdre à la France le fruit de fes travaux, il ne perdit rien du mérite de fon zèle, & de fon amour pour le foulagement des Peuples.

Jen'entreprends pas, Meffieurs, de parcourir toutes les actions de ce Grand homme. Quelle matiere d'éloge dans le foin qu'il prit pour prévenir la perte entiere du Commerce, qui paroiffoit inévitable pendant les deux dernieres Guerres; dans le refus des plus hautes places, plus grand que les honneurs mêmes, & dans toutes les circonstances d'une vie fi utile à l'Etat, & fi édifiante pour la Religion.

Je ne vous parlerois, Meffieurs, que du Pere fi je fuivois les mouvements du Fils. C'est le feul endroit par lequel M. le Chancelier fouffre qu'on le loue. Avec quelle fenfibilité ne reconnoît-il pas qu'il doit tout au bonheur d'avoir eu un tel Pere, d'avoir trouvé, (pour me fervir de l'expreffion d'un Ancien) dans un fi parfait modele, l'objet de fon refpect & de fa tendreffe, & de n'avoir rien eu qu'à imiter dans celui auquel la Nature a voulu qu'il reffemblât.

Mais il eft temps de vous parler des différentes fonctions que M. le Chancelier a exercées dans ce Tribunal.

A peine refta-t-il quelques mois dans la Charge d'Avocat du Roi au Châtelet, qu'il fut choifi à l'âge de vingt-deux ans, être Avocat Général en la Cour.

pour

Que de qualités néceffaires à celui qui remplit une fonction fi importante!

Une éloquence égale aux plus grands Sujets, proportionnée aux plus fimples; une érudition affez vafte pour fournir à toutes les matieres qui se préfentent, affez fage & affez retenue pour ne fe produire qu'autant que la néceffité l'exige; de la netteté pour démêler les affaires les plus épineufes, de vives lumieres pour tirer la vérité des abîmes & des obscurités qui l'enveloppent; une profondeur de raifonnement qui, par une douce & utile violence, ébranle & entraîne tous les fuffrages; être brillant fans ceffer d'être folide, ne charmer que pour infpirer la Justice, chercher à éclairer & non à éblouir, faire fervir la richeffe des expreffions & la variété des pensées à augmenter la force des preuves & des raifons.

Le defir de parvenir à la plus haute perfection du Magiftrat, le portera à étudier votre efprit & votre fageffe, à

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